Licences technologiques dans le contexte de la faillite et de l’insolvabilité d’un donneur de licence

24 juin 2013

Close

Les droits de propriété intellectuelle sont essentiels pour divers secteurs économiques. De nombreuses entreprises dépendent de la technologie sous licence pour fonctionner et survivre. La relation entre le donneur de licence et le preneur de licence peut se détériorer, surtout si le donneur de licence commence à montrer des signes de détresse ou, pire encore, devient insolvable. La législation canadienne offre une certaine clarté concernant les droits et obligations de chacune des parties en cas d’insolvabilité ou de faillite d’un titulaire de licence. Toutefois, il existe un degré important d’incertitude quant à ce qui peut arriver à une licence de propriété intellectuelle en cas d’insolvabilité d’un donneur de licence.

Il existe quatre voies principales pour une entreprise confrontée à l’insolvabilité: (i) cession en faillite; (ii) une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité; 1 (iii) les procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies; 2 et (iv) mise sous séquestre privée ou ordonnée par un tribunal. Cet article se concentrera sur les propositions en vertu de la LFI et les procédures engagées en vertu de la LACC qui impliquent une réorganisation plutôt qu’une liquidation. Les dispositions proposées dans la LFI et les dispositions de la LACC relatives à la résiliation ou à la renonciation aux contrats offrent aux titulaires de licence insolvables un certain sursis.

Insolvabilité du donneur de licence

La position canadienne

Historiquement, en raison de l’absence antérieure de tout pouvoir légal3, la jurisprudence canadienne a généralement statué que les syndics de faillite, les séquestres et les sociétés débitrices en cours de réorganisation avaient le pouvoir de renoncer aux contrats exécutoires4 qui avaient été conclus avant l’insolvabilité du débiteur.5 La jurisprudence canadienne actuelle n’est pas claire quant à savoir si une licence de propriété intellectuelle peut être qualifiée de contrat exécutoire.

Selon les circonstances, il pourrait être avantageux pour un donneur de licence insolvable de renoncer à ses licences de technologie afin qu’il puisse: i) mettre fin à ses obligations de prendre certaines mesures requises en vertu de la licence; ii) tenter de concéder une nouvelle licence de sa technologie à un taux plus élevé au preneur de licence ou à un tiers; ou iii) vendre la propriété intellectuelle purement et simplement, libre et libre de toute licence ou charge, à un prix plus élevé que si elle était grevée. Si la licence est déclinée, le preneur de licence est empêché de continuer à utiliser la propriété intellectuelle sous licence,6 et a simplement une réclamation non garantie pour dommages contractuels contre le donneur de licence insolvable, qui réclamation, en cas de succès, serait payée à partir de la propriété restante du donneur de licence insolvable, le cas échéant. 7

Les tribunaux canadiens de divers pays, et dans différents contextes d’insolvabilité, ont tenté de résoudre cette question, avec des résultats différents. Dans l’affaire Re Erin Features No. 1 Ltd.8, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué qu’une entente conclue par Erin Features, qui était en faillite, accordant des droits exclusifs de commercialisation au Canada à Modern Cinema ne pouvait pas être qualifiée de contrat exécutoire parce que la société cinématographique avait « ... s’est aliéné ses biens dans le film en vue de sa distribution au Canada9 » au moyen d’un moyen de cession valide. Le syndic de faillite n’a pas été autorisé à renoncer à l’entente, car il n’avait pas de meilleur droit sur les biens que le failli et ne pouvait pas mettre fin aux droits de propriété qui avaient été transférés à un tiers avant la faillite.

À l’inverse, dans l’affaire T. Eaton Co., Re10, dans le cadre d’une instance en vertu de la LACC, la T. Eaton Company a répudié un contrat de licence et de services de carte ainsi qu’un contrat de licence de marque de commerce de détail, qui permettaient collectivement à National Retail Credit Services Company d’agir à titre de fournisseur de cartes de crédit de marque privée de T. Eaton Company. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que la licence exclusive accordée à National Retail Credit Services Company n’avait pas pour effet de transférer un droit de propriété au titulaire de licence et pouvait donc être répudiée conformément au plan d’arrangement d’Eaton.

