L’appel de marque en matière d’énergie réaffirme le droit des plans d’arrangement au Canada

08 décembre 2016

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Écrit par Michael Theroux, Brent Kraus, Harinder Basra, Codie Chisholm and Duncan D'Arcy

Dans une décision rendue le 15 novembre 2016, la Cour d’appel de l’Alberta a accueilli l’appel de Marquee Energy Ltd. (Marquee) d’une décision antérieure de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta qui avait exigé, comme condition à toute approbation finale d’un plan d’arrangement impliquant Marquee, Alberta Oilsands Inc. (AOS) et les actionnaires de Marquee, que le plan d’arrangement de Marquee prévoit un vote des actionnaires d’AOS. Notamment, dans le contexte de la transaction proposée, les actions d’AOS n’étaient pas arrangées et, par conséquent, la décision du tribunal inférieur représentait un écart marqué par rapport à la jurisprudence antérieure concernant les plans d’arrangement au Canada.

Dans sa décision, la Cour d’appel a insisté sur trois motifs pour accueillir l’appel :

  1. Les dispositions de la Business Corporations Act (ABCA) de l’Alberta qui traitent de l’équité et du caractère raisonnable d’un plan d’arrangement ne font référence qu’aux porteurs de titres et aux créanciers de la société en cours d’arrangement.
  2. Le rôle de la Cour est d’évaluer le plan d’arrangement dont elle est saisie, et non le processus par lequel il a été élaboré ou les étapes subséquentes nécessaires à la mise en œuvre du plan d’affaires des parties.
  3. Les administrateurs d’une société sont tenus de résoudre les intérêts des différents intervenants (qui ne sont pas toujours alignés), et la Cour devrait s’en remettre à l’expertise des administrateurs dans ces situations.

Historique

En mai 2015, le gouvernement de l’Alberta a annulé un certain nombre de concessions d’exploitation des sables bitumineux appartenant à AOS en échange d’une compensation d’environ 35 millions de dollars. En prévision de recevoir cette rémunération, AOS avait divulgué publiquement le lancement d’un processus visant à identifier, examiner et envisager une gamme de solutions de rechange stratégiques. À la suite de ce processus stratégique, en décembre 2015, AOS et Marquee ont conclu une entente de confidentialité et entamé des discussions préliminaires concernant un éventuel regroupement d’entreprises.

Au début de 2016, Smoothwater Capital Corporation (Smoothwater) a annoncé qu’elle avait acquis plus de 10 % des actions d’AOS et a proposé à AOS de liquider la société et de distribuer les liquidités restantes à ses actionnaires. Par la suite, en mars 2016, Smoothwater a avisé AOS de demander la tenue d’une assemblée des actionnaires d’AOS dans le but de voter pour remplacer un certain nombre d’administrateurs d’AOS. AOS a prévu la réunion demandée pour septembre 2016.

Au cours de l’été 2016, les négociations entre Marquee et AOS se sont poursuivies. Ces négociations ont abouti à une entente d’arrangement datée du 19 août 2016, qui prévoyait un plan d’arrangement en vertu duquel AOS ferait l’acquisition de Marquee, les actionnaires de Marquee échangeant chaque action de Marquee contre 1,67 action d’AOS (l’arrangement). À la suite de l’arrangement, Marquee deviendrait une filiale en propriété exclusive d’AOS et, immédiatement après la conclusion de l’arrangement, AOS et Marquee compléteraient une fusion verticale abrégée et continueraient sous le nom de « Marquee Energy Ltd. ». Étant donné qu’AOS n’était que l’émetteur d’actions dans le cadre de l’arrangement et que ni AOS ni ses actionnaires n’étaient en train d’être arrangés, l’arrangement tel que proposé n’exigeait pas un vote des actionnaires d’AOS en vertu de l’ABCA.

