Scotus modifie les règles d’interprétation des revendications de brevet en appel

29 janvier 2015

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La Cour suprême du Canada peut-elle être loin derrière?

Écrit par L.E. Trent Horne and Dominique T. Hussey

Depuis près de 100 ans, les tribunaux canadiens ont toujours soutenu que l’interprétation d’une revendication de brevet est une question de droit. Dans presque tous les contextes, les questions de droit sont examinées de novo, sans retenue. Comme les cours d’appel canadiennes décrivent régulièrement l’interprétation de la revendication uniquement comme une « question de droit »1, dans la pratique, il n’est pas clair si les conclusions de fait du juge de première instance font l’objet d’une retenue dans l’interprétation de la revendication (par exemple, dans l’évaluation des connaissances générales courantes qui éclairent le sens des termes de la revendication). À la lumière de l’avis de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Teva Pharmaceuticals USA, Inc. v. Sandoz, Inc.2 et l’évolution récente du droit canadien, ce principe est mûr pour être réexaminé au Canada.

La décision SCOTUS Teva : La recherche des faits subsidiaires attire un examen de déférence

La Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral examine depuis longtemps l’interprétation d’un juge d’un tribunal de district d’une revendication de brevet sans déférence - de novo - comme une pure question de droit. Mais loin d’être dissociée des faits, l’interprétation des revendications est une pratique qui repose sur des « fondements de preuve ». Ces fondements éclairent le sens des termes de revendication dans le contexte de l’invention brevetée et pour ceux qui sont qualifiés dans la technologie associée. L’interprétation de la revendication établit les « limites » d’une revendication, qui à son tour définit les limites des droits exclusifs d’un breveté. Par conséquent, l’interprétation de la revendication peut avoir une incidence profonde sur la question ultime de chaque affaire de brevet: si le défendeur est responsable de la contrefaçon ou si la revendication revendiquée est même valide. L’examen de novo de l’interprétation d’une revendication par un tribunal donne un taux d’annulation plus élevé que l’examen en vertu d’une norme plus déférente. Il peut donc avoir un impact économique énorme; l’inversion dicte la différence entre la concurrence sur le marché et aucune, et la responsabilité pour les dommages-intérêts par rapport à aucune. À cet égard, les circonstances de l’affaire Teva c. Sandoz sont emblématiques.

Dans l’affaire Teva, le différend portait sur le sens de l’expression « poids moléculaire », qui définissait un ingrédient utilisé dans la méthode de fabrication d’une drogue alléguée. Bien qu’il s’agisse d’une expression courante pour le scientifique profane, la Cour a consulté la preuve d’expert pour résoudre la question de savoir si l’expression « poids moléculaire » admettait ou non trois significations différentes de celles des personnes versées dans la science pertinente. Dans l’affirmative, la demande était fatalement indéfinie – à défaut d’établir les limites – et donc invalide.

Le tribunal de district a résolu le différend en faveur d’un sens unique pour « poids moléculaire », jugeant la réclamation valide et contrefaite. La cour d’appel a infirmé cette décision : le brevet a été jugé invalide et n’a pas été contrefait. Comme c’était généralement le cas, le circuit fédéral a examiné de novo l’interprétation de la réclamation du tribunal de district, y compris les faits sous-jacents.

La Cour suprême a annulé la décision, annonçant que les conclusions de fait qui sous-tendent l’interprétation de la revendication ne devraient pas être examinées de novo. En ce qui concerne l’interprétation de la revendication, il n’y a pas d'«exception à la règle ordinaire régissant l’examen en appel des questions factuelles ». 3 Les cours d’appel sont donc maintenant tenues d’examiner toutes les conclusions de fait subsidiaires pour revendiquer l’interprétation selon la norme « manifestement erronée ». La Cour suprême a expliqué que lorsque la science de base est consultée, ou l’historique de la façon dont le terme est compris, il s’agit de « fondements de la preuve », et cette « recherche subsidiaire des faits doit être examinée pour toute erreur manifeste en appel ». 4