Outre le risque de voir son contrat de licence démenti en vertu de la jurisprudence existante, un preneur de licence traitant avec un donneur de licence insolvable est également exposé au risque que la licence de propriété intellectuelle sous-jacente soit vendue à un tiers. Par exemple, dans l’affaire Banque Royale du Canada c. Body Blue Inc.11, qui impliquait une mise sous séquestre, le titulaire de licence, Herbal Care, a soutenu que son droit de fabriquer et de vendre la technologie sous licence n’était pas affecté par une ordonnance conférant tous les droits, titres et intérêts des actifs du donneur de licence, y compris la technologie, à un tiers. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que le contrat de licence ne constituait pas une réclamation de propriété et a conclu que le processus par lequel les actifs du donneur de licence ont été transférés a été mené conformément à la loi applicable et aux ordonnances judiciaires rendues dans le cadre de l’instance. La Cour a statué que le titulaire de licence avait une licence exclusive pour utiliser la technologie, mais que même un accord de licence établi ne crée qu’un accord contractuel entre les parties, et non une réclamation de propriété. Le tiers a obtenu la technologie libre et libre de la licence de Herbal Care et tout ce qui restait à Herbal Care était une action en contrat contre le concédant de licence insolvable.

Modifications législatives

Au cours des dernières années, le Parlement a modifié la LFI et la LACC. Ces modifications créent plus de certitude en ce qui concerne le traitement des licences de technologie dans les propositions de faillite et de restructuration en vertu de la LACC. La LFI et la LACC12 permettent à un concédant de licence insolvable de « renoncer ou de résilier » toute entente à laquelle il est partie au début de la procédure de proposition en vertu de la LFI ou d’une restructuration en vertu de la LACC, sauf si le titulaire de licence continue de s’acquitter de ses obligations en vertu de l’entente applicable, auquel cas il aura le droit de continuer à utiliser la technologie sous licence, et d’imposer un usage exclusif. 13 ans

À ce jour, ces dispositions n’ont pas été examinées par les juges et l’ambiguïté de l’étendue de la protection offerte par ces articles n’a pas été clarifiée. Ni la LFI ni la LACC ne définissent les termes « propriété intellectuelle » ou « utilisation ». En outre, il n’est pas clair si les obligations accessoires entourant la licence, telles que le maintien des marques de commerce et d’autres droits de propriété intellectuelle, l’application de la loi, les mises à jour et le soutien technologique, peuvent être rejetées ou sont incluses dans le terme « propriété intellectuelle » aux fins de ces dispositions. La question de savoir si le droit d’un preneur de licence d’utiliser la propriété intellectuelle comprend d’autres droits distincts reconnus en vertu du droit de la propriété intellectuelle applicable, comme le droit de fabriquer et de vendre en vertu d’un brevet sous licence, reste également floue.

Les modifications législatives susmentionnées ont partiellement harmonisé le droit canadien de la faillite et de l’insolvabilité avec le cadre juridique adopté aux États-Unis, comme nous le voyons ci-dessous.

L’alinéa

365(a) du Code des faillites 14 des États-Unis permet à un syndic qui est investi des biens du concédant de licence en faillite de rejeter les « contrats exécutoires » (c.-à-d. les contrats qui contiennent des obligations continues du donneur de licence). Comme le Code ne dit rien sur la façon dont les contrats exécutoires devraient être définis, il a été laissé aux tribunaux le droit de définir ce terme et, par conséquent, la portée de l’alinéa 365a).

