Bennett Jones Perspectives économiques du printemps 2011

17 mai 2011

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La croissance mondiale à deux vitesses se poursuivra dans un contexte d’incertitudes en matière de politique et de prix

Dynamique récente de l’économie mondiale

Depuis l’automne dernier, un certain nombre de risques pour la conjoncture économique mondiale sont apparus ou ont gagné en intensité, mais, en même temps, il y a eu des signes croissants que la reprise dans les pays avancés a finalement atteint la vitesse d’évasion et que la croissance rapide persistante a pratiquement éliminé la capacité de réserve dans les grandes économies de marché émergentes (EME). Comme on pouvait s’y attendre, les économies avancées ont de plus en plus concentré leur attention sur les stratégies de sortie de politiques monétaires et budgétaires très accommodantes, tandis que les pays émergents ont resserré à plusieurs reprises leurs politiques monétaires et prudentielles pour endiguer les pressions inflationnistes croissantes et les risques financiers. Jusqu’à présent, ces derniers ont obtenu peu de succès apparents, en partie parce que la résistance de beaucoup d’entre eux à laisser leurs devises sous-évaluées s’apprécier les a privés d’un outil efficace pour réduire l’inflation importée. Cela est d’autant plus dommageable compte tenu de la récente reprise marquée des prix internationaux du pétrole, des denrées alimentaires et d’autres produits de base, avec le risque qui en découle pour les EME d’effets secondaires sur les salaires et d’autres prix. Dans les économies avancées, le risque du choc des prix des produits de base est le ralentissement des dépenses globales réelles plutôt que l’inflation mesurée par l’indice de référence plus élevé, étant donné que la capacité excédentaire est encore importante, que la croissance des salaires est modérée et que les attentes d’inflation sont solidement ancrées. Les préoccupations récurrentes concernant la crise de la dette à la périphérie de l’Europe et la fragilité des banques européenne, la faiblesse prolongée du marché de l’habitation aux États-Unis, ainsi que les coûts incertains et les retombées du récent tremblement de terre et du tsunami au Japon ont également pesé sur les marchés financiers et ajouté aux risques à la baisse.

Ce qui a suscité la confiance dans les perspectives d’une reprise auto-entretenue dans les économies avancées, malgré la perspective de politiques budgétaires et monétaires moins stimulantes à venir et l’évolution modérée des termes de l’échange récemment (pour la plupart des pays), a été la reprise de la production industrielle, de l’investissement des entreprises, de l’emploi privé et des dépenses de consommation. En effet, les dépenses intérieures privées finales ont répondu à la diminution de la capacité excédentaire, à la rentabilité saine des entreprises et à l’assouplissement des conditions de financement, tout en bénéficiant d’une réduction des mises à pied d’emplois et d’une certaine demande déficiente de biens de consommation durables. La normalisation sous-jacente du comportement financier du secteur privé, bien qu’elle ne soit pas imperméable aux revers en cas de chocs majeurs sur la confiance, est de bon augure pour une croissance soutenue mais plutôt modérée dans les économies avancées.

Les grandes économies émergentes, notamment la Chine, l’Inde et le Brésil, ont connu une hausse des taux d’inflation et une croissance rapide des prix du crédit et des actifs. Sur la base des expériences passées, cela augmente le risque que le boom finisse par se terminer par un effondrement, d’où les efforts de leurs autorités pour resserrer la politique monétaire et la croissance du crédit afin d’assurer un atterrissage en douceur pour leurs économies. Les pressions inflationnistes se sont intensifiées non seulement en raison de la hausse rapide des prix internationaux des produits alimentaires et de l’énergie, mais aussi en raison des pressions croissantes exercées par la demande sur la capacité. À court terme, le ralentissement de la croissance des marchés émergents aura des effets négatifs sur les économies avancées, mais à plus long terme, il sera bénéfique pour l’économie mondiale en rendant la croissance mondiale durable.