Toutefois, il ne faudra pas toujours faire preuve de retenue. Comme l’ont déclaré les juges majoritaires, « lorsque le tribunal de district n’examinera que les éléments de preuve intrinsèques au brevet (les revendications et le mémoire descriptif du brevet, ainsi que l’historique des poursuites du brevet), la décision du juge équivaudra uniquement à une détermination de la loi, et la Cour d’appel examinera cette interprétation de novo ». 5 De plus, « la question ultime de l’interprétation demeurera une question juridique », qui sera examinée de novo. 6

Le fait que la conclusion de fait « peut être presque déterminante » ne rend pas la question subsidiaire juridique. 7 Toutefois, ce caractère quasi déterminant, jumelé à l’examen par déférence, fait de la nouvelle norme de contrôle un changement important qui, par hasard, est mûr pour être pris en considération au Canada.

L’adhésion du Canada à l’interprétation des revendications comme question de droit : toutes les racines, pas de terrain?

Au Canada, de nombreuses affaires de brevets citent la décision de la Cour suprême dans l’affaire Whirlpool Corp c Camco Inc8 pour le principe selon lequel l’interprétation des revendications est une question de droit. Cela a été accepté et appliqué à la Cour fédérale, avec peu d’examen détaillé. Ce principe trouve ses racines dans la jurisprudence de la Cour suprême et dans la Loi d’interprétation, mais avec peu d’examen explicite de la norme de contrôle appropriée.

L’affaire Whirlpool a fait date, en partie parce qu’elle rejetait la doctrine de longue date de la violation quant au fond , c’est-à-dire qu’une revendication pouvait être contrefaite s’il y avait violation littérale, ou si l’activité du défendeur s’apprordait le « caractère véritable » de l’invention. La violation quant au fond a donné au juge du procès un énorme pouvoir discrétionnaire et a rendu l’analyse de la contrefaçon imprévisible. En rejetant la contrefaçon de fond, les tribunaux ont reçu l’ordre d’interpréter les revendications d’une manière « téléulsive » et d’appliquer cette même interprétation pour déterminer la contrefaçon et la validité du brevet.

Whirlpool n’a pas inclus d’analyse détaillée des normes de contrôle en appel. Plus précisément, la Cour n’a pas examiné la question de savoir si une cour d’appel peut ou doit examiner les conclusions de fait du juge de première instance sur une base de novo. Par exemple, les conclusions du juge de première instance quant à la connaissance générale commune de la personne versée dans le métier à qui le brevet s’adresse (qui doit éclairer sinon définir toute l’interprétation de la revendication) devraient-elles faire l’objet d’une retenue? L’instruction de la Cour est la suivante: « [l]a construction des réclamations est une question de droit pour le juge, et il avait tout à fait le droit d’adopter une interprétation des réclamations qui différait de celle avancée par les parties. » Bien qu’aucune autorité n’ait été citée ici, la déclaration est conforme à la décision rendue en 1934 par la Cour suprême dans l’affaire Western Electric Co c. Baldwin International Radio of Canada. 9 Dans cette affaire, la Cour suprême a clairement indiqué que l’interprétation de la revendication est une question de droit et qu’il appartient à un expert ou à un jury de trancher.

À cet égard, Western Electric s’accorde avec la pratique moderne. Contrairement aux États-Unis, presque toutes les affaires de brevets canadiens sont introduites devant la Cour fédérale du Canada, où les jurys sont interdits. 10 De plus, l’arrêt Western est conforme au principe moderne selon lequel les experts ne devraient pas se prononcer sur la question ultime11, car c’est le rôle de la Cour. Cependant, d’autres aspects de Western Electric n’ont pas résisté à l’épreuve du temps. Plus précisément, dans l’arrêt Western Electric, la Cour a déclaré qu’une fois que les revendications ont été interprétées, l’étape suivante consiste à déterminer si l’invention a été « en substance » adoptée par le défendeur — l’approche adoptée par le défendeur pour déterminer la contrefaçon que la Cour suprême a expressément rejetée dans l’arrêt Whirlpool. Si la violation quant au fond n’est plus un bon droit, alors d’autres questions dans l’affaire Western Electric, comme la norme de contrôle, se prêtent certainement tout autant à un réexamen.