En appliquant l’alinéa 365a) du Code, la Cour d’appel des États-Unis, quatrième circuit, a statué dans l’affaire Lubrizol Enterprises, Inc. v. Richmond Metal Finishers, Inc.15 qu’un contrat est exécutoire si le « ... les obligations du failli et de l’autre partie au contrat sont jusqu’à présent non respectées que le défaut de l’un ou l’autre d’achever l’exécution constituerait une violation substantielle excusant l’exécution de l’autre ». 16 La Cour a statué que l’accord de licence en l’espèce était exécutoire parce que le donneur de licence continuait de lui devoir, entre autres choses, des obligations fondamentales d’abstention et d’avis et que le titulaire de licence lui devait une obligation continue de rendre compte et de payer des redevances pendant la durée de l’accord. En conséquence, le syndic du donneur de licence failli a pu renoncer à toutes les licences non exclusives du débiteur afin d’améliorer les conditions de vente de la technologie à une autre société de la part du donneur de licence en faillite. En effet, le preneur de licence a perdu le droit de continuer à utiliser la technologie sous licence.

En réponse à cette décision, le Congrès a adopté la Loi sur la faillite en matière de propriété intellectuelle17, qui a modifié le Code en ajoutant l’alinéa 365(n), qui prévoit, en partie, que si un syndic (ou un débiteur en possession du chapitre 11) renonce à une licence de propriété intellectuelle, le preneur de licence peut choisir de traiter la licence comme résiliée,18 ou de conserver ses droits, y compris un droit d’appliquer une disposition d’exclusivité, pour la durée de l’accord19 ce droit est soumis à l’obligation du preneur de licence d’effectuer tous les paiements dus en vertu de la licence. 20

Principales différences entre l’approche canadienne et américaine

La LFI et la LACC21 traitent des mêmes problèmes que ceux mis en évidence dans l’affaire Lubrizol. L’une des principales distinctions entre la législation américaine et la législation canadienne concerne le libellé des exclusions à l’égard des licences : l’approche américaine permet d’économiser l’intégralité du contrat de licence en accordant au preneur de licence la possibilité de conserver tous ses droits en vertu de la licence, ou « en vertu de tout accord supplémentaire » à la licence, pour la durée de la licence ou toute période pour laquelle la licence peut être prolongée. En revanche, la LFI et la LACC n’interdisent pas la renonciation ou la résiliation d’une licence de propriété intellectuelle; ils rendent plutôt une telle renonciation ou résiliation inefficace en ce qui concerne le droit d’une partie d’utiliser la propriété intellectuelle22, tant que le titulaire de licence continue de respecter ses obligations contractuelles à l’égard d’une telle utilisation.

Une autre différence importante entre les approches canadienne et américaine est le traitement du terme « propriété intellectuelle ». Ce terme a été défini dans le Code pour inclure, entre autres, les secrets commerciaux, les brevets et les questions protégées par le droit d’auteur. 23 Marques de commerce, cependant, ne sont pas incluses. Contrairement au Code, la « propriété intellectuelle » n’a pas été définie dans la LFI ou la LACC, ce qui peut faire en sorte que les protections s’étendent à toutes les formes de propriété intellectuelle enregistrable, y compris les marques de commerce. Cette question n’a pas encore été examinée par un tribunal.

Conclusion

Étant donné la position peu claire dans laquelle se trouvent les preneurs de licence de propriété intellectuelle en raison de l’état actuel du droit, un preneur de licence devrait examiner quelles mesures peuvent être prises à l’avance pour atténuer les risques découlant de l’insolvabilité d’un donneur de licence.

Les options peuvent inclure la recherche d’inclure dans le contrat de licence un libellé caractérisant la licence comme un contrat non exécutoire, ou exigeant que toute vente de la propriété intellectuelle par le donneur de licence soit soumise au consentement du preneur de licence ou à son droit de premier refus. De plus, un titulaire de licence devrait tenter d’obtenir un droit de propriété sur les droits de propriété intellectuelle sous-jacents parce qu’un fiduciaire ne peut pas renoncer aux droits de propriété qui sont transférés avant l’insolvabilité.

