La décision de la CSC dans le recours collectif Uber protège l’accès aux recours dans les conventions d’arbitrage standard

02 septembre 2020

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Écrit par Charlotte K.B. Harman

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Reproduit avec la permission de LexisNexis Canada Inc., tiré du Class Action Defence Quarterly édité par Eliot N. Kolers, Copyright 2020.

Le 26 juin 2020, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision très attendue dans l’affaire Uber Technologies Inc. c. Heller. 1

L’appel a examiné la question de savoir si le recours collectif de David Heller, intenté contre Uber en 2017 au nom de ses chauffeurs de taxi et de livraison de nourriture pour des infractions à la Loi sur les normes d’emploi (LNE)2 de l’Ontario, devrait être suspendu devant le tribunal de l’Ontario et renvoyé à l’arbitrage en vertu d’une clause d’arbitrage obligatoire contenue dans l’entente de services aux chauffeurs type d’Uber.

Dans une décision à 8-1, la CSC a statué que dans les cas où les droits contractuels d’une partie sont « illusoires »3 en raison de l’inégalité du pouvoir de négociation ou de conditions indûment onéreuses qui rendent le règlement d’une affaire par arbitrage « réalistement inaccessible »4, le droit de cette partie de demander une solution par l’entremise des tribunaux – y compris par voie de recours collectif – sera maintenu.

La loi applicable au Canada est qu’un arbitre devrait être le premier à se prononcer sur les contestations préliminaires de la compétence d’un arbitre lorsqu’une convention d’arbitrage est sans doute en place. La CSC a toutefois statué que dans les cas où il y a une véritable contestation de la compétence arbitrale et une « perspective réelle » que le renvoi à l’arbitrage puisse faire en sorte qu’une contestation ne soit jamais résolue5, l’accès au règlement des différends par le biais de procédures judiciaires doit demeurer accessible aux plaideurs.

Le flot de publicité découlant de cet appel témoigne de son influence perçue sur un large éventail de questions juridiques, y compris les recours collectifs, l’arbitrage international, les contrats commerciaux et le droit du travail. L’impact de la décision sur l’utilisation de contrats types dans l’économie internationale à la demande en pleine croissance est particulièrement préoccupant pour les multinationales et les grandes entreprises technologiques, où le recours à des dispositions d’arbitrage obligatoires pour gérer les litiges et l’exposition aux recours collectifs au-delà des frontières est devenu habituel.

Tout en souscrivant au juge Brown6 et au juge Dissident Coté7, ainsi qu’à de nombreux commentateurs, ont exprimé des préoccupations au sujet de la décision de la majorité, Uber apporte des conclusions fermes et importantes aux efforts continus de la Cour pour résoudre les conflits entre les dispositions d’arbitrage, les principes contractuels, les protections législatives pour les catégories de plaideurs et les recours collectifs au Canada. Comme je l’ai exploré dans mon article précédent pour ce bulletin en juin 2019, 8 affaires telles que ZI Pompey Industries c ECU-Line NV, [2003] S.C.J. no 23, Douez c Facebook, Inc, [2017] S.C.J. no 33, et TELUS Communications Inc c Wellman, [2019] S.C.J. no 19, montrent les efforts historiques de la Cour pour concilier ces régimes qui se recoupent dans un climat d’affaires de plus en plus mondialisé.

Sur la base de cette histoire, les spéculations selon lesquelles Uber pourrait déraciner le cadre d’arbitrage et causer une incertitude contractuelle sont gonflées. Dans l’ensemble, la décision de la CSC dans l’affaire Uber a pour effet d’établir des limites plus claires entre la compétence des tribunaux et celle de l’arbitrage sur les requêtes en sursis au Canada.

Comme je le détaille ci-dessous, ce qu’il faut retenir d’Uber, c’est que, pour être efficaces, les conventions d’arbitrage doivent être rédigées de manière à fournir un accès réaliste et efficace au recours aux deux parties, en particulier dans le contexte des contrats types. Ce résultat découle logiquement des préoccupations fondamentales de politique publique en matière d’efficacité, de prévisibilité et d’accès à la justice qui sous-tendent collectivement les lois de l’arbitrage, des recours collectifs, des contrats et de la procédure civile. Uber situe ces objectifs stratégiques dans l’économie à la demande et dans l’environnement commercial contemporain plus large.

La règle du renvoi systémique à l’arbitrage avant Uber

Les tribunaux canadiens ont introduit des protections de plus en plus solides pour l’arbitrage dans le droit des contrats, en se fondant sur le fait qu’il s’agit d’une méthode rentable et efficace de règlement des différends. La Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario et la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (LICA) de l’Ontario exigent une suspension des procédures judiciaires lorsqu’un différend est assujetti à une convention d’arbitrage. 9 Bien que les décisions antérieures interprétant les dispositions de suspension obligatoire telles que Pompey10, Facebook11 et TELUS12 aient des caractéristiques distinctes, toutes les trois ont confirmé la règle générale selon laquelle les clauses de sélection du for et d’arbitrage sont présumées exécutoires, fondée sur la politique de promotion de l’efficacité, de la prévisibilité et de l’accès à la justice par le recours à un règlement extrajudiciaire des différends.

