Défis continus en ce qui a trait à la portée de l’obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations

Le 27 mai 2011

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La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu sa décision dans l’affaire West Moberly First Nations v. British Columbia (Chief Inspector of Mines), 2011 BCCA 247.  L’appel de West Moberly a donné à la Cour l’occasion de clarifier la portée de l’obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations à la lumière de la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, et en particulier, si l’obligation de consulter comprend un examen des effets cumulatifs des « torts passés » et de l’incidence des développements futurs.  En rejetant l’appel, la Cour a rendu trois décisions distinctes, créant une incertitude potentielle quant au rôle que jouent les effets cumulatifs dans l’obligation de consulter.

Contexte

L’appel portait sur des décisions prises par des fonctionnaires du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières de la Colombie-Britannique (« MEMPR »), qui ont modifié les permis existants pour permettre à first Coal Corporation (« First Coal ») d’obtenir un échantillon en vrac de charbon de 50 000 tonnes et de s’engager dans un programme d’exploration avancée de 173 trous de forage et cinq tranchées (le « programme »).

Selon la preuve dont disposait la Cour, depuis environ les années 1970, les aînés de la Première nation de West Moberly (« WMFN ») avaient interdit à leur peuple de chasser le caribou de la harde de Burnt Pine en raison de la diminution du nombre de la harde, qui serait maintenant composée de 11 animaux. Le programme se déroulerait dans le lieu de chasse traditionnel préféré de la WMFN et, plus précisément, aurait une incidence sur l’important habitat hivernal du caribou.  Dans ce cas, le WMFN a adopté la position selon laquelle la demande de First Coal devrait être rejetée, que ses activités minières proposées devraient être déplacées dans une autre zone où l’habitat du caribou ne serait pas touché et qu’un plan devrait être mis en place pour le rétablissement de la harde de burnt pine.

First Coal a élaboré des plans pour atténuer les dommages causés par le Programme et surveiller ses effets sur le caribou au moyen du Plan d’atténuation et de surveillance du caribou (« PGPC »).  Le PGPC a fourni de l’information et des opinions sur les effets potentiels du Programme, des renseignements généraux sur la harde de caribous et ses habitats saisonniers, et a abordé les répercussions potentielles du Programme sur la perte directe d’habitat, la perte indirecte d’habitat et les effets de la fragmentation de l’habitat.  Il a également fourni des conseils sur les mesures d’atténuation potentielles et un plan de surveillance des effets du Programme sur la harde de caribous.

Le MEMPR a procédé à des consultations sur la question des impacts sur le caribou « vers l’extrémité la plus profonde du spectre de consultation ».  Le MEMPR s’est engagé avec le WMFN dans des discussions sur le projet proposé pendant plus de quatre ans.  Le résultat de ces efforts a été la mise en œuvre de certaines mesures d’atténuation, y compris le PGPC, qui a également mis sur pied le Groupe de travail sur le caribou de Burnt-Pine dans le but de surveiller les résultats dans le contexte de recherches passées et en cours sur la harde de caribous, et de discuter des façons dont le rétablissement de la population pourrait être soutenu.  Le PGMC a été fourni au WMFN pour commentaires et a fait l’objet d’un certain nombre de révisions.

Le savant juge en chambre a conclu que le droit protégé par le traité en cause était le droit de chasser la harde de caribous de Burnt Pine et que la consultation fournie était déraisonnable.  Il a également conclu que la Couronne n’avait pas pris de mesures d’adaptation raisonnables en ne mettant pas en place un plan actif pour la protection et la remise en état de la harde de caribous, et a fourni une directive pour des mesures d’adaptation spécifiques reflétant un tel plan.  La province a interjeté appel.

Portée de l’obligation de consulter

La majorité

Parmi les questions en litige en appel, il y avait la question de savoir si l’obligation de consulter tient compte des torts passés, des effets cumulatifs et de l’évolution future du droit de la WMFN de chasser le caribou, en particulier de la harde de Burnt Pine.  Les juges majoritaires, composés du juge en chef Finch et du juge Hinkson, ont adopté une interprétation large de l’obligation de consulter, statuant que l’obligation doit inclure un examen des « effets cumulatifs » qui s’étendent au-delà des conséquences des permis en cause.