Les Perspectives mondiales : 2011-2012

La croissance mondiale devrait ralentir de façon marquée, passant de près de cinq pour cent en 2010 à un taux plus durable d’environ quatre pour cent par an en 2011 et 2012. La croissance en Chine et dans plusieurs autres pays émergents devrait ralentir au cours des deux prochaines années, bien qu’à des taux encore relativement rapides, en réponse au resserrement des politiques monétaires et budgétaires, à la hausse des prix des produits de base et à une appréciation de leurs taux de change effectifs réels. Une partie de cette appréciation reflète des taux beaucoup plus rapides d’inflation des prix intérieurs dans les pays émergents que dans les économies avancées, qui pourraient persister au cours des prochaines années. Il se pourrait bien qu’avec une plus grande priorité accordée à la lutte contre les pressions inflationnistes, la Chine permette également une plus grande appréciation de son taux de change nominal. Le resserrement plus important des politiques monétaires et de crédit dans les pays émergents par rapport aux économies avancées à court terme se traduira par d’autres entrées de capitaux importantes et des pressions à la hausse sur les devises des marchés émergents. Dans le même temps, la croissance toujours robuste de la demande dans les pays émergents dans le contexte de l’atterrissage en douceur prévu soutiendra les prix fermes des produits de base.

À moins d’une aggravation significative des perturbations de l’approvisionnement en pétrole et d’une hausse conséquente des prix du pétrole, la dynamique des économies avancées en 2010 devrait se poursuivre en 2011 et dans une moindre mesure en 2012, sauf au Japon en raison du tremblement de terre et d’un yen très fort. La croissance aux États-Unis devrait être proche de trois pour cent et dans la zone euro un peu moins de deux pour cent. Des marchés du travail plus solides soutenant les dépenses des ménages, une forte expansion des investissements des entreprises dans les machines et le matériel, et des gains modestes dans les exportations nettes réelles devraient aider à maintenir une trajectoire de croissance modérée même si les politiques budgétaires intérieures se resserrent. Bien que l’inflation globale de l’IPC puisse afficher de larges fluctuations en réponse aux fluctuations des prix de l’énergie et des produits alimentaires ou des impôts indirects, les taux d’inflation de base devraient converger vers leurs cibles implicites ou explicites à mesure que l’offre excédentaire diminue progressivement et que les prix des importations d’importations autres que les produits de base augmentent plus rapidement.

Bien que le risque d’une récession à double creux dans les économies avancées semble maintenant minime, il existe encore une incertitude considérable quant à la vigueur de l’expansion à court terme. Les risques à la baisse découlent de la possibilité d’une aggravation des perturbations de l’approvisionnement en pétrole, d’une baisse des prix de l’immobilier, d’un désendettement accru des ménages, de progrès insuffisants pour endiguer les pressions inflationnistes et l’accumulation du risque de crédit dans les pays émergents, et de l’incertitude quant à la résolution de la crise de la dette souveraine dans la zone euro.

Avec la récession et la crise financière, les gouvernements des pays avancés ont vu leur déficit et leur dette augmenter rapidement (graphique 1). Pour l’ensemble des pays avancés, une réduction du solde des administrations publiques corrigé des variations cycliques en pourcentage du PIB potentiel commencera cette année, mais à un rythme un peu plus lent que prévu l’automne dernier, car l’assainissement des finances publiques a été reporté à 2012 aux États-Unis et au Japon. Dans la zone euro et au Royaume-Uni, en revanche, le resserrement devrait être particulièrement sévère en 2011. Dans l’ensemble, l’assainissement discrétionnaire des finances publiques se cumule à 1,5 % du PIB potentiel au cours des deux prochaines années dans les économies avancées.

