La Cour d’appel clarifie la règle du jugement sommaire de l’Ontario

12 décembre 2011

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La Cour d’appel de l’Ontario a fourni des éclaircissements indispensables sur la portée et l’objet des nouvelles règles de jugement sommaire de l’Ontario (Combined Air Mechanical Services Inc. c. Flesch, 2011 ONCA 764). La question était suffisamment importante pour que la Cour ait réuni cinq appels très différents de requêtes en jugement sommaire, et les appels ont été entendus par un rare comité civil de cinq juges. De l’avis de la Cour, les requêtes en jugement sommaire devraient être limitées aux cas où i) les parties conviennent de recourir au jugement sommaire; (ii) la réclamation ou la défense est sans fondement ou; (iii) lorsque le juge saisi de la requête peut « apprécier pleinement » tous les éléments de preuve nécessaires pour trancher l’affaire sans procès.

L’ancienne Règle du jugement sommaire

Depuis 1985, les Règles de procédure civile de l’Ontario ont permis à toutes les parties de demander un jugement sommaire.1 En pratique, cela signifie qu’un juge saisi de la requête décide s’il y a une véritable question en litige pour le procès en se fondant sur un dossier papier (affidavits, transcriptions de contre-interrogatoires extrajudiciaires et plaidoiries écrites et orales) sans procès.

Avant janvier 2010, la règle du jugement sommaire et la jurisprudence restreignaient les pouvoirs des juges saisis de requêtes d’évaluer la qualité et la force de la preuve dans le cas d’une requête en jugement sommaire. En particulier, les juges ne pouvaient pas évaluer la crédibilité, soupeser la preuve ou tirer des conclusions de fait. En pratique, le jugement sommaire se limitait généralement aux litiges manifestement non limitatifs.

La règle du jugement sommaire modifiée

En janvier 2010, les Règles de procédure civile ont été modifiées à la suite des recommandations formulées par l’honorable Coulter Osborne, c.r., ancien juge en chef adjoint de la Cour d’appel de l’Ontario. Il a recommandé d’élargir les pouvoirs des juges sur les requêtes en jugement sommaire afin de rendre la règle plus efficace dans le règlement des affaires plus tôt dans le processus de litige.

Même si le critère du jugement sommaire était semblable (le critère est passé de « aucune véritable question en litige pour le procès » à « aucune véritable question nécessitant un procès »), les juges sont maintenant autorisés à apprécier la preuve, à évaluer la crédibilité et à tirer des inférences raisonnables de la preuve. Les modifications permettaient également aux juges d’entendre les témoignages de témoins en cour sur des questions précises et étroites et supprimaient les présomptions de dépens qui rendaient les parties réticentes à utiliser la règle.

Le critère de la pleine appréciation

La Cour d’appel a interprété les modifications comme signifiant que les requêtes en jugement sommaire devraient être présentées dans trois types d’affaires : (i) les parties conviennent d’utiliser le jugement sommaire; (ii) les réclamations ou les moyens de défense sont sans fondement; ou (iii) le juge saisi de la requête peut « apprécier pleinement » tous les éléments de preuve et les questions nécessaires pour tirer une conclusion déterminante sans procès.

Le test d’appréciation complète est nouveau. Étant donné que les juges saisis de la requête n’examinent qu’un dossier papier et ne voient pas les témoins témoigner oralement, il est plus difficile de tirer des conclusions sur la crédibilité. Par conséquent, la Cour d’appel a mis en garde les juges saisis de requêtes (et les parties qui présentent des requêtes en jugement sommaire) de n’utiliser la règle que si le juge peut pleinement apprécier la preuve sans procès. Dans les cas où il y a de nombreux déposants ou lorsque les parties conviennent qu’une preuve orale serait utile, il est peu probable qu’une requête en jugement sommaire soit appropriée. Il ne suffit pas que le juge saisi de la requête connaisse le dossier de la requête ou qu’il comprenne la preuve. Le juge doit décider si le processus du procès (y compris l’audition et l’observation des témoins, l’écoute du récit du procès et l’expérience du processus d’établissement des faits de première main) est nécessaire pour apprécier pleinement la preuve et les questions en litige.

Les nouveaux outils judiciaires

La Cour a expliqué comment certains des nouveaux outils judiciaires devraient être utilisés dans les requêtes en jugement sommaire.

