Les changements apportés au Régime d’intégrité des marchés publics du Canada créent une nouvelle exigence de déclaration onéreuse

08 avril 2016

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Écrit par Milos Barutciski, Matthew Kronby, Jessica Roberts and George Reid

Le 4 avril 2016, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics), l’organisme d’approvisionnement du gouvernement fédéral canadien, a annoncé des modifications aux règles, connues sous le nom de Régime d’intégrité, régissant l’admissibilité des fournisseurs à conclure des contrats et des ententes sur les biens immobiliers avec le gouvernement du Canada. Le Régime d’intégrité vise à favoriser des pratiques commerciales éthiques et à réduire le risque que le Canada conclue des contrats avec des fournisseurs reconnus coupables d’une infraction liée à une conduite commerciale contraire à l’éthique. La présente mise à jour donne un aperçu du Régime d’intégrité et met en lumière les récents changements.

Travaux publics, qui administre le Régime d’intégrité, indique que les nouvelles modifications visent à clarifier les processus existants en réponse aux commentaires reçus des intervenants du milieu de l’approvisionnement.

Toutefois, comme on le verra plus en détail ci-dessous, les modifications font plus que cela; elles imposent une nouvelle exigence de déclaration onéreuse selon laquelle, lorsqu’ils présentent une soumission, les fournisseurs fournissent une liste certifiée de toutes les accusations et condamnations pénales étrangères à l’égard du fournisseur, de ses sociétés affiliées et de ses sous-traitants. La pénalité pour avoir fourni une attestation fausse ou trompeuse est l’inadmissibilité automatique de conclure des contrats d’approvisionnement (radiation) pendant dix ans. De plus, la définition de « société affiliée » a été élargie en même temps que de nouvelles règles anti-évitement visant à saisir les fusions, les dessaisissements et autres réorganisations d’entreprises. Collectivement, ces changements sont susceptibles de créer un nouveau fardeau important en matière de conformité, en particulier pour les grandes multinationales. 

Préoccupations concernant les modifications antérieures au Régime d’intégrité

La première version du Régime d’intégrité a été annoncée en juillet 2012, lorsque Travaux publics a regroupé ses mesures de surveillance existantes dans un cadre d’intégrité officiel. Le cadre d’intégrité original prévoyait l’exclusion automatique des contrats publics si une entreprise ou l’une de ses sociétés affiliées était reconnue coupable d’une liste d’infractions canadiennes.

Les infractions énumérées dans le Cadre ont été élargies en mars 2014 pour inclure les infractions étrangères non liées au Canada. L’expansion de 2014 s’est avérée très controversée, de sorte que les règles ont été considérablement remaniées en juillet 2015 et renommées le Régime d’intégrité (Voir notre 6 juillet 2015, Mise à jour « Le gouvernement du Canada remanie le régime d’intégrité pour les fournisseurs »). Les amendements du 4 avril 2016 sont les premiers du nouveau gouvernement libéral.

Aperçu du Régime d’intégrité

Condamnations d’affiliés

En vertu du Régime d’intégrité, un fournisseur peut être déclaré inadmissible à soumissionner pour des marchés publics en raison d’une condamnation de lui-même ou de sa « société affiliée ». Le terme « affilié » a été défini de façon large dans le Régime d’intégrité au moyen du concept de « contrôle » tiré de la Loi sur les banques. Les entités sont « affiliées » si l’une contrôle directement ou indirectement l’autre, ou si un tiers contrôle les deux. Comme il est décrit ci-dessous, les modifications d’avril 2016 élargissent davantage la définition.

Infractions spécifiées et infractions similaires à l’étranger

Avant 2012, les infractions spécifiées donnant lieu à l’inadmissibilité étaient initialement limitées aux infractions liées à la fraude au gouvernement et à la violation des lois sur le lobbying et les conflits d’intérêts. Si un fournisseur ou l’une de ses sociétés affiliées était reconnu coupable d’une infraction inscrite, il n’était pas admissible à faire affaire avec le gouvernement du Canada. Travaux publics a par la suite élargi la liste pour inclure les infractions à la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, à la Loi sur la concurrence et à d’autres lois fédérales.

