Les tribunaux canadiens tiennent compte des tests de dépistage de l’alcool et des drogues

31 janvier 2013

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La Cour suprême du Canada (dans l’affaire Irving Pulp & Paper, Ltd. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, section locale 30) et la Cour d’appel de l’Alberta (dans Communications, Energy and Paperworkers Union, Local 707 c. Suncor Energy Inc.) ont récemment entendu des causes concernant des tests aléatoires de dépistage de drogues et d’alcool en milieu de travail. 1 Les deux cas portaient sur un grief syndical contre un employeur qui cherchait à mettre en œuvre une politique de dépistage aléatoire de drogues ou d’alcool pour les employés sensibles à la sécurité. Les affaires mettent en évidence l’incertitude qui existe dans la loi dans ce domaine, et dans chaque cas, la décision finale reste en suspens: la Cour suprême a réservé le jugement dans l’affaire Irving Pulp & Paper, tandis que dans l’affaire Suncor Energy, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé une injonction provisoire empêchant Suncor de mettre en œuvre sa politique sur les drogues et l’alcool en attendant une audience devant un conseil d’arbitrage pour déterminer son applicabilité.

Une fois tranchées, ces cas devraient fournir des directives concernant l’équilibre entre le droit d’un employeur d’assurer la santé et la sécurité au travail au moyen de tests aléatoires de dépistage de drogues et d’alcool, et le droit d’un employé d’être à l’abri des intrusions de l’employeur dans sa vie privée.

Dépistage aléatoire de drogues et d’alcool en Alberta

En juin 2012, Suncor a informé ses employés de la mise en œuvre d’une politique de dépistage aléatoire des drogues et de l’alcool. En vertu de sa politique précédente, Suncor avait besoin d’une base raisonnable pour imposer des tests. Avec la nouvelle politique, les employés occupant des postes précis ou sensibles sur le plan de la sécurité seraient soumis à des tests aléatoires de dépistage de drogues et d’alcool lorsqu’ils sont sélectionnés par un programme informatique, un minimum de 50 % des employés admissibles étant testés chaque année. Le Syndicat des communications, de l’énergie et du papier (le « syndicat ») a demandé une injonction provisoire pour empêcher la mise en œuvre de cette politique jusqu’à ce qu’un conseil d’arbitrage se soit prononcé sur sa légalité.

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a examiné la demande d’injonction des syndicats et a appliqué le critère standard pour une injonction provisoire, à savoir: (i) y a-t-il une question sérieuse à juger; (ii) un préjudice irréparable résultera-t-il si l’injonction n’est pas accordée; et iii) la prépondérance des inconvénients favorise-t-elle le demandeur? La Cour a conclu que chacun de ces facteurs était satisfait et a accordé l’injonction provisoire. En particulier, la Cour a statué que la perte de dignité à laquelle étaient confrontés les employés du syndicat qui seraient testés au hasard dans la période intérimaire précédant la décision du conseil d’arbitrage était une considération plus importante que les inconvénients et les risques pour la santé et la sécurité auxquels Suncor était confrontée en raison du retard dans la mise en œuvre de son programme.

Suncor a interjeté appel de l’injonction devant la Cour d’appel de l’Alberta. Dans une décision partagée, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir un danger immédiat ou un risque de perte découlant d’une vaste consommation de drogues ou d’alcool sur le lieu de travail de Suncor. Par conséquent, les juges majoritaires ont conclu que les employés du syndicat risquaient un préjudice irréparable si l’injonction n’était pas accordée en attendant la décision de l’arbitre, et que la prépondérance des inconvénients favorisait le syndicat. « Il ne suffit pas de brandir la préoccupation d’un accident ou de mentionner le mot « sécurité », même dans le contexte de cette exploitation minière, pour appuyer la conclusion qu’un tel équilibre doit favoriser la mise en œuvre immédiate de ces essais intrusifs (sur une base interlocutoire avant l’arbitrage), sur un si grand nombre d’employés de Suncor. »

Avec l’injonction provisoire en place, l’affaire sera maintenant entendue par un conseil d’arbitrage à compter de janvier de cette année, afin de déterminer la légalité du programme de tests aléatoires de Suncor.