Perspectives financières

Les attentes concernant la vigueur de la demande intérieure privée et des exportations à court terme ainsi que les effets des compressions budgétaires (ou de leur absence) sont des facteurs clés dans les décisions de politique monétaire dans les économies avancées, compte tenu de l’état actuel perçu de la capacité excédentaire et du niveau de l’inflation mesurée par l’indice de référence. La diversité des circonstances auxquelles sont confrontés les pays et les degrés légèrement différents de tolérance aux risques du côté de l’inflation dans les banques centrales signifient que le moment et la rapidité du resserrement de la politique monétaire devraient différer d’un pays à l’autre à court terme. Début avril, la BCE a été la première des principales banques centrales à relever les taux directeurs. Depuis, il s’est retenu sur de nouvelles augmentations. Pour les États-Unis et le Royaume-Uni, la stratégie d’une éventuelle sortie est rendue plus complexe par leur dépendance à l’assouplissement quantitatif, qui a servi d’alternative aux baisses de taux directeurs après que ces taux ont atteint leur limite inférieure zéro. Qu’il en soit, les taux des obligations d’État à long terme ont déjà sensiblement augmenté par rapport à leurs creux de l’été dernier, reflétant les attentes des investisseurs à la fois d’une inflation plus élevée et de rendements réels plus élevés en raison du resserrement prévu de la politique monétaire.

Bien qu’ils soient à la hausse, les taux d’intérêt directeurs dans les économies avancées devraient rester relativement bas même d’ici la fin de 2012, et beaucoup plus bas que dans les pays émergents. Cela encouragera l’effet de levier excédentaire, la recherche de rendement et le carry trade, avec probablement d’autres pressions à la baisse sur le dollar américain. En plus des écarts de risque généralement étroits, l’argent bon marché pourrait bien stimuler les fusions et les acquisitions, un peu comme il l’a fait au cours de 2005-2007. D’un autre côté, les prêts bancaires aux petites et moyennes entreprises resteront probablement quelque peu limités, car les banques s’efforcent de satisfaire à des exigences de fonds propres plus strictes tout en continuant de faire face aux problèmes hérités de la crise financière. Il faut s’attendre à une volatilité considérable des marchés des valeurs mobilières et des taux de change à court terme.

Perspectives pour le Canada

La croissance au Canada devrait ralentir graduellement à court terme et converger vers son taux potentiel plus faible à mesure que le ralentissement économique s’accélérera. Une expansion régulière, bien que peu spectaculaire, aux États-Unis alimenterait les exportations, tandis que les prix élevés des produits de base renforceraient les investissements des entreprises et les dépenses de consommation, ces dernières par des gains en termes de commerce et de richesse. D’autre part, l’assainissement des finances publiques aux niveaux fédéral et provincial réduirait les revenus et les dépenses, les ménages maintiendraient leur consommation en fonction de leur revenu disponible compte tenu de leur niveau élevé d’endettement (graphique 2), l’investissement dans le logement ne contribuerait pas à la croissance et une compétitivité très détériorée entraverait les exportations nettes réelles (graphique 3). Cette détérioration découle essentiellement d’un dollar canadien plus fort et d’une croissance de la productivité plus faible qu’aux États-Unis (graphique 4). Il faut s’attendre à d’autres ajustements difficiles à l’appréciation du dollar canadien dans le secteur canadien de la fabrication, un secteur qui est particulièrement exposé aux fluctuations du taux de change en raison de son degré élevé d’ouverture.

