Écrit par Alexander Payne et Adam Walji
Il n’est pas rare que les recours collectifs aboutissent au bout de plusieurs années de litige. Certains demandent encore plus de temps parce qu’ils restent inactifs durant plusieurs mois, voire même, dans certains cas, des décennies. À la fin de 2024 et au début de 2025, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu deux décisions qui clarifient la manière dont les tribunaux devraient traiter ces affaires difficiles et de longue haleine.
Dans l’affaire Tataryn, la Cour d’appel a estimé qu’un tribunal dispose d’une certaine marge de manœuvre pour déterminer s’il y a lieu de rejeter la demande pour cause de retard en vertu de l’article 29.1 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs (la LRC).
Dans l’affaire Barbiero, la Cour d’appel a estimé que l’écoulement d’un délai suffisant constitue un préjudice suffisant pour justifier le rejet d’une action pour cause de retard en vertu de l’article 24.01 des Règles de procédure civile (les Règles).
Ensemble, ces décisions suggèrent que les défendeurs d’un recours collectif auraient du mal à faire rejeter un recours collectif pour un an de retard en vertu de l’article 29.1 de la LRC, sauf en présence de circonstances exceptionnelles, mais que le tribunal serait de plus en plus ouvert à rejeter certains recours en vertu des Règles, dans le cas où les délais de procédure sont plus longs.
Rejet pour cause de retard en vertu de l’article 29.1 de la LRC
L’article 29.1 (et ses dispositions équivalentes dans d’autres ressorts, par exemple l’article 41 de la Class Proceedings Act, RSPEI 1988, ch. C-9.01) prévoit que le tribunal doit, sur requête, rejeter une action pour cause de retard sauf si, au premier anniversaire du jour de l’introduction de l’instance, l’une des éventualités décrites s’est produite. Il s’agit notamment :
- du dépôt par le représentant des demandeurs d’un dossier de motion en certification définitif et complet;
- du consentement des parties à un calendrier de signification du dossier de motion en certification du demandeur, ou la prise d’une ou de plusieurs mesures nécessaires au déroulement de l’instance, et du dépôt de ce calendrier auprès du tribunal;
- de l’établissement par le tribunal d’un calendrier de signification du dossier de motion en certification du demandeur, ou la prise d’une ou de plusieurs mesures nécessaires au déroulement de l’instance.
Dans certaines décisions antérieures, on a utilisé une approche stricte pour appliquer l’article 29.1 en estimant que les juges n’avaient aucun pouvoir discrétionnaire et que le rejet de la procédure était obligatoire si aucune des mesures indiquées n’avait été prise.
Au fur et à mesure que la jurisprudence évoluait, une approche de plus en plus souple et contextuelle s’est imposée, entraînant une incertitude quant à l’application de l’article 29.1.
Tataryn v. Diamond & Diamond Lawyers LLP, 2025 ONCA 5
Dans l’affaire Tataryn, les représentants des demandeurs avaient entamé un recours collectif en 2018, alléguant que le défendeur avait, entre autres, manqué à ses obligations fiduciaires concernant les pratiques de recommandation de clients et la détermination des honoraires en fonction des résultats, en plus d’avoir violé la loi relative à la protection des consommateurs.
En 2023, la partie défenderesse a demandé le rejet de l’action pour cause de retard en vertu de l’article 29.1 de la LRC. La question dont la Cour était saisie était celle de savoir si la Cour avait établi un calendrier pour la signification du dossier de motion du représentant des demandeurs, au titre de la motion en certification ou pour la prise [traduction] « d’une ou de plusieurs autres mesures nécessaires au déroulement de l’instance ».
La Cour a décrit de manière claire l’analyse à effectuer en vertu de l’article 29.1, en concluant que :
- le délai d’un an prévu au paragraphe 29.1(1) ne peut faire l’objet d’aucun pouvoir discrétionnaire de la part du juge;
- il est généralement facile de déterminer si un calendrier a été établi;
- pour déterminer si un calendrier répond au critère d’« une ou de plusieurs mesures nécessaires au déroulement de l’instance », il faut adopter une approche contextuelle, ce qui signifie que le juge responsable de la gestion de l’instance doit prendre en compte [traduction] « l’ensemble [des circonstances] de l’instance ».
La Cour a confirmé qu’en appliquant une approche contextuelle, un juge saisi de la requête peut prendre en considération la conduite des parties, y compris toute conduite [traduction] « obstructionniste » et tout retard découlant du calendrier établi pour les motions, en particulier compte tenu de la disponibilité actuellement limitée de dates pour le traitement des motions.
