Cour d’appel fédérale : Le gouvernement n’a pas consulté adéquatement les Premières Nations au sujet de Northern Gateway

25 juillet 2016

Close

Écrit par David Bursey, Brad Gilmour, Radha Curpen, Jessica Mathewson and Francco De Luca

Le 23 juin 2016, la Cour d’appel fédérale a infligé au projet Northern Gateway un autre revers procédural dans sa décision sur Gitxaala Nation c Canada (2016 CAF 187). Dans une décision partagée à 2 contre 1, la Cour a annulé l’approbation par le Cabinet fédéral en juin 2014 du pipeline Northern Gateway d’Enbridge. La majorité de la Cour est d’avis que le cadre de consultation des Autochtones du gouvernement est inadéquat - « est bien en deçà de la cible ». Le juge dissident n’était pas d’accord.

Cette décision traite de questions découlant de l’intersection de l’obligation de consulter, de l’évaluation environnementale et du processus du tribunal administratif. Le tribunal a affirmé qu’il n’étendait pas les principes juridiques existants et n’en énonait pas de nouveaux. Toutefois, la décision répond à de nombreuses questions sur ce que l’obligation de consulter implique dans le contexte d’une évaluation environnementale à laquelle on n’a pas répondu jusqu’à maintenant.

La Cour a qualifié la consultation gouvernementale précédant la décision du Cabinet de maillon faible de la chaîne d’approbation. Cette décision a d’importantes répercussions pratiques sur l’examen des grands projets énergétiques et sur ceux qui y participent. Elle a également des répercussions plus vastes sur le développement efficace et responsable des ressources du Canada.

Aperçu du processus menant à la décision

Le processus réglementaire pour ce projet a commencé en 2006, lorsqu’une commission d’examen conjoint a été mise sur pied pour examiner le projet en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie (Loi sur l’ONÉ) et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE). En 2009, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a publié un cadre de consultation exhaustif pour décrire la façon dont la Couronne fédérale consulterait les collectivités autochtones touchées.

Le cadre de consultation a établi les phases de consultation

En décembre 2013, après une audience de 18 mois, la Commission d’examen conjoint a publié son rapport, recommandant que le projet soit approuvé sous réserve de 209 conditions. La phase IV du programme de consultation du gouvernement a commencé après la publication du rapport. Au cours de cette phase, des représentants de l’ACÉE ont tenu des réunions avec les représentants des Premières Nations pour discuter de leurs préoccupations. En avril 2014, ces fonctionnaires ont préparé un rapport de consultation de la Couronne à l’adresse au Cabinet.

En juin 2014, le Cabinet fédéral a approuvé le projet sous réserve des conditions énoncées dans le rapport de la Commission d’examen conjoint.

18 contestations judiciaires regroupées en une seule instance

De nombreuses Premières Nations et organisations non gouvernementales ont contesté de nombreux éléments du processus de réglementation. Les demandeurs, dans diverses combinaisons, ont contesté trois décisions administratives distinctes au motif que la Couronne ne s’était pas conformée à son obligation de consulter les peuples autochtones :

Cette affaire a regroupé les 18 demandes différentes en une seule procédure qui, selon le compte de la Cour, était « l’une des plus grandes procédures jamais poursuivies par la Cour », avec plus de 250 000 documents et plusieurs parties.

Analyse et décision de la CAF

Quelle décision administrative devrait être contestée?

La Cour a conclu que « l’attaque principale doit être contre le décret du gouverneur en conseil »1 - la décision du Cabinet en juin 2014. La Cour a fait remarquer : « Personne d’autre que le gouverneur en conseil ne décide quoi que ce soit. » 2

Après avoir examiné les autres décisions administratives, le tribunal a conclu

La question de savoir quelle décision administrative peut être contestée est importante et complexe dans un examen de grand projet, compte tenu des nombreuses étapes procédurales et de l’interaction entre les branches administrative et exécutive du gouvernement. De plus, la détermination de la façon dont l’obligation de consulter est remplie et de l’endroit où elle est remplie est liée à cette analyse du processus décisionnel de la Couronne.