En plus des dispositions fondamentales relatives à la suspension obligatoire, la loi interne et l’ICAA adoptent le principe international de compétence-compétence, qui prévoit qu’un tribunal arbitral est compétent pour déterminer s’il est compétent. 13 Ce principe dit que même les exceptions préliminaires aux conventions d’arbitrage doivent être suspendues devant les tribunaux et renvoyées au tribunal.

Les lois sur l’arbitrage de l’Ontario mettent en œuvre la compétence-compétence par l’application combinée de : a) la compétence légale expresse du tribunal de se prononcer sur sa propre compétence , plus précisément, de statuer sur les objections concernant « l’existence ou la validité de la convention d’arbitrage »; 14 et b) les dispositions à l’appui qui exigent que les procédures judiciaires soient suspendues si les parties sont convenues de soumettre le différend à l’arbitrage, avec des exceptions spécifiées (y compris pour une convention d’arbitrage invalide). 15 ans

Des exceptions limitées à la règle du renvoi automatique sont exclues pour les dispositions relatives au sursis obligatoire et pour la compétence-compétence de la loi ontarienne. En vertu de l’ICAA, un tribunal peut refuser de soumettre un différend à l’arbitrage si la convention d’arbitrage est « nulle et non avenue, inopérante ou incapable d’être exécutée ». 16 L’article 7 2) 2 de la loi interne ajoute que le tribunal peut refuser d’accorder un arrêt des procédures judiciaires si « la convention d’arbitrage est invalide ». 17 En raison de ces exceptions, les tribunaux de l’Ontario se sont dotés d’une fenêtre de compétence concurrente pour statuer sur les objections préliminaires aux conventions d’arbitrage sous certaines conditions.

Ce chevauchement de compétences présentait des défis évidents pour les tribunaux lorsqu’ils répondaient aux requêtes en sursis. Dans l’affaire Union des consommateurs c. Dell Computer Corp (Dell), la CSC a introduit une « règle générale » de la « renvoi systémique à l’arbitrage » pour aider les tribunaux à exercer ce pouvoir concurrent. En l’espèce, la CSC a établi que les tribunaux ne devraient s’écarter de la règle générale que si la contestation est la suivante :

  1. Une question de droit pur; ou
  2. Une question mixte de droit et de fait qui n’exige qu’un examen superficiel du dossier de preuve. 18 ans

De plus, Dell a prévu que le tribunal doit être convaincu que la contestation n’est pas une tactique dilatoire et qu’elle ne nuira pas indûment à la procédure d’arbitrage avant de s’écarter de la règle du renvoi général. 19 ans

À la suite de l’affaire Dell, la loi qui précédait Uber était que les tribunaux arbitraux n’avaient pas le pouvoir exclusif de trancher les contestations de compétence en première instance en Ontario – les tribunaux conservaient un pouvoir concurrent dans des situations limitées. 20

Faits et historique de l’action Heller v Uber

Le demandeur, David Heller, a intenté un recours collectif contre Uber en 2017 en Ontario pour violation de la LNE. À l’époque, M. Heller travaillait comme chauffeur de services alimentaires et de livraison à Toronto en utilisant les applications logicielles d’Uber.

Pour devenir chauffeur pour Uber, M. Heller devait accepter les conditions de l’entente de services standard d’Uber. Aux termes de cet accord, les chauffeurs étaient tenus de résoudre tout différend avec Uber par le biais d’un arbitrage obligatoire aux Pays-Bas. 21 L’accord stipulait que l’arbitrage serait mené conformément aux règles de la CCI, qui exigent des frais administratifs et de dépôt initiaux de 14 500 usd, plus tous les autres frais juridiques et coûts de participation. 22 La preuve non contestée concernant le revenu de M. Heller en tant que chauffeur d’Uber était qu’il gagnait environ 400 $ à 600 $ par semaine sur la base de 40 à 50 heures de travail, ou de 20 800 $ à 31 200 $ par année, avant impôts et dépenses. 23 Par conséquent, les coûts d’arbitrage d’une réclamation contre Uber s’élèveraient à la totalité ou à la majeure partie du revenu annuel brut qu’il a gagné en travaillant à temps plein comme chauffeur Uber.

Uber a présenté une requête en sursis au recours collectif en faveur de l’arbitrage aux Pays-Bas, en s’appuyant sur la clause d’arbitrage. 24 Le juge Perell de la Cour supérieure a suspendu l’instance, statuant que la validité de la convention d’arbitrage devait être soumise à l’arbitrage, conformément au paragraphe 17(1) de la Loi nationale et au paragraphe 16(1) de la LCI.