Le juge en chef a statué que, étant donné que le Programme aurait une incidence négative sur le droit de chasse issu de traités de la WMFN, il est essentiel de tenir compte du contexte historique et de l’état actuel de la p troupeaux de pins brûlés pour bien comprendre la gravité des répercussions potentielles sur ce droit.  Ainsi, dans la mesure où le juge siégeant en chambre a considéré que les impacts futurs, au-delà des conséquences immédiates des permis d’exploration, relevaient de l’obligation de consulter, il n’a commis aucune erreur.  Dans la mesure où le MEMPR n’a pas tenu compte de l’impact d’une exploitation minière complète dans la zone préoccupante, même si First Coal n’avait pas demandé à entreprendre une exploitation minière complète, le MEMPR n’a pas fourni de consultation significative. 

De plus, en examinant si la consultation entreprise en l’espèce était raisonnable, le juge en chef et le juge Hinkson ont effectivement présumé que le MEMPR n’avait pas tenu compte des recommandations du WMFN en ce qui concerne l’diminution des répercussions sur leur droit de chasser le caribou dans la zone touchée.  Les juges majoritaires ont conclu que, pour que le processus de consultation soit raisonnable, le MEMPR devrait fournir une explication au WMFN que, non seulement sa position avait été pleinement prise en considération, mais qu’il y avait des raisons convaincantes pour lesquelles la ligne de conduite qu’il proposait n’était pas nécessaire, était peu pratique ou était autrement déraisonnable. 

En concluant que le MEMPR ne satisfaisait pas à ce critère, la majorité a conclu, malgré la preuve d’une vaste consultation sur une période de quatre ans, que le MEMPR avait accepté le CMMP de First Coal comme une réponse satisfaisante à la position du WMFN, sans expliquer pourquoi cette position avait été rejetée, et n’a pas expliqué pourquoi la position du WMFN était inutile, peu pratique ou autrement déraisonnable.  Le PGPC a plutôt été mis en œuvre en se fondant sur le fait que le Programme devrait aller de l’avant et a proposé des mesures pour réduire au minimum ou atténuer les effets négatifs et pour discuter des façons dont First Coal peut aider au rétablissement de la population de caribous.

L’opinion dissidente

Dans sa décision dissidente, la juge Garson a adopté une approche plus étroite à l’égard de l’obligation de consulter, statuant que l’obligation de consulter englobait l’effet préjudiciable potentiel des permis eux-mêmes, et non l’incidence plus large d’une exploitation minière complète, et devrait se concentrer sur le droit de chasser en général, et non sur le troupeau de caribous de Burnt Pine en particulier.  Ainsi, pour évaluer la mesure dans laquelle les permis, s’ils étaient accordés, pourraient avoir une incidence sur le droit général de chasser, il était approprié que la province ait tenu compte, comme elle l’a fait, de l’abondance d’autres ongulés, de la proportion de territoires de caribous touchés par les permis envisagés et de la présence d’autres hardes de caribous plus grandes dans la région.  Par conséquent, le juge Garson a conclu que la province avait bien tenu compte de l’incidence du Programme sur la harde de caribous de Burnt Pine dans le contexte plus large du droit de chasse prévu par le Traité no 8.

Le juge Garson a également conclu que la province ne pouvait ignorer l’état fragile menacé de la harde de caribous de Burnt Pine pour définir la portée et l’étendue des consultations.  Elle a conclu que, dans ce cas, la consultation a eu lieu en se fondant sur le fait que d’autres incursions dans l’habitat du caribou pourraient entraîner l’expiration de la harde.  Toutefois, la portée et l’étendue des obligations de consultation de la Couronne n’incluaient pas la mise en œuvre d’un plan de rétablissement qui n’émanait pas des permis demandés ou qui n’y était pas lié par un lien de causalité.  De même, l’examen de l’impact d’une éventuelle exploitation minière à grande échelle sur la troupeaux ferait l’objet d’un examen environnemental complet et dépassait la portée du mandat de la province, car il n’y avait pas de demande pour une exploitation minière complète devant eux. 

Le juge Garson a déterminé que la consultation en l’espèce était raisonnable, soulignant qu’une vaste consultation s’est déroulée sur une période d’environ quatre ans.  Elle a également soutenu que, malgré l’absence d’une explication explicite de la décision, il était évident que le MEMPR rejetait les principales mesures d’adaptation demandées par le WMFN, et les raisons du rejet de ces mesures d’adaptation étaient claires, à savoir que les mesures d’accommodement proposées par le MEMPR constituaient un compromis adéquat.  Ainsi, le processus de consultation a répondu directement aux préoccupations soulevées par WMFN, dans la mesure où elles se rapportaient aux préoccupations liées aux permis en cause.  D’importantes mesures d’adaptation ont été prises pour protéger la harde de caribous existante à la lumière du droit de chasse protégé par traité de WMFN. 

