Marques de commerce célèbres au Canada

10 juin 2006

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Écrit par Martin P.J. Kratz

Dans deux affaires complémentaires, la Cour suprême du Canada a réaffirmé la place des marques de commerce célèbres dans le contexte des marques de commerce canadiennes. En choisissant de prendre ces deux appels après des rejets consécutifs d’appels par les tribunaux inférieurs, le |La Cour suprême a demandé l’occasion de clarifier le droit concernant la confusion dans le contexte des marques de commerce célèbres et de jeter un éclairage important sur le peu considéré article 22 de la Loi sur les marques de commerce. Tous les propriétaires et les utilisateurs de marques de commerce au Canada bénéficieront du raisonnement lucide du juge Binnie, qui s’exprime au nom de la cour unanime dans les deux cas.

Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc.

Dans l’affaire Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., la Cour suprême a été confrontée à un appel de la décision de la Commission d’opposition des marques de commerce par une décision de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale rejetant l’opposition de Mattel à la demande de l’intimée d’enregistrer des marques de commerce en lien avec sa petite chaîne de restaurants « Barbie’s ». Mattel, propriétaire de la marque déposée BARBIE, a allégué que l’utilisation du nom créerait probablement de la confusion sur le marché. Les tribunaux inférieurs et la Commission d’opposition avaient conclu que Mattel n’avait pas démontré qu’il y avait un risque de confusion entre la vente de produits de poupée et la prestation de services de restauration. Mattel a fait valoir que la renommée de la marque DE COMMERCE BARBIE transcendait les produits de poupée et couvrait d’autres produits divers énoncés dans une variété de ses enregistrements.

En l’espèce, il n’y avait aucune preuve crédible que Mattel ou un titulaire de licence avait utilisé BARBIE au Canada en lien avec [traduction] « des services de restauration, des services à emporter, des services de restauration et de banquet », comme le prétend la demande d’enregistrement de marque de commerce de l’intimée.

La Cour suprême nous a rappelé que la confusion est un terme défini et que le sous-alinéa 6(2) exige que la Commission des oppositions des marques de commerce (et, en fin de compte, le tribunal) traite de la probabilité que, dans les régions où les deux marques de commerce sont employées, les acheteurs potentiels en déduisent (à tort) que les marchandises et les services (bien qu’ils ne soient pas de la même catégorie générale) sont néanmoins fournis par la même personne. Une telle inférence erronée ne peut être tirée que si un lien ou une association est susceptible de surgir dans l’esprit du consommateur entre la source des produits BARBIE bien connus et la source des restaurants moins connus de l’intimée. S’il n’y a aucune probabilité d’un lien, il ne peut y avoir aucune probabilité d’inférence erronée et aucune confusion en vertu de la Loi.

L’argument de Mattel était que ses marques de commerce BARBIE étaient célèbres au Canada et dans le monde entier. Mattel a soutenu que les marques célèbres comme BARBIE ne peuvent pas maintenant être utilisées au Canada sur la plupart des marchandises et des services de consommation sans que le consommateur moyen soit amené à déduire l’existence d’un lien commercial avec la célèbre marque. La Cour a confirmé que le critère approprié pour la confusion serait du point de vue des « acheteurs ordinaires pressés » et que « toutes les circonstances environnantes » doivent être prises en considération, mais que, dans certains cas, certaines circonstances auraient plus de poids que d’autres. Mattel a fait valoir que la célébrité « l’emporte » sur tous les autres facteurs du par. 6(5).

La Cour suprême a confirmé que la célébrité, tout comme les différences entre les produits et les services, était l’un des facteurs à prendre en considération. Bien que la Cour suprême ait confirmé qu’il pouvait y avoir confusion en vertu du par. 6(2) pour certaines marques de commerce qui étaient si bien connues que l’utilisation en relation avec des marchandises ou des services créerait de la confusion, en l’espèce, la preuve n’appuyait pas que BARBIE avait cette transcendance. La Cour a noté que, bien que cela ne soit pas nécessaire, la preuve d’une confusion réelle constituerait une « circonstance entourant » pertinente. Néanmoins, une inférence défavorable pourrait être tirée de l’absence de tels éléments de preuve dans des circonstances où ils seraient facilement disponibles si l’allégation de confusion probable était justifiée.