Les modifications de mars 2014 ont élargi la catégorie d’infractions disqualifiantes en incluant des « infractions étrangères similaires » aux infractions spécifiées, tout en établissant une période d’exclusion automatique de 10 ans. Cette expansion a eu de graves conséquences pour les fournisseurs ayant des sociétés étrangères affiliées, car un fournisseur pouvait être automatiquement radié pendant dix ans si une société étrangère affiliée était déclarée coupable d’une infraction commise dans un autre territoire qui était « semblable » à une infraction canadienne déterminée. Travaux publics est l’arbitre de la question de savoir si une infraction commise à l’étranger est semblable à une infraction précise, ainsi que de l’équité et de la légitimité des procédures qui ont donné lieu à la condamnation à l’étranger.

Les changements de 2014 se sont avérés très controversés, de sorte que les règles ont été considérablement remaniées en juillet 2015 pour être plus souples, notamment en donnant aux entreprises la possibilité de réduire leur inadmissibilité de 10 ans à 5 ans et d’éviter l’inadmissibilité pour les actes de sociétés étrangères affiliées dans lesquelles elles n’étaient pas impliquées. Depuis les modifications de juillet 2015, un fournisseur n’est pas admissible en raison de l’infraction d’une société affiliée seulement s’il y a des preuves que le fournisseur « a dirigé, influencé, autorisé, acquiescé ou participé » à l’inconduite de sa société affiliée.

Toutefois, comparativement aux régimes d’exclusion d’autres pays comme les États-Unis et l’Union européenne, le Régime d’intégrité accorde au gouvernement un pouvoir discrétionnaire limité pour adapter l’inadmissibilité à la gravité de l’infraction ou à la culpabilité du fournisseur; il demeure plus axé sur la punition et la dissuasion de l’inconduite, y compris les comportements qui peuvent avoir peu ou rien à voir avec les marchés publics, qu’avec la remédiation ou la protection de l’intégrité du processus d’approvisionnement fédéral. (Voir notre mise à jour du 6 juillet 2015.)

Processus administratif pour déterminer l’inadmissibilité

L’un des changements les plus importants apportés aux modifications de juillet 2015 a été l’introduction de processus administratifs, en dehors d’un processus d’approvisionnement particulier, pour déterminer l’inadmissibilité d’un fournisseur en vertu du Régime d’intégrité. Ce processus peut être déclenché par le fournisseur au moyen d’une demande de détermination de son inadmissibilité, ou par Travaux publics de sa propre initiative. Les récentes modifications de 2016 précisent qu’une détermination peut également être déclenchée par une demande d’un ministère, d’un organisme ou d’une autre entité fédérale.

En vertu du Régime, un fournisseur est automatiquement inadmissible s’il a été reconnu coupable d’une infraction canadienne inscrite ou s’il y a plaidé coupable. Lorsque Travaux publics conclut qu’il existe des circonstances entraînant une inadmissibilité automatique, Travaux publics émettra un avis d’inadmissibilité, qui entrera en vigueur immédiatement.

Par contre, si Travaux publics prend connaissance d’une déclaration de culpabilité ou d’un plaidoyer de culpabilité relativement à une infraction étrangère du fournisseur, ou à une infraction (étrangère ou nationale) de la société affiliée du fournisseur, ou lorsqu’un fournisseur a été accusé d’une infraction, Travaux publics peut émettre un avis d’intention de déclarer inadmissible à ce fournisseur. Le destinataire d’un avis d’intention peut répondre par écrit à Travaux publics en expliquant pourquoi il ne devrait pas être déclaré inadmissible en vertu du Régime d’intégrité. Le défaut de répondre à un avis d’intention peut entraîner une déclaration d’inadmissibilité ou une suspension de l’admissibilité.

Un avis d’intention exige généralement que l’acquéreur engage un tiers acceptable pour Travaux publics pour fournir les renseignements demandés, plutôt que le fournisseur soumette directement des renseignements à Travaux publics. Travaux publics exigera que le tiers soit indépendant et détienne une désignation ou une accréditation reconnue, comme l’adhésion à un barreau provincial ou territorial, une licence de comptable professionnel agréé (CPA) ou une licence d’expert-comptable. Les Travaux publics exigent également généralement que le tiers signe un formulaire de certification attestant son indépendance vis-à-vis du fournisseur. Le ministre a le seul pouvoir discrétionnaire de déterminer si un tiers est suffisamment indépendant du fournisseur potentiel pour fournir les services requis et, dans la pratique, Travaux publics refusera de reconnaître un cabinet d’avocats ou un cabinet d’experts-comptables qui effectue des travaux commerciaux non liés pour le fournisseur comme étant indépendant.