La Cour a noté au paragraphe 142

Au Canada, le pouvoir exécutif est dévolu à la Couronne - la Couronne étant également assujettie à l’obligation de consulter les peuples autochtones - et le gouverneur en conseil est l’organe consultatif, certains pourraient dire le véritable initiateur, pour l’exercice d’une grande partie de ce pouvoir exécutif.

Norme de contrôle applicable aux décisions du Cabinet - Caractère raisonnable - « Marge d’appréciation la plus large »

Pour en arriver à sa décision sur le projet, le Cabinet a dû trouver un équilibre entre un large éventail d’intérêts publics, « dont la plupart relèvent davantage du domaine de l’exécutif, tels que les questions économiques, sociales, culturelles, environnementales et politiques ». 5

La Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à de telles décisions - fondée sur l’examen le plus large de la politique et de l’intérêt public - est celle de la décision raisonnable, fondée sur les principes que la Cour suprême du Canada (CSC) a énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. La Cour a jugé que le Cabinet avait droit à la « plus grande marge d’appréciation » pour rendre sa décision discrétionnaire en vertu des articles 53 et 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. 6

En fin de compte, la Cour a conclu que la décision du Cabinet d’approuver le projet était raisonnable sur la base des principes du droit administratif. La lacune a été constatée lors de la consultation.

Caractère adéquat de la consultation de la Couronne - Norme raisonnable, et non perfection

Pour jeter les bases de son analyse, la Cour a réaffirmé les principes établis dans l’affaire Haïda, puis réaffirmé dans l’affaire Rio Tinto 7

De nombreux aspects des efforts globaux de consultation ont été remis en question. En fin de compte, la Cour a conclu que seule la consultation de la phase IV manquait. Avant de passer à cette analyse, il est instructif d’examiner l’analyse par la Cour des autres défis :

Les quatre autres préoccupations concernaient la consultation du Canada au cours de la phase IV. La décision majoritaire traitait ensemble de ces préoccupations et a conclu que la consultation de la phase IV était inacceptablement viciée, pour les raisons suivantes.

  1. Les délais pour que les Premières Nations répondent à leurs préoccupations au sujet du rapport de la CEC étaient trop courts
    Les Premières Nations ont eu 45 jours pour informer le Canada de leurs préoccupations dans des réponses qui ne pouvaient pas dépasser 2-3 pages. Bien que certains ont demandé plus de temps, aucune prolongation n’a été accordée. Rien n’indiquait que le Canada avait songé à prolonger le délai.
  2. Le rapport de consultation de la Couronne remis au Cabinet ne donnait pas une description exacte des préoccupations des Premières nations touchées
    Le tribunal a noté que le rapport comportait au moins trois inexactitudes. Plusieurs inexactitudes ont été exprimées au coordonnateur de la consultation de la Couronne, mais les inexactitudes n’ont été communiquées au Cabinet que le jour où le Cabinet a approuvé le projet.
  3. Le dialogue au cours de la phase IV de la consultation n’a pas été significatif
    Les groupes autochtones ont été informés à maintes reprises que le rapport de consultation de la Couronne devait être terminé d’ici le 16 avril 2014 et que la décision du Cabinet devait être prise au plus long du 17 juin 2014. Les fonctionnaires chargés de consulter ne faisaient que recueillir de l’information et n’étaient pas autorisés à prendre des décisions. Compte tenu de ces facteurs, la Cour a conclu qu’il n’était pas surprenant que des préoccupations importantes n’aient pas été prises en compte ou discutées.
    ... les parties avaient droit à beaucoup plus d’informations, d’examen et d’explications de la part du Canada concernant les préoccupations spécifiques et légitimes qu’elles avaient exprimées au Canada. 8
  4. La Couronne n’a pas partagé ses renseignements sur la solidité de la revendication
    L’évaluation par la Couronne de la solidité de la revendication d’un groupe a une incidence sur la portée et la profondeur de la consultation. Malgré l’engagement du ministre de l’Environnement à fournir une évaluation de la solidité de l’allégation et une évaluation approfondie de la consultation, aucune n’a été fournie.
  5. Le ministère public a donné des motifs suffisants pour sa décision
    La Cour a statué que le Canada était tenu de donner des motifs. Les raisons invoquées pour accorder l’approbation en fonction de la commodité et de la nécessité du public étaient suffisantes, mais « étaient bien en deçà de la marque » en ce qui concerne l’obligation de consulter. 9 Le décret comportait un considérant sur l’obligation de consulter, et il indique que la consultation a été menée. L’absence de motifs a amené le tribunal à se demander si le Cabinet avait examiné la question de la consultation et était convaincu que l’obligation avait été remplie. La Cour a qualifié cette absence d’information de « lacune troublante et inacceptable ». 10