La Cour suprême a confirmé que, dans la mesure où les affaires Pink Panther et Lexus avaient indiqué une restriction en obiter que la confusion ne pouvait se produire qu’à l’intérieur de catégories similaires de marchandises ou de services qui était erronée. Toutefois, la Cour suprême a souligné que, dans les deux cas, le critère approprié a été appliqué, à savoir l’examen de tous les facteurs du sous-alinéa 6(5) dans le contexte des circonstances entourant l’affaire.

La Cour suprême a confirmé que la norme appropriée pour le contrôle d’une décision de la Commission des oppositions était la norme intermédiaire de la décision raisonnable. En l’espèce, la décision de la Commission des oppositions satisfaisait à cette norme.

La Cour suprême a commenté l’admissibilité de la preuve tirée de l’enquête et a noté que la preuve supplémentaire que l’on cherchait à admettre n’était pas pertinente car elle ne traitait pas de la question de la probabilité de confusion. La Cour a examiné les cas où la preuve de l’enquête pouvait être utile, si elle était fiable et valide, et a noté d’autres motifs pour lesquels les tribunaux rejettent à bon titre la preuve de l’enquête: lorsque les personnes interrogées ne constituaient pas la population pertinente; lorsque l’enquête ne portait pas sur la bonne marque de commerce; lorsque la mauvaise question est posée; et lorsque l’enquête n’avait pas été menée de manière impartiale et indépendante. En l’espèce, la preuve de l’enquête a été jugée inadmissible, et non seulement on lui a accordé peu de poids.

En conclusion, la renommée d’une marque de commerce fait partie des circonstances entourant lesquelles la Commission des oppositions et les tribunaux devraient tenir compte pour aborder la question du risque de confusion. La Cour a noté qu’il peut y avoir des cas où une telle renommée pourrait transcender des différences dramatiques entre les marchandises ou les services. Cependant, ce n’était pas le cas.

Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltd.

Dans l’affaire Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltd., Veuve Clicquot Ponsardin (propriétaire des marques de commerce VEUVE CLICQUOT) a intenté une action contre les intimées, Boutiques Cliquot Ltd., alléguant la contrefaçon des marques veuve Clicquot, enregistrées pour le champagne et le vin, par l’enregistrement et l’utilisation par l’intimée du terme « Cliquot » pour sa petite chaîne de magasins de vêtements pour dames de moyenne qualité. Les deux réclamations pour contrefaçon (confusion) et dépréciation de la bonne volonté (article 22) ont été présentées. À la Cour fédérale, la Cour a reconnu que, pour qu’il y ait confusion, il n’était pas nécessaire que les marchandises appartiennent à la même catégorie générale. Bien que les marques veuve clicquot aient été reconnues comme étant intrinsèquement distinctes et ayant droit à une large mesure de protection, la Cour a conclu qu'« il n’y a aucun lien entre les activités de la demanderesse et celles des défendeurs ». En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’utilisation par l’intimée de la marque de commerce CLIQUOT a déprécié la valeur de l’achalandage attaché aux marques veuve CLICQUOT, la Cour s’est référée à sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de risque de confusion et a conclu que « bien que la confusion ne soit pas le critère énoncé à l’article 22, j’estime qu’il est toujours nécessaire qu’il y ait une association entre les deux marques ». Un consommateur doit être en mesure d’établir un lien entre les parties pour qu’il y ait dépréciation de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

L’appel devant la Cour d’appel fédérale a été rejeté, concluant que le juge de première instance avait appliqué les bons critères et que les conclusions étaient étayées par la preuve.