Un avis d’intention de déclarer inadmissible impose au fournisseur (par l’entremise du tiers qu’il a choisi) le fardeau d’établir qu’il n’est pas inadmissible en vertu du Régime d’intégrité. Par exemple, si une société affiliée du fournisseur a été déclarée coupable d’une infraction semblable à l’étranger, le fournisseur doit démontrer qu’il n’a pas dirigé, influencé, autorisé, acquiescé, acquiescé ou participé à la conduite irrégulière de sa société affiliée qui a mené à la déclaration de culpabilité. Le fournisseur peut soumettre tout renseignement ou document pertinent qu’il souhaite établir qu’il ne devrait pas être inadmissible.

Le processus de réponse à un avis d’intention de déclarer inadmissible est itératif – après qu’un fournisseur a répondu à l’avis initial et fourni l’explication demandée, Travaux publics a posé des questions de suivi et peut parfois exiger de plus amples renseignements du tiers avant qu’une décision finale ne soit prise quant à l’inadmissibilité du fournisseur. Les renseignements requis pour rendre une décision dépendront de la situation du fournisseur et des détails de la déclaration de culpabilité.

Modifications d’avril 2016 – Évaluation d’impact

Les nouvelles modifications rétablissent et clarifient bon nombre des règles et des processus mis en place en juillet 2015. Cependant, ils comprennent également des changements dont les fournisseurs doivent être conscients afin d’éviter une suspension ou une inadmissibilité involontaire potentielle. Les changements les plus importants ont trait à une nouvelle exigence d’informer le gouvernement de toute accusation ou condamnation criminelle étrangère pertinente du fournisseur, de ses sociétés affiliées ou de ses sous-traitants, à une pénalité sévère pour avoir fourni des déclarations ou des attestations fausses ou trompeuses à Travaux publics relativement à la politique, et à de nouvelles dispositions anti-évitement qui élargissent l’application du Régime.

Obligation d’informer Travaux publics des accusations et des condamnations

En vertu des nouvelles modifications d’avril 2016, tous les soumissionnaires, offrants ou fournisseurs doivent fournir une liste complète de toutes les accusations et condamnations criminelles étrangères se rapportant à lui-même, à ses sociétés affiliées et à ses sous-traitants de premier niveau proposés qui, au meilleur de la connaissance et de la conviction du fournisseur, peuvent être similaires à l’une des infractions énumérées. En présentant une soumission, un soumissionnaire, un offrant ou un fournisseur atteste qu’il a fourni une liste complète.

De même, en vertu des nouvelles modifications, un fournisseur retenu doit informer Travaux publics dans les dix jours ouvrables si, pendant l’exécution du contrat, le fournisseur, l’une de ses sociétés affiliées ou son sous-traitant de premier niveau est accusé ou reconnu coupable d’une infraction criminelle pertinente ou d’une infraction similaire à l’étranger. Le défaut de le faire pourrait entraîner l’inadmissibilité du fournisseur et la résiliation du contrat pour défaut.

Satisfaire à cette nouvelle exigence pourrait être une tâche onéreuse, en particulier pour les grandes entreprises ou les fournisseurs ayant de nombreuses filiales étrangères. À première vue de la nouvelle procédure, tous les soumissionnaires, offrants et fournisseurs sont maintenant tenus d’être informés des accusations criminelles, ainsi que des condamnations, portées contre leurs sociétés étrangères affiliées pour des infractions qui sont « semblables » aux infractions canadiennes énumérées. Les fournisseurs doivent être conscients du fait que le Régime d’intégrité énumère certaines infractions, telles que les déclarations fausses ou trompeuses, qui peuvent ne pas être considérées comme des infractions de corruption dans chaque juridiction étrangère, et peuvent donc ne pas être signalées en vertu des régimes de conformité et de déclaration établis de l’entreprise. Les fournisseurs doivent s’assurer, lorsqu’ils comptent sur des sociétés étrangères affiliées pour signaler les accusations et les condamnations pertinentes, que ces sociétés affiliées sont au courant des infractions énumérées pertinentes.