Preuve orale

La Cour d’appel a averti que le témoignage oral ne peut remplacer un procès complet et le récit qui l’accompagne. Il peut aider les juges à apprécier pleinement la preuve pour déterminer si un procès est nécessaire. Par exemple, la preuve orale peut être appropriée dans les cas suivants : (i) il y a un petit nombre de témoins qui peuvent être recueillis dans un délai gérable; (ii) la preuve orale aura une incidence importante sur la question de savoir si un jugement sommaire est accordé; ou (iii) il y a une question étroite et discrète.

Gestion du procès

Le juge saisi de la requête peut rejeter la requête en jugement sommaire, mais donner des directives pour faciliter un procès plus rapide. Ce pouvoir permet de récupérer les ressources qui ont été consacrées à la requête en jugement sommaire, mais ne devrait pas donner lieu à la présentation de la même preuve au procès (c.-à-d. que les affidavits et les transcriptions de contre-interrogatoire ne devraient pas être traités comme un substitut au témoignage oral).

Dépens

Si une partie défend avec succès une requête en jugement sommaire, elle doit démontrer qu’elle a agi de façon déraisonnable ou de mauvaise foi pour obtenir des frais d’indemnisation substantiels. Il y aura probablement un litige sur la question de savoir si une requête en jugement sommaire qui ne permet pas au juge d’apprécier pleinement la preuve sera considérée comme déraisonnable aux fins des dépens.

Règles simplifiées (actions de moins de 100 000 $)

Les requêtes en jugement sommaire devraient rarement faire l’objet d’actions en règle simplifiée. Les juges doivent se demander s’ils peuvent satisfaire au critère de la pleine appréciation, en partie parce qu’il est interdit aux parties de contre-interroger des témoins dans le cadre de requêtes simplifiées en matière de règles. Les requêtes en jugement sommaire ne seront appropriées que pour les cas de règles simplifiées lorsque l’affaire est fondée sur des documents spécifiques et avec des preuves contestées limitées.

L’application aux cinq appels

La Cour a appliqué ce nouveau cadre à chacune des cinq affaires en appel. Dans l’affaire Combined Air Mechanical c. Flesch et Lakeshore Oakville Holdings Inc. c. Misek, la Cour a confirmé les décisions respectives des juges saisis de la requête parce qu’ils avaient chacun une pleine appréciation de l’affaire. Dans l’affaire Mauldin c. Hryniak et Bruno Appliance and Furniture c. Hryniak, qui portaient sur des allégations de fraude, de complot, de négligence et de rupture de contrat et 28 volumes de preuve et 18 témoins, la Cour a statué que ces actions auraient dû être résolues lors d’un procès. Toutefois, compte tenu des coûts et des ressources dépensés par les parties, la Cour a permis que l’un des jugements soit maintenu au motif que le juge saisi de la requête avait pleinement apprécié la preuve dont il disposait. Dans l’affaire Parker c. Casalese, une affaire fondée sur les règles simplifiées, la Cour a confirmé la décision de la Cour divisionnaire de ne pas accorder de jugement sommaire au motif qu’une requête fondée sur des règles simplifiées dans ces circonstances ne permettait pas d’apprécier pleinement la preuve. La Cour d’appel a fourni des directives pour restreindre les questions en litige au procès.

Conclusion

La décision de la Cour d’appel apporte une certaine clarté à la règle du jugement sommaire de l’Ontario. Les plaideurs en Ontario sont préoccupés à juste titre par les coûts des litiges et cherchent des moyens rentables de résoudre leurs différends. Bien que les modifications apportées à la règle du jugement sommaire confèrent aux juges des pouvoirs accrus pour déterminer si un procès est nécessaire et facilitent l’objectif d’accès à la justice, il semble maintenant clair que les juges ne devraient tenir compte de cet objectif que lorsqu’ils ont une pleine appréciation des questions factuelles et juridiques en litige. Par conséquent, le jugement sommaire ne devrait être demandé que lorsque les questions en litige sont étroites et que la preuve n’est pas volumineuse, de sorte que le juge saisi de la requête puisse avoir une pleine appréciation. Cette décision n’est probablement pas le dernier mot sur les requêtes en jugement sommaire : au moins une des parties aux appels envisage d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Et, bien sûr, l’efficacité de cette décision ne se verra que dans son application par les juges de motion.


Remarques
  1. Avant 1985, le mécanisme du jugement sommaire était très limité et rarement utilisé.

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