La Cour suprême du Canada ouvre la porte aux recours collectifs d’acheteurs indirects

31 octobre 2013

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Écrit par John F. Rook Q.C., Michael A. Eizenga and Emrys Davis

Le 31 octobre 2013, la Cour suprême du Canada a rendu trois décisions qui, selon de nombreux commentateurs, seraient les décisions de recours collectif antitrust les plus critiques de mémoire récente. La Cour suprême n’a pas déçu. En résumé, les décisions permettent aux acheteurs indirects de réclamer des dommages antitrust. Mais la Cour a statué que les acheteurs indirects doivent être en mesure de « s’auto-identifier » comme membres du groupe proposé. S’ils ne le peuvent pas, parce que, par exemple, aucun ne sait s’il a effectivement acheté des produits contenant le composant prétendument trop cher, alors le tribunal ne peut pas certifier la catégorie d’acheteurs indirects.

Contexte

Les décisions de la Cour suprême dans les affaires Pro-Sys Consultants Ltd. et autres c. Microsoft Corporation et autres, 2013 CSC 57, Sun-Rype Products Ltd. et autres c Archer Daniels Midland Company et autres, 2013 CSC 58, et Infineon Technologies AG et autres c. Option Consommateurs et autres, 2013 CSC 59, découlaient de trois appels; Pro-Sys et Sun-Rype des décisions de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et Infineon d’une décision de la Cour d’appel du Québec.

Dans les trois affaires, les demandeurs ont allégué que les défendeurs s’étaient livrés à un comportement anticoncurrentiel qui avait entraîné des surfacturations payées par les consommateurs. À Sun-Rype et Infineon, les catégories respectives comprenaient à la fois des acheteurs directs et indirects. Dans l’affaire Pro-Sys, la catégorie était entièrement composée d’acheteurs indirects. En première instance, les tribunaux inférieurs ont certifié les deux actions de la Colombie-Britannique, mais ont refusé de certifier le recours collectif du Québec.

Le résultat a été infirmé en appel. Dans les affaires Pro-Sys et Sun-Rype, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a refusé de certifier les réclamations des acheteurs indirects. Elle s’est fondée sur une décision récente de la Cour suprême, Kingstreet Investments Ltd. c Nouveau-Brunswick (Finances), 2007 CSC 1. Kingstreet a statué qu’un défendeur ne peut pas réduire sa responsabilité envers un demandeur avec la preuve que le demandeur a transféré la totalité ou une partie du coût du préjudice à un tiers. C’est ce qu’on appelle la défense de transmission. S’appuyant sur l’arrêt Kingstreet, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a estimé que si les défendeurs ne peuvent pas utiliser le moyen de défense fondé sur la transmission comme bouclier, les demandeurs acheteurs indirects ne peuvent pas l’utiliser comme une épée. Permettre le contraire assujettirait les défendeurs à une double responsabilité. Ils devraient payer 100 p. 100 de la surfacturation aux acheteurs directs et un montant supplémentaire aux acheteurs indirects. La Cour d’appel a rejeté l’idée que les catégories combinées d’acheteurs directs et indirects résolvaient le problème de la double responsabilité. Elle a estimé que la Loi sur les recours collectifs est une loi de procédure qui ne peut avoir d’incidence sur les droits juridiques fondamentaux des acheteurs directs et indirects. Ainsi, les tribunaux ne peuvent pas réduire les droits légaux des acheteurs directs en répartissant la surfacturation entre les acheteurs directs et indirects de la même catégorie.

En revanche, dans l’arrêt Infineon, la Cour d’appel du Québec est arrivée à la conclusion contraire. Elle a conclu que la fusion des acheteurs directs et indirects en une seule catégorie éliminait la possibilité d’une double responsabilité. Le juge Kasirer a estimé que même si les acheteurs directs peuvent recouvrer 100 % de la surfacturation lorsqu’ils plaident eux-mêmes, les acheteurs indirects pouvaient démontrer que les acheteurs directs avaient été injustement enrichis parce qu’ils avaient transféré une partie de la surfacturation totale aux acheteurs indirects. Cet argument était conforme à la dissidence du juge Donald devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Le juge Kasirer a également statué que les tribunaux du Québec, comme ceux des provinces de common law, avaient compétence sur les défendeurs étrangers dans les affaires de complot lorsque des dommages auraient été causés au Québec.

Les décisions des cours d’appel de la Colombie-Britannique et du Québec ont posé à la Cour suprême trois questions :

  1. les acheteurs indirects ont-ils une cause d’action?
  2. Si les acheteurs indirects ont une cause d’action, quels éléments de preuve doivent-ils fournir au moment de l’accréditation pour établir un certain fondement factuel qu’une partie de la surfacturation alléguée leur a été transmise, et dans quelle mesure les tribunaux devraient-ils examiner cette preuve?
  3. Les tribunaux du Québec ont-ils compétence sur les défendeurs étrangers dans les recours collectifs antitrust?