Le principe selon lequel l’interprétation des revendications est une question de droit est également ancré dans la loi. Le terme « lettres patentes » est inclus dans la définition de « réglementation » dans la Loi d’interprétation du Canada. Comme son nom l’indique, la Loi d’interprétation fournit des directives sur la façon dont les « textes législatifs » du gouvernement doivent être interprétés (p. ex., lorsqu’ils entrent en vigueur et calcul des délais). La Loi d’interprétation exige également qu’un texte législatif reçoive une interprétation aussi juste, large et libérale que celle qui assure au mieux la réalisation de ses objectifs (une directive qui est très conforme à ce que la Cour suprême a dit dans l’arrêt Western Electric). Toutefois, bien que la Loi d’interprétation fournisse des indications précieuses sur la façon dont un brevet devrait être interprété, elle ne dit rien sur les normes d’examen en appel.

La pratique canadienne devrait-elle être considérée comme de novo?

Des décisions récentes portant sur le rôle des cours d’appel laissent entendre que le fait de décrire et de traiter l’interprétation d’une revendication comme une question de droit (lorsqu’aucune déférence n’est démontrée à l’égard des conclusions de fait du juge de première instance) est de plus en plus en décalage avec la jurisprudence canadienne.

Les erreurs de droit font l’objet d’un examen de novo, sans retenue en vertu de la norme de la « décision correcte », parce que « le principe de l’universalité exige que les cours d’appel veillent à ce que les mêmes règles de droit soient appliquées dans des situations semblables » et permettent à la Cour d’appel de remplir son rôle de « règlement du droit ». 12 Pour infirmer les conclusions de fait, l’erreur doit être manifeste et dominante. Cette norme de contrôle plus déférente est décrite de façon colorée comme suit : « [l]orsqu’il ne suffit pas de tirer sur les feuilles et les branches et de laisser l’arbre debout. Tout l’arbre doit tomber. 13 ans

Les questions mixtes de fait et de droit sont généralement à l’origine de la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que le juge du procès n’ait commis une erreur extirpable (de droit) dans la qualification de la norme juridique ou de son application. 14 La Cour suprême a décrit les questions mixtes de fait et de droit comme étant celles qui impliquent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits. Cela décrit précisément l’exercice de l’interprétation de la revendication, mais ce n’est pas ainsi que l’exercice est décrit dans la jurisprudence.

L’interprétation de la revendication exige nécessairement deux étapes : le juge de première instance (1) examine la loi pertinente sur l’interprétation des revendications, puis (2) applique cette loi aux « faits » de l’espèce, c’est-à-dire que ce que le brevet énonce et revendique est l’invention, la portée de l’exclusivité à la lumière de la compréhension de la personne versée dans le métier. On peut soutenir que, parce que les brevets sont des documents écrits, leur interprétation, comme l’interprétation des lois, relève de la compétence de la Cour. Toutefois, les lois, ou en vertu de la Loi d’interprétation, les « règlements », ne sont pas nécessairement des comparateurs ou des désignations appropriés pour les brevets.

Revenant à l’arrêt Teva des États-Unis, la Cour suprême a comparé l’exercice d’établissement des faits qui sous-tend l’interprétation des lois — une pure question de droit — à l’exercice d’interprétation de la revendication. Alors que les lois s’adressent à un grand public et se préoccupent de faits liés à un « ensemble raisonnablement large de circonstances sociales », les brevets « reposent généralement sur l’examen par quelques parties privées, experts et administrateurs de faits plus étroitement circonscrits liés à des questions techniques spécifiques ». 15 En revanche, la Cour a « comparé à maintes reprises l’interprétation d’une revendication de brevet à l’interprétation d’autres instruments écrits tels que les actes et les contrats ». 16

Un brevet est de nature plus contractuelle que légale. Dans le cours normal des activités, la portée du brevet touche une poignée de concurrents potentiels, et non le grand public. L’interprétation des brevets impliquera presque toujours la résolution de preuves d’experts concurrentes pour établir les circonstances qui éclairent l’interprétation. Ces circonstances ne peuvent pas réclamer le rôle général de la Cour d’appel en matière de règlement des lois. En droit canadien, les circonstances favorisent plutôt une norme plus déférentielle dans le contexte de l’interprétation des revendications.