La portée de l’obligation d’accommodement

Compte tenu de sa conclusion selon laquelle la consultation était déraisonnable, le juge en chef a conclu qu’il n’était pas nécessaire de décider si le juge siégeant en cabinet avait commis une erreur en déclarant une forme précise d’accommodement, bien qu’il ait noté que d’autres tribunaux avaient montré une réticence à ordonner des mesures d’adaptation particulières.  Il a néanmoins mis de côté cette orientation pour permettre la reprise de la consultation.

Dans sa décision distincte, le juge Hinkson n’était pas d’accord avec le juge en chef sur le motif de l’annulation de l’accommodement.  Encore une fois, la question était de savoir si l’accommodement devait être interprété au sens large pour inclure une réparation pour les effets cumulatifs des torts passés.  Le juge Hinkson a conclu, en se fondant sur l’affaire Rio Tinto, que l’effet préjudiciable potentiel sur un droit ancestral doit être lié par causalité à la conduite actuelle de la Couronne, et non à des événements antérieurs.  Ainsi, pour que l’obligation de consulter soit déclenchée, la conduite actuellement proposée par la Couronne doit elle-même être liée par causalité à la conséquence préjudiciable potentielle touchant le droit ancestral. 

Le juge Hinkson n’a pas compris que l’obligation d’accommodement, telle qu’elle est expliquée dans l’affaire Rio Tinto, oblige la Couronne à tenir compte des effets des répercussions antérieures sur les droits issus de traités.  Par conséquent, dans ce cas, il n’est pas nécessaire de prendre des mesures d’adaptation en ce qui concerne la décimation de la harde de caribous à partir d’événements antérieurs au Programme; le besoin de réadaptation du troupeau ne peut pas être considéré comme un accommodement découlant du programme.  La protection de ce qui reste de la harde de caribous est plutôt la seule question appropriée à prendre en considération lorsque l’accommodement des droits issus de traités du WMFN est abordé dans le contexte des demandes présentées au MEMPR.  Ainsi, le juge Hinkson a conclu que le juge en chambre avait commis une erreur en confondant son examen de l’obligation de la Couronne de consulter le WMFN avec ce qu’il considérait comme un accommodement raisonnable des droits de la WMFN. 

Dans sa dissidence, la juge Garson était essentiellement d’accord avec l’approche de la juge Hinkson à l’égard de l’obligation d’accommodement, concluant que la juge siégeant en chambre avait commis une erreur en interprétant l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder de façon si large qu’elle incluait l’obligation de tenir compte des torts passés, des effets cumulatifs et du développement futur, parce que la quasi-expiration du troupeau ne pouvait pas avoir été causée par l’octroi éventuel des permis en cause.  Il est préférable de laisser la question des effets cumulatifs et du développement futur à la province pour qu’elle l’aborde en dehors des permis en cause en l’espèce.

Commentaire

La décision partagée de la Cour d’appel montre qu’il existe encore un risque d’incertitude quant à la portée de l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui a trait aux torts passés, aux effets cumulatifs et au développement futur.  L’approche privilégiée par le juge en chef et le juge en chambre, qui exige que l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder comprenne les torts passés, les effets cumulatifs et le développement futur dans le contexte d’une demande de permis ou de licence spécifique, a des effets potentiellement de grande portée pour l’industrie.  Cette approche peut brouiller la portée de la consultation requise dans une circonstance donnée, en incorporant les impacts passés non liés au projet en question, et crée de l’incertitude quant à la distance dans le passé ou dans l’avenir où ces impacts doivent être pris en compte. 

À ce titre, l’approche des juges Hinkson et Garson à l’égard de la portée de l’obligation de consulter et d’accommoder est très valable et est conforme à d’autres jugements selon lequel la consultation et l’accommodement devraient porter uniquement sur les répercussions potentielles découlant du projet ou de la demande en cause.  Bien que les effets antérieurs puissent être pertinents, il doit y avoir un lien de causalité entre la conduite proposée et les répercussions alléguées en question.  De plus, il serait peut-être préférable de s’attaquer à la question plus vaste des effets cumulatifs ou régionaux sur les droits issus de traités, le cas échéant, de s’en remettre aux politiques et aux mesures gouvernementales plutôt qu’aux promoteurs de projets individuels.

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