La Cour a finalement conclu, après un examen détaillé de l’historique de l’instance, que certaines des mesures procédurales invoquées par les demandeurs étaient [traduction] « illogiques » et que, même si une approche contextuelle était appliquée, la partie défenderesse ne pouvait pas démontrer qu’un calendrier pour l’achèvement d’une ou de plusieurs autres mesures nécessaires au déroulement de l’instance avait été établi.
Rejet pour retard en vertu de l’article 24.01 des Règles
L’article 24.01 permet à un défendeur de demander le rejet d’une action pour cause de retard lorsque le demandeur n’a pas, entre autres, inscrit l’action pour instruction dans les six mois qui suivent la clôture de la procédure écrite.
Cet article (et ses dispositions équivalentes dans d’autres ressorts, par exemple l’article 167 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106; le paragraphe 22-7(7) des Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, et l’article 4.31 des Alberta Rules of Court, Alta Reg. 124/2010) fournit aux défendeurs un autre fondement pour demander le rejet d’un recours collectif envisagé pour cause de retard.
Barbiero v. Pollack, 2024 ONCA 904
Dans l’affaire Barbiero, la partie demanderesse cherchait à faire annuler le rejet d’un recours collectif certifié datant de 21 ans et portant sur des allégations selon lesquelles le médecin défendeur avait illégalement injecté de la silicone liquide injectable ou de la silicone liquide de qualité injectable dans les lèvres et les contours du visage de ses patients.
Avant l’arrêt Barbiero, l’analyse à effectuer au titre de l’article 24.01 avait été exposée dans l’arrêt Langenecker v. Sauvé, 2011 NCA 03 (Langenecker).
Selon l’approche préconisée dans l’affaire Langenecker, l’existence d’un retard ou l’écoulement du temps a créé une présomption réfutable de préjudice pour la partie défenderesse.
Toutefois, dans l’affaire Barbiero, la Cour d’appel a estimé de sa propre initiative que l’approche décrite dans l’arrêt Langenecker était [traduction] « en décalage avec les besoins contemporains du système civil de l’Ontario », notamment parce qu’elle s’attache à justifier les retards plutôt qu’à obtenir le règlement des procédures civiles le plus rapidement possible.
La Cour a estimé que le retard ou l’écoulement du temps peut, à lui seul, constituer un préjudice suffisant pour justifier le rejet d’une action pour cause de retard.
En concluant que le retard de la partie demanderesse était démesuré, la Cour a souligné que le paragraphe 48.14(1) des Règles oblige le greffier à rejeter un recours pour cause de retard lorsque celui-ci n’a pas été inscrit pour instruction ou n’a pas pris fin d’une manière quelconque au plus tard au cinquième anniversaire de son introduction. Dans le cas de Barbiero, en revanche, l’instance n’avait toujours pas été inscrite pour instruction même après une vingtaine d’années.
Regard vers l’avenir
Les décisions rendues dans les affaires Tataryn et Barbiero pointent, dans une certaine mesure, dans des directions opposées. Alors que l’arrêt Barbiero met l’accent sur le fait que les parties défenderesses subissent un préjudice lorsque les actions sont retardées, l’arrêt Tataryn, dans certains cas, donne aux juges une plus grande flexibilité et un plus grand pouvoir discrétionnaire de refuser une demande de rejet pour cause de retard.
L’arrêt Tataryn peut avoir un effet dissuasif auprès des défendeurs qui demandent le rejet de recours collectifs pour cause de retard en vertu de l’article 29.1 de la LRC, sauf lorsque les circonstances sont très évidentes, en raison de la flexibilité accordée au tribunal pour déterminer s’il y a lieu de rejeter un recours pour cause de retard.
L’arrêt Barbiero, en outre, est une décision sur laquelle peuvent s’appuyer les défendeurs, et qui comprend un langage percutant de la Cour d’appel. La décision rendue dans l’affaire Barbiero est un rappel utile que le rejet pour cause de retard en vertu des Règles peut être une voie plus appropriée à suivre pour demander le rejet de recours collectifs qui traînent en longueur.
Compte tenu de l’importance du précédent que constitue l’arrêt Barbiero, il est fort probable que davantage de défendeurs introduisent des motions demandant le rejet de recours en s’appuyant sur cet arrêt au cours de la prochaine année. Cela permettra peut-être aux tribunaux de trancher de façon plus claire l’éternelle question à un million de dollars (ou, pour certains recours collectifs, la question à un milliard de dollars!), soit celle de savoir qu’est-ce qu’un délai trop long?
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