Quelques implications pour les entreprises canadiennes

La plupart des répercussions indiquées dans les Perspectives économiques de Bennett Jones à l’automne 2010 sont toujours d’accord. La récente hausse des prix des produits de base se traduirait par des marges plus élevées pour de nombreux producteurs de produits de base et stimulerait le revenu réel et la demande de biens et de services dans les provinces de l’Ouest et à Terre-Neuve-et-Labrador. Cela donne à tous les établissements canadiens de plus amples possibilités de vente sur ces marchés. À court terme, un dollar canadien plus élevé réduit les marges des entreprises canadiennes qui font concurrence à des étrangers sur les marchés étrangers ou nationaux. Les entreprises pourraient profiter de bilans solides, d’un dollar canadien plus fort et de taux d’intérêt et de conditions de crédit toujours favorables pour acquérir à moindre coût de la machinerie et du matériel améliorant la productivité. Cela atténuerait quelque peu l’impact négatif de la hausse du dollar sur leur compétitivité. Compte tenu de l’importante volatilité des marchés financiers et des marchés des changes à laquelle on peut s’attendre à court terme, les entreprises bénéficieraient également de stratégies de couverture et de gestion des risques prudentes.

Répercussions des récents budgets au Canada

Les gouvernements canadiens font face à une période de compressions budgétaires importantes dans les années à venir. Au cours des derniers mois, les gouvernements du Canada1, de l’Ontario, du Québec et de l’Alberta ont publié leurs budgets de 2011. Les quatre gouvernements prévoient équilibrer leur budget sur des horizons allant de 2012-2013 en Alberta à 2017-18 en Ontario. Dans tous les cas, les projections économiques et de revenus se situent bien dans des fourchettes plausibles. Là où les projections budgétaires sont assez problématiques, c’est en ce qui concerne la croissance prévue des dépenses de programmes totales, qui est très faible pendant de nombreuses années consécutives. Même en tenant compte d’une croissance très lente des dépenses en soins de santé par rapport aux tendances historiques et à nos propres projections2, cela signifie que les dépenses pour une bonne partie des services gouvernementaux diminuent d’année en année, notamment en Ontario et au Québec. L’expérience passée donne à penser qu’il existe un risque important qu’après quelques années de compression, les dépenses de programmes rebondissent avec vengeance une fois que la situation financière générale s’améliorera, soit en raison d’une forte demande de services publics, soit d’un rattrapage partiel des salaires dans le secteur public, soit des deux. Dans le budget fédéral, les dépenses de programmes excluant les transferts aux autres administrations n’ont augmenté que légèrement entre 2010 et 2015, tandis que ces transferts devraient croître de façon irréaliste un peu moins que le PIB nominal du Canada au cours de la même période. Les pressions exercées sur le gouvernement fédéral pour obtenir des augmentations des transferts fiscaux et un réaménagement du partage des ressources financières au sein de la fédération (péréquation) s’intensifieront considérablement au cours des prochaines années.

Le besoin d’assainissement fiscal est particulièrement grand en Ontario en raison de son déficit considérable par rapport au PIB et au Québec en raison de sa dette nette élevée par rapport au PIB. Les paiements au titre du service de la dette augmentent plus rapidement que le PIB nominal et les revenus autonomes dans ces deux provinces, même si, pour l’Ontario, il n’y a pratiquement aucune provision pour les augmentations du taux d’intérêt moyen sur la dette jusqu’au milieu de la décennie. En Alberta, les prix élevés du pétrole et l’expansion de la production de pétrole non classique ont considérablement stimulé les revenus tirés des ressources en 2012 et en 2013, mais ces revenus provenant des ressources non renouvelables devraient être affectés à l’investissement en capital plutôt qu’aux services courants.


 
Remarques :
  1. Un nouveau budget fédéral sera présenté une fois que la Chambre des communes reprendra ses travaux. Tout porte à croire qu’il sera très semblable à celui présenté en mars dernier.
  2. Notre scénario de base prévoit une croissance annuelle moyenne des dépenses totales (publiques et privées) en soins de santé au Canada d’environ 6,5 % entre 2009 et 2016. Cela se compare à 8,3 % entre 1975 et 2009 et à 6,6 % entre 1995 et 2009. Voir D.A. Dodge et R. Dion, « Chronic Healthcare Spending Disease: A Macro Diagnosis and Prognosis », C.D. Howe Institute Commentary, no 327, avril 2011.

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