Dépistage aléatoire d’alcool au Nouveau-Brunswick

Dans l’affaire Irving Pulp & Paper, l’exploitant d’une usine de papier au Nouveau-Brunswick a adopté une politique de dépistage aléatoire de l’alcool pour les employés occupant des postes sensibles sur le plan de la sécurité (la question du dépistage aléatoire des drogues n’était pas en cause dans cette affaire). Un grief a été déposé par le syndicat à la suite d’une plainte d’un membre du syndicat selon laquelle le test était humiliant et n’avait pas de motifs raisonnables.

En première instance, le conseil d’arbitrage saisi de l’affaire a conclu qu’une raison satisfaisante pour ce type de politique n’avait pas été établie par l’employeur et que l’usine n’était pas « ultra-dangereuse ». Par conséquent, rien ne justifiait une atteinte aussi importante à la vie privée des employés. La Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a infirmé la décision du conseil d’arbitrage et rejeté le grief du syndicat, au motif que l’usine était suffisamment dangereuse pour justifier des pratiques de travail sécuritaires, y compris des tests aléatoires de dépistage d’alcool chez les employés importants sur le plan de la sécurité, et que la politique était une réponse proportionnée au danger d’affaiblissement des facultés découlant de la consommation d’alcool.

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a souscrit à la décision du Banc de la Reine et a conclu que, parce que l’usine de concentration s’occupait de produits chimiques, il y avait un risque d’explosions qui le rendaient intrinsèquement dangereux. La Cour d’appel a statué qu’une fois qu’un lieu de travail est jugé « intrinsèquement dangereux », il n’est pas nécessaire pour l’employeur d’établir l’existence d’un problème particulier d’alcool dans le lieu de travail afin d’exiger des tests de dépistage des employés occupant des postes sensibles sur le plan de la sécurité. La Cour d’appel n’était pas non plus d’accord avec la distinction « ultra-dangereuse » proposée par l’arbitre et a conclu que la seule question à laquelle il fallait répondre est de savoir si le lieu de travail est intrinsèquement dangereux.

L’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été accordée et l’appel a été entendu le 7 décembre 2012, mais la décision de la Cour n’a pas encore été rendue.

Intérêts concurrents

Ces cas impliquent l’équilibre entre deux intérêts opposés : le droit à la vie privée des employés et les droits et responsabilités des employeurs d’assurer une santé et une sécurité adéquates en milieu de travail. Pour déterminer comment cet équilibre devrait être atteint, les questions à prendre en considération comprennent :

Répercussions futures

Les décisions prises dans les affaires Irving Pulp & Paper et Suncor Énergie pourraient avoir des répercussions importantes pour les employeurs et les employés au Canada. En particulier, la décision rendue dans l’affaire Irving Pulp &Paper sera la première décision de la Cour suprême du Canada sur la légalité des tests aléatoires de dépistage de drogues ou d’alcool en milieu de travail, et fournira des conseils indispensables aux employeurs qui envisagent d’établir ou d’améliorer leurs politiques de dépistage des drogues et de l’alcool. Il sera intéressant de voir si la Cour suprême est d’accord avec la décision de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Irving Pulp & Paper selon laquelle le dépistage aléatoire d’alcool chez les employés occupant des postes sensibles à la sécurité est permis.

En ce qui concerne Suncor Énergie, il est important de noter que la décision de la Cour d’appel de l’Alberta ne portait que sur la question d’une injonction provisoire – le caractère exécutoire de la politique de Suncor sur les tests aléatoires doit encore être décidé par un conseil d’arbitrage. Cela dit, il est significatif que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont considéré que le dépistage d’alcool et de drogues chez les membres du syndicat sur une base provisoire (en attendant la décision du conseil d’arbitrage) constituait un préjudice irréparable, et que le préjudice n’était pas compensé par le risque pour la santé et la sécurité de ne pas subir de dépistage pendant cette période.


Remarques :
  1. Syndicat des communications, de l’énergie et du papier, section locale 707 c. Suncor Energy Inc., 2012 ABCA 373 [Suncor Energy] et Irving Pulp & Paper, Ltd. c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30, 2011 NCBA 58 [Irving Pulp and Paper]

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