La Cour suprême a formulé les questions en litige en prenant note de l’allégation de Veuve Clicquot selon laquelle, bien que les marques de commerce ordinaires soient en grande partie exploitées dans leur domaine défini de marchandises, de services et d’entreprises, les marques « célèbres » transcendaient ces limites et, par conséquent, qu’il fallait donner un effet général aux recours du propriétaire en ce qui concerne la confusion probable sur le marché et la dépréciation probable de la valeur de l’achalandage (art. 22) en gardant cette transcendance à l’esprit.

Veuve Clicquot a allégué que la renommée de VEUVE CLICQUOT était telle que les consommateurs qui se rendaient dans les magasins de vêtements pour femmes des intimées seraient probablement confus et qu’ils croiraient que les robes et les vêtements de mode provenaient de la même source que le champagne, même si le type de produit était très différent, que les produits étaient utilisés dans différents circuits de commerce et que les marques de commerce déposées n’apparaissaient pas sur les vêtements de l’intimée. Indépendamment de ces différences, Veuve Clicquot a soutenu que la célébrité conquiert tout. En ce qui a trait à l’allégation d’amortissement en application de l’article 22, Veuve Clicquot a soutenu que la renommée de ses marques pour les produits de luxe haut de gamme était telle que l’association du nom CLICQUOT à un magasin de vêtements pour femmes de milieu de gamme a privé la marque de l’appelante d’une partie de son lustre, brouillant sa puissante association avec des produits de luxe de qualité supérieure et diluant ainsi les qualités distinctives qui attirent les entreprises haut de gamme.

En ce qui concerne l’allégation de contrefaçon, la Cour suprême a appliqué la décision rendue dans l’affaire Mattel, confirmant que le critère à appliquer était une question de première impression dans l’esprit d’un consommateur occasionnel quelque peu pressé. Le critère était énoncé comme suit:

« Le critère à appliquer est une question de première impression dans l’esprit d’un consommateur occasionnel un peu pressé qui voit le nom Cliquot sur la devanture ou la facture des intimés, à un moment où il n’a qu’un souvenir imparfait des marques de commerce VEUVE CLICQUOT, et ne s’arrête pas pour examiner la question en détail ou l’examiner, ni pour examiner de près les similitudes et les différences entre les marques.

Le critère est appliqué en tenant compte des facteurs du par. 6(5) dans le contexte de toutes les circonstances entourant l’affaire. Ces circonstances ne sont pas exhaustives et des circonstances différentes se verront accorder un poids différent dans une évaluation contextuelle. En l’espèce, la Cour suprême a conclu que le juge de première instance avait appliqué le critère approprié de « toutes les circonstances entourant ». La Cour suprême n’a pas identifié de fondement pour modifier la conclusion du juge de première instance selon laquelle la preuve n’établissait pas la confusion, ni ne présentait de preuve plausible de radiation des marques des intimés.

Fait important, la Cour suprême a examiné de près l’évolution de l’action en amortissement en vertu de l’article 22 et a examiné la loi anti-dilution quelque peu similaire des États-Unis et la réparation « anti-préjudice » du Royaume-Uni, en notant les différences applicables. Le juge Binnie a identifié les éléments de la cause d’action fondée sur l’article 22 comme suit :

« Premièrement, que la marque de commerce enregistrée d’un demandeur a été employée par le défendeur relativement à des marchandises ou à des services – que ces marchandises et services soient ou non en concurrence avec ceux du demandeur. Deuxièmement, que la marque de commerce déposée du demandeur est suffisamment connue pour que l’achalandage important y soit attaché. L’article 22 n’exige pas que la marque soit bien connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais un défendeur ne peut pas déprécier la valeur de l’achalandage qui n’existe pas. Troisièmement, la marque du demandeur a été utilisée d’une manière susceptible d’avoir un effet sur ce goodwill (c’est-à-dire le lien) et quatrièmement que l’effet probable serait de déprécier la valeur de son achalandage (c’est-à-dire un dommage).