Les décisions de la Cour suprême

La Cour suprême a répondu à ces questions comme suit.

Premièrement, il n’est pas évident et évident que les acheteurs indirects n’ont pas de cause d’action. La Cour a statué qu’en rejetant la défense de transmission dans l’affaire Kingstreet, elle n’avait pas fermé la porte aux demandeurs qui peuvent prouver que le préjudice leur avait été transmis. Dans l’arrêt Pro-Sys, le juge Rothstein a rejeté de façon exhaustive les arguments de principe visant à refuser les actions d’acheteurs indirects en invoquant l’opinion dissidente du juge Brennan dans l’arrêt Illinois Brick. Plus particulièrement, le juge Rothstein a conclu que le risque de double responsabilité était illusoire parce que les tribunaux pouvaient atténuer tout préjudice par l’octroi de dommages-intérêts après un procès. De même, bien qu’il puisse être difficile de prouver qu’il est difficile de causer un préjudice aux acheteurs indirects, les acheteurs indirects ont volontairement assumé ce fardeau. S’ils ne peuvent pas prouver la perte, ils échoueront au procès. Mais il n’y a aucune raison d’empêcher leur réclamation à l’étape de la certification. Les juges LeBel et Wagner ont résumé la position de la cour sur la transmission en écrivant que « la transmission peut servir d’épée ... même s’il ne peut pas servir de bouclier ».

Bien qu’elle ait permis des actions d’acheteurs indirects en général, la Cour a statué que ce ne sont pas toutes les actions d’acheteurs indirects qui se peuvent faire l’objet d’une certification. Dans l’arrêt Sun-Rype, le juge Rothstein a refusé d’attester la catégorie des acheteurs indirects parce qu’il n’y avait aucune preuve que les acheteurs indirects pouvaient s’auto-identifier comme membres du groupe. Dans cette affaire, les membres du groupe étaient des acheteurs de produits contenant du sirop de maïs à haute teneur en fructose, un édulcorant alimentaire omniprésent. Il n’y avait aucune preuve que les acheteurs pouvaient identifier les produits qu’ils achetaient et qui contenaient du SHTF parce que, par exemple, ces produits pouvaient avoir plutôt contenu du sucre liquide. Pour ce motif, le juge Rothstein a conclu qu’il n’y avait pas de catégorie identifiable de deux personnes ou plus et a refusé de l’certifier.

Deuxièmement, en ce qui concerne les provinces de common law, la Cour a confirmé qu’un « certain fondement factuel » est quelque chose de moins que la norme habituelle de la prépondérance des probabilités en matière civile. En ce qui concerne le critère du « fondement factuel », la Cour a statué que les demandeurs doivent avoir une méthode qui peut établir que « la surfacturation a été répercuté sur les acheteurs indirects, ce qui a rendu la question commune à l’ensemble du groupe ». À l’étape de la certification, les demandeurs n’ont pas à prouver la perte réelle pour le groupe seulement « qu’il existe une méthodologie capable de le faire ». Cette méthode experte doit être « suffisamment crédible ou plausible pour établir un fondement factuel à l’exigence de communité ... [il] doit offrir une perspective réaliste d’établir la perte à l’échelle de la classe. Enfin, la Cour a noté qu’il doit y avoir « des preuves de la disponibilité des données auxquelles la méthodologie doit être appliquée ».

En revanche, en ce qui concerne le Québec, la Cour a statué que les demandeurs n’ont pas besoin de présenter une preuve d’expert à l’étape de la certification parce que la loi du Québec établit un seuil plus bas pour les demandeurs à l’étape de l’autorisation que les provinces de common law du Canada.

Troisièmement, comme beaucoup s’y attendaient, la Cour a confirmé que les tribunaux du Québec ont compétence à l’égard des défendeurs étrangers. Cela permet au Québec de s’aligner sur les provinces de common law du Canada sur cette question.

Conclusion

Dans l’ensemble, les décisions sont favorables aux demandeurs en ce qu’elles confirment la viabilité des recours collectifs d’acheteurs indirects à l’étape de la certification. Mais il y a aussi des points positifs pour les défendeurs. La Cour a confirmé que le critère du « fondement factuel » demeure un important instrument de dépistage. Il reste à voir comment les tribunaux inférieurs appliqueront leurs commentaires sur la suffisance de la preuve d’expert dans le contexte du critère du « fondement factuel ». Il se peut que, comme nous l’avions prédit en 2010, les défendeurs dans les recours collectifs antitrust canadiens se tournent de plus en plus vers les possibilités de litiges après la certification.

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