Détermination automatique de l’inadmissibilité pour fausse déclaration ou attestation

Les modifications apportées à la politique d’avril 2016 comprennent également une pénalité sévère pour avoir fourni une déclaration ou une certification fausse ou trompeuse en relation avec le Régime d’intégrité. Si, de l’avis de Travaux publics, un fournisseur a fourni une attestation ou une déclaration fausse ou trompeuse, il est automatiquement inadmissible pendant dix ans. Il n’est pas clair comment cette pénalité fonctionnera dans la pratique, ni dans quelle mesure Travaux publics pourrait tenir compte de l’inadvertance ou de l’erreur dans l’application de cette pénalité. Par exemple, en présentant une soumission, un fournisseur doit attester qu’il a fourni une liste complète de toutes les accusations criminelles et condamnations étrangères se rapportant à lui-même, à ses sociétés affiliées et à ses sous-traitants qui, « au meilleur de sa connaissance et de sa conviction », peuvent être semblables à l’une des infractions énumérées. Toutefois, dans le cas où un fournisseur certifie une liste inexacte, il n’y a aucune procédure dans le Régime pour démontrer qu’il n’avait aucune connaissance ou raison de croire que l’accusation ou la condamnation existait au moment de l’accréditation. Selon une interprétation stricte du Régime, l’inadmissibilité semble être automatique si, de l’avis de Travaux publics, l’attestation était fausse ou trompeuse. Aucune réduction de la période d’inadmissibilité de dix ans n’est possible, par exemple par le biais d’une entente administrative. Les fournisseurs doivent demeurer vigilants et veiller à ce que toutes les certifications et déclarations fournies à Travaux publics soient complètes et exactes.

Dispositions anti-évitement et expansion des « sociétés affiliées » et du « contrôle »

Les nouvelles dispositions anti-évitement visent les circonstances où, de l’avis de Travaux publics, une succession de sociétés a eu lieu dans le but d’éviter l’inadmissibilité ou la suspension, ou entraînerait l’évitement de l’inadmissibilité ou de la suspension. Dans le même ordre d’informations, la définition de « société affiliée » a été élargie de sorte que deux personnes sont des « sociétés affiliées » si les deux personnes sont sous contrôle commun, ou si chacune est contrôlée par un tiers et que le tiers qui contrôle une personne est affilié au tiers qui contrôle l’autre personne. En outre, les indices de contrôle comprennent maintenant « l’identité des intérêts (souvent trouvés chez les membres d’une même famille) » et « les installations partagées et la gestion ou l’utilisation commune des employés », entre autres. Les fournisseurs devraient examiner attentivement s’ils ont des « sociétés affiliées » qui peuvent être saisies par cette définition élargie, en particulier compte tenu des exigences de déclaration liées aux frais et aux condamnations des sociétés affiliées, et de la pénalité sévère pour les fausses déclarations.

Conclusion

Les nouvelles dispositions facilitent la navigation dans le Régime d’intégrité à certains égards, tout en clarifiant certaines ambiguïtés et en ajoutant des détails sur la procédure. Cependant, l’exigence de certification en ce qui concerne les accusations et les condamnations d’affiliés, en conjonction avec la pénalité sévère pour les fausses déclarations, semble destinée à créer des cauchemars de conformité pour les grandes multinationales. Compte tenu de la vaste gamme d’infractions – tant au Canada qu’à l’étranger – qui pourraient être visées par les nouvelles dispositions, et de l’obligation d’inclure des accusations ainsi que des condamnations, cette exigence injectera encore plus de coûts de conformité et d’incertitude dans le processus pour des avantages incertains du point de vue de la préservation de l’intégrité dans les marchés publics par opposition à la punition. De façon plus générale, les modifications représentent une occasion manquée : Travaux publics a évité tout changement de fond au Régime qui aurait pu remédier à l’importance excessive qu’il accordait à la punition au détriment de la réparation.

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