À la suite de la réception d’une ordonnance provisoire de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta prévoyant la convocation d’une assemblée des actionnaires de renom pour voter sur l’arrangement, Smoothwater a présenté une demande de modification de l’ordonnance provisoire afin d’accorder aux actionnaires d’AOS le droit de vote. Cette demande a donné lieu à une ordonnance de la Cour selon laquelle Marquee ne pouvait pas demander l’approbation finale de l’arrangement à moins que les actionnaires d’AOS n’aient obtenu un vote sur l’arrangement et n’aient obtenu des droits de dissidence, chacun d’une manière similaire à ces droits accordés aux actionnaires de Marquee.

Pour en arriver à sa décision, la Cour du Banc de la Reine a conclu que la principale raison de la structure choisie de l’arrangement était de priver les actionnaires d’AOS de leur droit de vote sur la fusion abrégée subséquente après la clôture, et que cette fusion était l’essence même de la transaction proposée. Sur cette base, la Cour a déterminé que l’arrangement n’avait pas été présenté de bonne foi et qu’il ne réglait pas les intérêts des actionnaires d’AOS de manière juste et raisonnable.

Marquee a interjeté appel de la décision de la Cour du Banc de la Reine.

Décision

Pour en arriver à sa décision d’accueillir l’appel de Marquee et de conclure l’arrangement sans un vote des actionnaires d’AOS ou des droits de dissidence en faveur des actionnaires d’AOS, la Cour d’appel s’est fondée sur les motifs suivants :

  1. En examinant l’équité et le caractère raisonnable d’un arrangement, la Cour se préoccupe principalement des intérêts des porteurs de valeurs mobilières et des créanciers de la société en cours d’arrangement.

    Le statut de Smoothwater pour contester l’équité de l’arrangement a été limité parce que le paragraphe 193(2) de l’ABCA ne fait référence qu’aux porteurs de sûretés et aux créanciers de la société en cours d’arrangement, et ne prévoit ni n’exige l’approbation par le tribunal d’un arrangement du point de vue d’une autre personne. Les administrateurs d’AOS avaient à première vue le droit d’exécuter les changements fondamentaux d’AOS conformément à l’ABCA, et n’avaient besoin de l’approbation des actionnaires que lorsque la loi l’exigeait.

    La décision de la Cour d’appel a implicitement confirmé qu’en vertu du droit des sociétés, le pouvoir de réaliser une acquisition par l’émission d’actions appartient au conseil d’administration de l’acquéreur.  Par conséquent, la décision a permis d’éviter un résultat divergent entre l’implication d’un acquéreur utilisant un plan d’arrangement et d’autres structures d’acquisition d’actions, telles qu’une offre publique d’achat d’actions.
  2. Le rôle de la Cour est d’évaluer l’arrangement dont elle est saisie, et non le processus par lequel il a été élaboré, d’autres structures qui auraient pu être utilisées pour effectuer l’opération ou les étapes subséquentes nécessaires à la mise en œuvre du plan d’affaires des parties.

    La Cour d’appel a conclu que le raisonnement du tribunal inférieur selon lequel l’opération était en substance une fusion était inapproprié, tout comme la requalification de l’opération par le tribunal inférieur du point de vue d’AOS.  Le rôle de la Cour est d’évaluer l’arrangement qui lui est présenté, et non le processus par lequel il a été élaboré ou les étapes subséquentes nécessaires à la mise en œuvre du plan d’activités.  Étant donné que l’arrangement dont la Cour était saisie était un arrangement d’actions de Marquee, et non celles d’AOS, la Cour d’appel a déterminé que le critère d’équité et de caractère raisonnable pour les plans d’arrangement prévu dans l’arrêt BCE Inc. c. 1976 Débenturesholders, 2008 CSC 69 (BCE) doit être appliqué du point de vue de Marquee, et non d’AOS.  Les arrangements n’exigent pas nécessairement un vote des actionnaires, et structurer l’opération de manière à éviter de déclencher un vote ou des droits de dissidence n’est pas déraisonnable, injuste ou démontrant la mauvaise foi.  En ce sens, la décision de la Cour d’appel faisait suite à des conclusions semblables tirées dans l’affaire McEwen v Goldcorp Inc., [2006] OJ no 4265, 2006 CarswellOnt 6584 (Div Ct de l’Ontario).
  3. Les administrateurs sont tenus de résoudre la tension entre les différentes parties prenantes, et la Cour devrait s’en remettre à l’expertise des administrateurs dans ces situations.