La Cour suprême du Canada a récemment abandonné l’approche historique qui consiste à examiner, en tant que question de droit, les droits et obligations en vertu d’un contrat écrit. Alors que, à quelques exceptions près, la preuve parol (ou extrinsèque) était inadmissible aux fins de l’interprétation d’un contrat, maintenant les circonstances entourant les contrats — les faits — peuvent toujours être prises en compte et faire l’objet d’une norme de contrôle plus déférente. 17 ans

De même, en droit administratif, il y a eu un changement clair vers la déférence accordée aux décideurs administratifs, même sur les questions de droit. À partir de l’article 18 dunsmuir et jusqu’aux décisions subséquentes19, la portée des questions de droit pour lesquelles un examen de novo est justifié devient de plus en plus limitée. Le caractère raisonnable est devenu la norme de contrôle dominante – à condition que le résultat se situe dans une gamme de résultats acceptables, il ne sera pas perturbé en appel. Bien que la Cour suprême ait clairement indiqué que les normes de contrôle des décisions des tribunaux administratifs ne doivent pas être confondues avec les normes de contrôle en appel20, l’approche est instructive quant à la façon dont les cours d’appel considèrent leur rôle.

Les faits parlent d’eux-mêmes

Contrairement à l’examen en appel du droit administratif et du droit des contrats, la Cour suprême n’a pas donné de directives claires sur la façon dont les cours d’appel devraient examiner les conclusions factuelles d’un juge de première instance lorsqu’elles examinent l’interprétation d’une revendication. En pratique, la Cour d’appel fédérale a décrit l’interprétation de la revendication comme une question de droit, mais il n’est pas clair si les faits sous-jacents ont été balayés dans un examen de novo, ou si une démonstration d’erreur manifeste et dominante a été effectivement requise. Les faits sous-jacents sont rarement examinés en termes de norme de contrôle. L’interprétation des revendications est souvent jugée « correcte », « appropriée » ou « incorrecte ». Toutefois, la déférence à l’égard des faits sous-jacents n’est pas expresse ou n’est pas apparente, ce qui semble de plus en plus en décalage avec l’approche moderne de l’examen en appel au Canada. Nous prévoyons qu’au fil du temps, l’examen en appel de l’interprétation des revendications sera clarifié par la Cour suprême, et la pratique convergera avec le récent résultat aux États-Unis.

Notes

  1. En faisant référence au principe selon lequel « [l]'évaluation de la preuve d’expert par un juge ne sera pas infirmée en appel en l’absence d’une erreur manifeste et dominante ». Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée 2013 CAF 219 à 74-75
  2. Teva Pharmaceuticals USA, Inc. c. Sandoz, Inc. 574 US____ (2015) (Affaire no 13-854)
  3. Id., à la p. 6
  4. Id. à la p. 12
  5. Id., p. 11 et 12
  6. Id., à la p. 13
  7. Idem. à la p. 13
  8. [2000] 2 RCS 1067
  9. [1934] RCS 570
  10. Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F-7), article 49
  11. R. c Mohan, [1994] 2 RCS 9
  12. Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, 2002 CSC 33
  13. Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165
  14. Housen c. Nikolaisen, au numéro 36
  15. Teva, à la p. 11
  16. Id., à la p. 11
  17. Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53
  18. Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190
  19. Alberta (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée) c Alberta Teacher’s Association, 2011 CSC 61; McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission) 2013 CSC 67
  20. Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36

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