Les preneurs de licence ont de bonnes raisons de s’inquiéter de la perte potentielle de leurs droits de licence en cas de faillite ou de mise sous séquestre du donneur de licence. Avant de conclure un accord de licence, les titulaires de licence devraient tenir compte du profil de risque des concédants de licence avec lesquels ils concluent un contrat et consulter un avocat quant aux options du titulaire de licence en cas d’insolvabilité.

Remarques :

  1. L.R.C. 1985, ch. B-3 [ci-après la LFI].
  2. L.R.C. 1985, ch. 36 [ci-après la LACC].
  3. À l’exception des dispositions relatives aux baux commerciaux à l’article 65.2, la LFI n’a pas dit si un autre type d’accord pouvait être refusé.
  4. Au Canada, un contrat a généralement été jugé exécutoire si l’une des parties n’a pas encore satisfait à ses obligations en vertu de celui-ci (Kary Investment Corporation c. Tremblay, 2005 ABCA 273).
  5. Voir, par exemple: New Skeena Forest Products Inc., c. Don Hull & Sons Contracting Ltd., 2005 BCCA 154, et les arrêts qui y sont cités; et Re Blue Range Resource Corp., (1999), [2000] 245 A.R. 172, 72 Alta. L.R. (3d) 196 (B.R. Alb.); infirmé pour d’autres motifs à [2001] 2 W.W.R. 454, 87 L.R. Alta. (3d) 329 (C.A. Alb.). Toutefois, certains tribunaux ont déclaré que le pouvoir des syndics de renoncer à des ententes est ténu. Dans l’arrêt Re Erin Features No. 1 Ltd., 8 C.B.R. (3d) 205 (C.S.C.-B.), par exemple, le juge Donald a conclu, au paragraphe 4, que « ... le pouvoir de renoncer a été faiblement appuyé dans l’argumentation par des dicta dans l’autorité canadienne ». Voir aussi Triangle Lumber & Supply Co., Re, 21 O.R. (2d) 221, 90 D.L.R. (3d) 152 (C. Sup. Ont.).
  6. Il convient de noter que le professeur Roderick J. Woods est d’avis qu’un contrat de licence décliné n’équivaut pas nécessairement à la résiliation d’un contrat de licence; au contraire, une clause de non-responsabilité permet simplement à un preneur de licence de choisir de traiter le contrat de licence comme résilié ou de poursuivre son exécution future en vertu de l’accord, et donc de continuer à utiliser la propriété intellectuelle sous licence (R. J. Woods, Bankruptcy and Insolvency Law (Toronto : Irwin Law, 2008), à la no 162).
  7. T. Eaton Co., Re, 14 C.B.R. (4th) 288, [1999] O.J. no 4216 (C.S.Ont.).
  8. 8 C.B.R. (3d) 205 (C.S.C.-B.) [ci-après Erin Features].
  9. Ibid. au para. 2.
  10. Supra, note 10 [ci-après T. Eaton].
  11. [2008] O.J. no 1628 (C.P.S. Ont.) [ci-après Body Blue].
  12. L’article 65.11 de la LFI et l’article 32 de la LACC.
  13. Le paragraphe 65.11(7) de la LFI et le paragraphe 32(6) de la LACC.
  14. Bankruptcy Code, 11 U.S.C. [ci-après le Code].
  15. 756 F.2d 1043 (4th Cir. 1985) [ci-après Lubrizol] à la p. 1045.
  16. Il convient de noter que cette définition est plus étroite que celle généralement adoptée par la jurisprudence canadienne. Par conséquent, les obligations tant importantes que non matérielles seraient, en théorie du moins, saisies par la définition canadienne de « contrat exécutoire ».
  17. Pub. L. No. 100-506 [l'«IPBA»].
  18. l’alinéa 365n)(1)a) du Code, précité.
  19. Ibid. à l’alinéa 365n)(1)b).
  20. Ibid., au sous-alinéa 365n)(2).
  21. Supra 12
  22. Le paragraphe 65.11(7) de la LFI et le paragraphe 32(6) de la LACC.
  23. Ibid., au par. 101(35A).

Authors

Liens connexes

Expertise connexe



View Full Mobile Experience