Le 16 février 2012, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans Sharma v. Timminco1, confirmant l’exigence légale de demander l’autorisation d’intenter un recours collectif en valeurs mobilières sur le marché secondaire dans les trois ans suivant la date de la fausse déclaration alléguée, à défaut de quoi la réclamation sera rejetée.
La décision de la Cour d’appel était la bonne, pour un certain nombre de raisons. Il est important de noter qu’il rétablit l’équilibre prudent établi par le législateur dans la création d’un régime de responsabilité civile sur le marché secondaire. La partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario a créé une nouvelle cause d’action pour poursuivre les sociétés et leurs administrateurs, entre autres, pour fausses déclarations. Le législateur a conféré un certain nombre d’avantages aux demandeurs dans ce régime, notamment qu’ils ne seraient pas tenus de prouver la « confiance »: le fait de la fausse déclaration était suffisant.
Mais en même temps, le législateur était parfaitement conscient que, si rien n’était fait, cette nouvelle responsabilité civile du marché secondaire pouvait être utilisée non pas pour corriger les torts, mais plutôt pour les créer, notamment par le biais d’une poursuite en grève. Une poursuite en grève est une poursuite qui n’est pas intentée pour corriger un tort ou pour faire avancer des droits légaux, mais plutôt pour secouer efficacement une entreprise en raison de la taille et de l’ampleur de la réclamation.
Deux vérifications ont été créées pour éviter ce mal. Premièrement, un demandeur qui cherche à faire avancer la responsabilité civile pour fausse déclaration sur le marché secondaire doit demander l’autorisation de la Cour avant de faire valoir la cause d’action. Cela donne au tribunal un rôle de gardien pour éliminer les cas inappropriés. Deuxièmement, un demandeur doit faire valoir la cause d’action dans les trois ans suivant la fausse déclaration alléguée, peu importe le moment où les faits sont apparus démontrant que la déclaration est fausse. Il s’agit d’un délai de prescription absolu et difficile.
Ce que fait la décision de la Cour dans l’affaire Timminco, c’est de réunir ces deux exigences de la manière expressément voulue par le législateur. Le demandeur doit demander et obtenir l’autorisation d’intenter l’action avant l’expiration des trois ans. Plus tard, le demandeur n’a plus de temps. C’était la bonne décision fondée sur le libellé de la loi, son objet et même pour des motifs de principe.
Dans l’affaire Timminco, la demanderesse a intenté un recours collectif contre Timminco et ses administrateurs, alléguant, entre autres choses, une fausse déclaration sur le marché secondaire en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières. La déclaration alléguait que les défendeurs avaient fait ou autorisé des déclarations publiques contenant des fausses déclarations importantes ayant une incidence sur le prix des actions de Timminco. Les fausses déclarations auraient commencé le 17 mars 2008 et se seraient poursuivies jusqu’au 11 novembre 2008.
En vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, les actions pour fausses déclarations sur le marché secondaire ne peuvent être intentées sans l’autorisation du tribunal (par. 138.8) et doivent être intentées dans les trois ans suivant la date de la fausse déclaration alléguée (par. 138.14). Fait important, la déclaration dans l’affaire Timminco ne plaidait expressément rien de plus qu’une intention de demander l’autorisation de faire valoir sa revendication relative au marché secondaire.
En février 2011, le demandeur n’avait pas encore demandé l’autorisation et, par conséquent, faisait face au délai de prescription imminent de trois ans. Le demandeur a demandé une ordonnance déclarant que le délai de prescription était suspendu en vertu des dispositions de la Loi sur les recours collectifs (LPC). En vertu de l’article 28 de la LPC, tout délai de prescription applicable à une cause d’action est suspendu en faveur d’un membre du groupe à la date d’début du recours collectif.
La question pour les tribunaux était de savoir si la cause d’action du marché secondaire du demandeur avait été « revendiquée » aux fins de la LPC, suspendant le délai de prescription, alors que le demandeur n’avait pas obtenu l’autorisation d’intenter une telle action en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.
En première instance, le juge saisi de la requête a accordé l’ordonnance demandée par le demandeur et a déclaré que le délai de prescription prévu à l’article 138.14 de la Loi sur les valeurs mobilières était suspendu en vertu de l’article 28 de la LPC. Ce faisant, le juge saisi de la requête a conclu que la demanderesse n’était pas tenue de demander l’autorisation, en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de supprimer le délai de prescription, mais qu’elle n’avait qu’à « mentionner » l’action dans sa déclaration. Les défendeurs ont interjeté appel.
La Cour d’appel a rejeté l’interprétation du tribunal inférieur et a confirmé que les réclamations pour fausses déclarations sur le marché secondaire sont régies par l’exigence d’autorisation et le délai de prescription de trois ans prévus dans la Loi sur les valeurs mobilières, indépendamment de l’article 28 de la LPC.
