Dans l’affaire Flowers v Persist Oil and Gas Inc., 2025 ABKB 1421, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta rappelle aux propriétaires d’immeubles commerciaux, aux locataires et à leurs prêteurs respectifs l’intersection croissante entre l’immobilier et l’économie numérique. Dans sa décision, la Cour du Banc du Roi a estimé que le minage de bitcoins par le locataire ne constituait pas une utilisation permise aux termes d’un bail de surface, et a de ce fait accordé une injonction permanente exigeant du locataire qu’il retire le matériel de minage de bitcoins.
Roy Flowers (Flowers), à titre de propriétaire, et Persist Oil and Gas Inc. (Persist), à titre de locataire, étaient parties à un bail de surface (le Bail) visant des terrains d’environ 3,14 acres appartenant à Flowers et situés dans le comté de Rocky View en Alberta (les Lieux).
L’utilisation prévue aux termes du Bail était [TRADUCTION] « toutes fins et utilisations qui peuvent être nécessaires à l’exploration, à la mise en valeur et à la production de pétrole, de gaz, d’hydrocarbures connexes ou de substances produites en association avec ceux-ci, y compris le droit de poser un ou plusieurs pipelines, de construire et d’exploiter une installation de compression de gaz naturel non corrosif, et de mener des activités de réhabilitation et de remise en état ».
Avant avril 2021, Persist exploitait une station de compression sur les Lieux produisant exclusivement du gaz naturel. Mais à partir d’avril 2021, en raison des faibles cours du gaz naturel, Persist a installé des génératrices, des ordinateurs et d’autres équipements sur son site de compression sur les Lieux et utilisait de temps en temps l’électricité des génératrices alimentées au gaz naturel pour le minage de bitcoins.
Flowers s’est opposée au minage et a adressé plusieurs lettres au mis en cause pour exiger la cessation de cette activité. À la suite de discussions avec le comté de Rocky View, Flowers a reçu un avis officiel de non-conformité indiquant que l’activité de minage de bitcoins de Persist ne disposait pas des permis de zonage et d’aménagement requis.
À l’expiration du Bail le 12 novembre 2019, Persist et Flowers n’ayant pas pu s’entendre sur les conditions de son renouvellement, le Land and Property Rights Tribunal (LPRT, le tribunal des droits fonciers et immobiliers) a rendu une décision accordant un droit d’entrée à Persist. Cette décision était précisément fondée sur l’article 144(1)(a) de la Environmental Protection and Enhancement Act (EPEA), qui prévoit qu’un bail de surface ne peut être résilié tant qu’un certificat de remise en état n’a pas été délivré, ce qui n’avait pas encore été fait dans le cas du bail de Persist. En réponse à l’argument de Flowers selon lequel les activités de minage de bitcoins de Persist contrevenaient aux conditions du Bail, le LPRT a déclaré que ces allégations ne relevaient pas de sa compétence et qu’elles faisaient l’objet d’une demande concomitante devant la Cour du Banc du Roi de l’Alberta.
Flowers a saisi la Cour du Banc du Roi de l’Alberta pour obtenir une injonction permanente contre Persist ainsi que la restitution du produit de l’activité de minage de bitcoins.
Dans sa décision, le juge Rickards a conclu, à titre préliminaire, que l’EPEA conférait un droit légal à Persist de demeurer sur les Lieux malgré l’expiration du Bail, et que ce droit a été consolidé par l’ordonnance du LPRT accordant le droit d’entrée. Ce droit de demeurer sur les Lieux n’a toutefois pas modifié les autres conditions du Bail. Le juge Rickards a ensuite examiné les conditions du Bail et a conclu que, dans son sens ordinaire, la disposition du Bail relative à l’utilisation prévue ne comprenait pas les activités de minage de bitcoins, car elles sont complètement distinctes des activités d’exploitation pétrolière, gazière et d’hydrocarbures connexes. L’argument de Persist selon lequel l’utilisation de l’électricité produite à partir du gaz naturel rendait les activités de minage de bitcoins accessoires aux activités d’exploitation pétrolière et gazière a été rejeté. Pour ce motif, la cour a tranché que Persist violait, et ce depuis avril 2021, les conditions du Bail relatives à l’utilisation prévue.
En l’absence d’éléments de preuve suffisants, le juge Rickards a refusé de se prononcer sur la question de savoir si l’activité minière de Persist constituait une nuisance pour la propriété adjacente de Flowers ou si Persists détenait les approbations requises pour son activité de minage de bitcoins. L’avis de non-conformité et d’autres interventions du comté de Rocky View portaient à croire que ce n’était pas le cas et que Flowers s’exposait à des pénalités administratives si le minage se poursuivait.
Ayant conclu à la violation du Bail, le juge Rickards a tranché qu’une injonction était la réparation appropriée pour les raisons suivantes : 1) les dommages-intérêts pécuniaires ne pouvaient pas remédier adéquatement à la violation; et 2) les principes d’equity penchaient en faveur de Flowers, en tant que partie non défaillante. Citant l’affaire Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock2 pour étayer le principe selon lequel la restitution en cas de violation de contrat ne devrait être possible que dans des cas exceptionnels où les autres mesures de réparation sont inadéquates, le juge Rickards a rejeté la demande de restitution des revenus du minage de bitcoins présentée par Flowers. Il a estimé qu’une injonction permanente constituait une réparation adéquate pour la violation en cours, tandis que la violation historique qui dure depuis avril 2021 pourrait être réparée en adjugeant des dommages-intérêts en fonction de la contrepartie raisonnable qui aurait pu être exigée pour permettre à Persist de mener des activités de minage de bitcoins.
Cette décision est un rappel important, à plusieurs titres, à l’intention des propriétaires, des locataires et de leurs prêteurs respectifs, tant dans le secteur de l’énergie que dans le secteur immobilier commercial traditionnel :
Bennett Jones S.E.N.C.R.L., s.r.l. possède une vaste expérience de premier plan dans tous les aspects du financement, des baux commerciaux, des acquisitions, des cessions et d’autres opérations immobilières. Si vous avez des questions sur l’effet de ces principes juridiques sur votre entreprise, veuillez communiquer avec les auteurs de cet article de blogue.
1 Flowers v Persist Oil and Gas Inc., 2025 ABKB 142 (en anglais).
2 2020 CSC 19