En fin de compte, la majorité de la Cour a conclu que :

Le Canada a offert une occasion brève, précipitée et inadéquate au cours de la phase IV - un élément essentiel du cadre de consultation du Canada - d’échanger et de discuter de l’information et de dialoguer. 11

Le tribunal a également proposé qu’une prolongation de délai dans le « voisinage de quatre mois » au cours de la phase IV aurait pu être suffisante pour résoudre les lacunes.

Le point de vue dissident

Le juge Ryer n’était pas d’accord pour que le décret soit annulé au motif que la consultation de la Couronne au cours de la phase IV était inadéquate. Il a conclu que les imperfections alléguées étaient insuffisantes pour démontrer que les consultations du ministère public étaient inadéquates. Il a réaffirmé que la norme à respecter dans l’évaluation de l’obligation de consulter est la suffisance et non la perfection.

Même si les imperfections avaient été établies, prises ensemble, elles étaient insuffisantes pour rendre les consultations de la phase IV inadéquates.

Le remède

La Cour a annulé le décret, qui annulait également les certificats de l’ONE. L’affaire a été renvoyée au Cabinet pour qu’il y soit nouveau sur la question.

Si le Cabinet souhaite ordonner à l’ONE de délivrer des certificats pour le projet, il doit refaire la consultation de la phase IV. Toutes les parties concernées doivent également avoir l’occasion de formuler des commentaires sur toute nouvelle recommandation que le ministre coordonnateur propose de faire au Cabinet.

Conséquences

Ce cas confirme l’importance d’une consultation significative avec chaque groupe autochtone touché par un projet proposé, ainsi que l’importance de documenter soigneusement la consultation. Bien que la Couronne ne soit pas tenue de se doer à une norme de perfection, les préoccupations des groupes autochtones doivent être représentées avec exactitude et prises en compte de façon significative à chaque étape du processus de réglementation.

Cette décision est un revers pour Northern Gateway et un rappel des défis et de l’incertitude auxquels font face les promoteurs dans l’élaboration de grands projets énergétiques au Canada. De nombreuses années d’étude et d’examen d’un projet n’ont pas d’importance si la consultation avec les collectivités autochtones touchées est inadéquate. En l’espèce, les efforts d’Enbridge et de la Commission d’examen conjoint n’étaient pas en cause. La consultation essentielle au cours de la phase IV a été entre les mains de représentants du gouvernement fédéral.

Les inévitables contestations judiciaires associées à tout examen de grand projet ajoutent également à l’incertitude, au temps et aux efforts nécessaires pour développer les ressources et les mettre sur le marché. La contrainte qui en résulte pour un développement économique efficient et responsable diminue la compétitivité mondiale du Canada.

Si vous avez des questions au sujet de cette décision et de la façon dont elle peut affecter votre organisation, veuillez communiquer avec l’un de nos avocats spécialisés en réglementation.

Remarques :

  1. Paragraphe 127
  2. Paragraphe 121
  3. Paragraphe 125
  4. Paragraphe 126
  5. Paragraphe 140
  6. Paragraphe 155
  7. Voir les paragraphes 170 à 181
  8. Paragraphe 287
  9. Paragraphe 313
  10. Paragraphe 322
  11. Paragraphe 325

Authors

Liens connexes

Expertise connexe



View Full Mobile Experience