    La Cour d’appel a reconnu que les administrateurs doivent prendre des décisions concernant le fonctionnement de la société et qu’il peut être impossible de concilier tous les intérêts. Lors de la négociation de l’arrangement, les administrateurs d’AOS ont été tenus de résoudre la tension entre les différents intervenants d’AOS, et la Cour devrait s’en remettre à l’expertise des administrateurs dans ces situations.

    La Cour a reconnu de multiples avantages commerciaux pour structurer l’opération à l’aide d’un arrangement de plan approuvé par la Cour. En particulier:

    • Un vote des actionnaires d’AOS déclencherait des droits de dissidence, et éviter un vote garantirait qu’AOS n’aurait pas à détourner de l’argent des objectifs commerciaux sous-jacents des parties pour payer les actionnaires dissidents.
    • L’approbation de la transaction par les tribunaux a été utile pour accorder aux parties une dispense de l’obligation d’enregistrer les actions D’AOS pouvant être émises aux actionnaires de Marquee résidant aux États-Unis en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières de 1933.
    • Le fait de ne pas exiger un vote des actionnaires d’AOS a assuré une « certitude transactionnelle », y compris dans le contexte de l’opposition de Smoothwater à l’arrangement, ce qui était une considération particulièrement importante pour Marquee.

Pour rendre sa décision, la Cour d’appel a également souligné l’importance de la certitude en droit commercial pour ceux qui contrôlent ou conseillent des sociétés ouvertes. Le choix de la façon de structurer une opération ne devrait pas être retiré aux administrateurs sans une disposition législative expresse à cet effet. En ce sens, la décision de la Cour d’appel a empêché les résultats substantiellement divergents qui découleraient du choix de la structure de l’opération (par exemple, lorsque les administrateurs d’un acquéreur conserveraient le pouvoir, en vertu du droit des sociétés, d’émettre des actions dans le cadre d’une offre publique d’achat d’actions, mais qu’un tel pouvoir pourrait lui être retiré dans le cadre d’un plan d’arrangement).

En raison de ces facteurs, la Cour d’appel a déterminé qu’une assemblée des actionnaires d’AOS n’était pas nécessaire. Fait intéressant, la Cour s’est demandé si la demande de Smoothwater était irrecevable parce qu’elle ne faisait que promouvoir des « intérêts économiques » (p. ex. la dilution) et non des « intérêts juridiques », une distinction faite dans l’arrêt BCE. La Cour a jugé difficile d’établir une distinction entre les intérêts économiques et juridiques de Smoothwater, déclarant que BCE ne devrait pas être interprété comme concluant que les intérêts économiques ne sont pas pertinents et statuant que la demande de Smoothwater ne pouvait être rejetée au motif qu’elle ne vise qu’à promouvoir des intérêts économiques.

Répercussions futures

La décision de la Cour d’appel met l’accent sur la déférence que les tribunaux devraient accorder aux parties commerciales dans le choix de la façon de structurer les opérations et offre une plus grande certitude aux parties qui utilisent des plans d’arrangement approuvés par la Cour. De plus, la décision confirme pour les parties à la transaction et leurs conseillers le fondement antérieur sur lequel les fusions et acquisitions canadiennes ont été structurées.

Ce qui n’est pas clair, c’est le rôle des parties dans les procédures d’arrangement dont les seuls intérêts réalisés sont économiques et qui ne sont pas des parties prenantes de la société qui propose l’arrangement. Bien que ces parties n’auront pas le droit de vote, la Cour a indiqué que ces intérêts demeurent pertinents, mais la façon dont ils seront pris en compte lors des futures audiences sur l’équité n’a pas été définie.

Bennett Jones LLP a agi à titre de conseiller juridique de Marquee Energy Ltd. dans le cadre de l’arrangement et de l’appel de Marquee devant la Cour d’appel.

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