Sur la question de l'«emploi » de la marque, la Cour suprême a jugé essentiel qu’il dot y avoir un lien, un lien ou une association mentale dans l’esprit du consommateur entre l’affichage des intimés et la marque VEUVE CLICQUOT, sans laquelle il ne pouvait y avoir de dépréciation de cette dernière. Il est à noter que la Cour suprême semblait disposée à appliquer un concept beaucoup plus large d'« utilisation » que la définition très technique de l’article 4 qui limitait considérablement l’application de la réparation de l’article 22.

Sur la question de l’achalandage, la Cour a conclu qu’il y avait une achalandage considérable attachée à la marque VEUVE CLICQUOT qui s’étendait au-delà du vin et du champagne. Veuve Clicquot soutient que la renommée de sa marque doit nécessairement déprécier la bonne volonté associée à la marque et qu’il incombe à l’intimée de prouver qu’elle ne l’a pas fait. La Cour n’était pas d’accord en soulignant que ce ne sont pas toutes les marques de commerce célèbres qui ont le même pouvoir d’établissement et que l’article 22 exige que l’appelante démontre la probabilité d’une dépréciation de la bonne volonté.

En ce qui concerne la question de l’amortissement de la bonne volonté, la Cour a examiné un certain nombre de décisions américaines sur le dénigrement ou le ternissement et sur le brouillage, notant prudemment que les dispositions canadiennes étaient différentes et que l'« amortissement » de l’article 22 ne se limitait pas nécessairement aux notions de flou et de ternissement. Le juge Binnie a ensuite fait remarquer que « les tribunaux canadiens n’ont pas encore eu l’occasion d’en explorer les limites ». En se concentrant sur la présente affaire, il a déclaré:

« Reconnaissant que la marque veuve CLICQUOT porte une aura au-delà de ses produits particuliers, et que l’aura étendue porte un achalandage important, de quelle manière la valeur de cette achalandage est-elle susceptible d’être diminuée par l'"utilisation » par les intimées (le cas échéant) de la marque déposée de l’appelante? L’acceptation de l’argument selon lequel l’amortissement pourrait se produire n’est pas l’acceptation de l’affirmation selon laquelle, d’après les faits de l’espèce, l’amortissement est susceptible de se produire, et encore moins que l’amortissement a eu lieu. L’appelant n’a qu’à prouver la vraisemblance, mais il n’y a rien dans le dossier de preuve à partir duquel la probabilité pourrait être déduite.

En l’espèce, le consommateur occasionnel, selon la preuve, n’associerait pas le nom des magasins des intimés à VEUVE CLICQUOT. Bien qu’aucun amortissement n’ait été constaté en l’espèce, le juge Binnie a ouvert la porte à l’interdiction de la marque de commerce d’envisager d’élaborer l’article 22 comme une réparation significative qui pourrait transcender les concepts américains de flou et de ternissement. La volonté apparente de ne pas être limité par la définition technique de l'« usage », mais plutôt de chercher un lien ou un lien avec la marque déposée peut entraîner une nouvelle ère et un recours pour le droit canadien des marques de commerce.

Après Veuve Clicquot, l’article 22 semble maintenant être une cause d’action durable lorsqu’il y a preuve qu’une marque de commerce déposée (ou quelque chose qui s’en approche) a été utilisée par une autre personne (idéalement un concurrent) de telle sorte que le public concerné établit une association mentale entre cette utilisation non autorisée et le propriétaire enregistré; et que cette utilisation non autorisée a pour effet de déprécier la valeur de l’achalandage associée à l' la marque déposée en termes de dénigrement ou même de perte de caractère distinctif.

Les deux affaires soulignent d’autres avantages de l’enregistrement de sa marque de commerce ainsi que la nécessité d’une preuve fiable et valide de couplage afin de faire valoir un cas en vertu des articles 20 ou 22.

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