La Cour d’appel s’est concentrée sur le sens ordinaire du mot « affirmer » tel qu’il est utilisé à l’article 28 de la LPC. Cet article prévoit que « tout délai de prescription applicable à la cause d’action invoquée dans le cadre d’un recours collectif est suspendu [...] à l’ouverture du recours collectif ». La Cour a conclu que le mot « affirmer » signifie plus qu’une simple mention, mais plutôt « invoquer ou faire respecter » un droit légal. 2
Afin d’intenter une action pour fausses déclarations sur le marché secondaire, la Cour d’appel a souligné que le législateur a prévu une exigence claire d’autorisation dans la Loi sur les valeurs mobilières avant que le droit légal de faire valoir une telle réclamation puisse être appliqué ou invoqué. 3
Appliquant une interprétation grammaticale et ordinaire de l’article 28 de la LRC à l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières, la Cour a statué que le délai de prescription ne pouvait pas être suspendu par l’ACP en l’absence d’une autorisation accordée en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.
Ce faisant, la Cour a reconnu que la décision du tribunal inférieur offrait aux membres du groupe un avantage inattendu qui n’était pas offert aux demandeurs individuels. La Cour a conclu que l’objet de l’article 28 de la LPC n’aurait pas été de placer le groupe dans une meilleure position que si un membre du groupe avait intenté une action individuelle4
. Deuxièmement, la Cour a souligné que les dispositions de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières visent à faire en sorte que les réclamations relatives au marché secondaire soient traitées rapidement et avec diligence. Suspendre le délai de prescription sans aucune garantie que l’action ou la motion d’autorisation serait instruite rapidement aurait été incompatible avec le régime mis en place pour régir les réclamations du marché secondaire. 5
Enfin, la Cour a précisé que sa conclusion ne rendait pas l’article 28 de la LRC entièrement inopérant en ce qui concerne les réclamations relatives au marché secondaire. Cela signifie plutôt simplement que l’autorisation doit être obtenue avant que l’action sur le marché secondaire puisse commencer au sens de la LPC. Ce n’est qu’alors que l’article 28 peut s’appliquer pour suspendre le délai de prescription de la Loi sur les valeurs mobilières. 6
Le raisonnement de la Cour d’appel n’était pas particulièrement révolutionnaire: elle appliquait des principes bien acceptés d’interprétation des lois pour donner effet à l’intention clairement énoncée du législateur. Il n’y a pas d’autres décisions d’appel qui entrent en conflit avec cela, ce qui rend peu probable que cette affaire attire l’attention de la Cour suprême du Canada si les demandeurs demandent l’autorisation d’interjeter appel.
Mais bien que l’affaire ne soit pas révolutionnaire sur le plan de la méthodologie, il s’agit néanmoins d’une directive importante de la part du plus haut tribunal de l’Ontario concernant la façon dont les recours collectifs du marché secondaire doivent être menés : l’autorisation doit être obtenue relativement rapidement et dans tous les cas avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la fausse déclaration alléguée.
L’affaire comporte également un certain nombre de prestations accessoires.
Premièrement, cela sonne le glas d’un développement potentiellement malicieux dans ce domaine de pratique, où les demandeurs cherchaient à coupler la demande d’autorisation avec la demande d’accréditation. 7 Étant donné que le bien-fondé de la poursuite est quelque peu en cause dans une demande d’autorisation, les demandeurs qui ont associé cette demande à la certification pourraient, dans le bon cas, ajouter de la couleur à la requête en autorisation avec des éléments de preuve sur le fond qu’ils considéraient comme utiles, ce qui ne serait normalement pas considéré par un juge lors de la certification. Compte tenu de la rapidité avec laquelle les demandes d’autorisation doivent maintenant être présentées, il est difficile de voir comment ce couplage pourrait se reproduire à l’avenir.
Deuxièmement, la décision aura probablement une incidence, sinon infirmera effectivement, une décision antérieure du juge des requêtes dans l’affaire Timminco qui exigeait que les défendeurs fournissent une défense avant la certification, avant même que l’autorisation d’intenter la demande ait été accordée. 8 Cela ne peut plus être la loi. Bien qu’il soit encore concevable qu’un juge puisse exiger une défense avant d’être certifié, elle ne peut l’être avant que l’autorisation ne soit accordée.
Troisièmement, la décision évitera probablement les méfaits causés par le retard et autrement, par le biais de requêtes préliminaires du demandeur dans des circonstances où il n’avait pas encore été établi que le tribunal accorderait l’autorisation d’entamer l’instance. Dans l’affaire Timminco, les demandeurs ont passé des mois à se battre avec d’autres avocats du groupe dans le le cas d’une motion de transport, puis des mois supplémentaires dans le cas d’une requête visant à obliger la production de polices d’assurance, et encore plus de temps sur une requête visant à régler leur réclamation avec des détails. Tout cela a été fait avant même que la Cour n’ait accordé l’autorisation d’entamer l’instance, et il est difficile de voir comment cela pourrait se reproduire.
Il convient de noter que, bien que cette décision donne des indications importantes pour les réclamations relatives au marché secondaire introduites en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, elle ne s’est pas applicable aux allégations de fausses déclarations purement de common law. Bien entendu, dans ces revendications de common law, toutes les règles habituelles s’appliquent, y compris l’obligation pour le demandeur de démontrer qu’il s’est fié et un délai de prescription potentiellement plus court (deux ans à compter de la date de l’enquête préalable).