La Cour d’appel a infirmé à l’unanimité la suspension, concluant que l’accord était invalide parce qu’il : a) constituait une sous-traitance inadmissible des protections de la LNE; et b) était inadmissible, compte tenu de l’inégalité du pouvoir de négociation entre les parties, et du coût « imprévoyant » (ou déraisonnable) de l’arbitrage. 25 ans

La CSC maintient l’accès aux tribunaux lorsque les conventions d’arbitrage empêchent effectivement un règlement

Uber a présenté deux nouveaux défis à la CSC dans l’application du droit d’arbitrage existant en Ontario :

  1. Quand les tribunaux devraient-ils exercer leur compétence pour statuer sur les contestations préliminaires de la validité d’une convention d’arbitrage?
  2. Comment les tribunaux devraient-ils résoudre de telles contestations lorsque les conditions entourant l’accord rendent un règlement par arbitrage improbable ou impossible?

Conformément à l’arrêt Dell, si une contestation de la validité d’une convention d’arbitrage soulève une question de droit ou de droit mixte et de fait n’exigeant qu’un examen superficiel de la preuve, le tribunal peut se prononcer sur les questions contractuelles présentées dans le cadre d’une requête en sursis.

Une décision sur ce seul fondement aurait parfaitement cadrer avec le rôle institutionnel et la compétence fondamentale des tribunaux de l’Ontario établis par le législateur, en particulier lorsque l’interprétation et l’effet d’un La loi de l’Ontario (la LNE, en l’espèce) est en cause. Dans un recours collectif proposé impliquant une clause d’arbitrage dans un contrat d’adhésion, la décision d’un tribunal peut également fournir une résolution commune et contraignante (ou très persuasive) d’une question juridique applicable à toutes les parties à la clause d’arbitrage, promouvoir l’accès à la justice et assurer une résolution cohérente de la question juridique - si la question reste finalement devant les tribunaux ou est renvoyée à l’arbitrage.

Face à une convention d’arbitrage qui présentait des obstacles flagrants à l’accès d’une partie à la justice, la CSC dans l’affaire Uber a été chargée d’appliquer la règle dans l’affaire Dell tout en maintenant les principales préoccupations stratégiques en matière d’efficacité, de prévisibilité et d’accès à la justice qui sous-tendent le cadre d’arbitrage de l’Ontario. En fait, ces objectifs sont également essentiels à la LNE26, à la Loi sur les recours collectifs27, et à l’approche des tribunaux civils en matière d’ordre public en général. 28 ans

Comme l’a déclaré la majorité, « Dell n’a pas envisagé un scénario dans lequel une affaire ne serait jamais résolue si la suspension était accordée. Une telle situation soulève des problèmes pratiques évidents d’accès à la justice que le législateur de l’Ontario n’aurait pas pu avoir lorsqu’il a donné aux tribunaux le pouvoir de refuser un sursis29.

L’absence d’accès de bonne foi aux recours est devenue la principale préoccupation de la majorité dans l’affaire Uber. La Cour a estimé que « lorsque l’arbitrage est réalistement inaccessible, il n’équivaut à aucun mécanisme de règlement des différends ». 30 Étant donné que M. Heller n’aurait peut-être pas les ressources nécessaires pour arbitrer ses différends en vertu des exigences d’Uber (c’est-à-dire les frais et les déplacements associés à l’arbitrage aux Pays-Bas), lui et d’autres chauffeurs n’auraient aucune possibilité raisonnable de voir leurs plaintes réglées.

Cette position reflète étroitement les préoccupations soulevées par les juges Abella et Karakatsanis dans leur opinion dissidente dans TELUS (2019). 31 Dans cette affaire, les consommateurs de la catégorie prospective étaient automatiquement exemptés d’une clause d’arbitrage obligatoire dans les ententes de services mobiles de TELUS en vertu de la Loi sur la protection du consommateur de l’Ontario. 32 Cependant, à leur avis, l’exclusion des clients d’affaires de TELUS du groupe risquait de les empêcher de poursuivre entièrement leurs réclamations pour frais payés en trop, empêchant l’accès à la justice pour les réclamations de faible valeur qui ne pouvaient justifier les dépenses de l’arbitrage individualisé33 et « minant davantage le régime de recours collectifs de l’Ontario en tant que viable, mécanisme d’accès procédural à la justice ». 34 ans

En se concentrant sur l’objectif ultime d’assurer un véritable accès aux recours, la majorité dans l’affaire Uber a conclu que la convention d’arbitrage était inapplicable sur deux bases.

Premièrement, la Cour a statué qu’elle avait compétence pour se prononcer sur la contestation de la convention d’arbitrage parce que les faits de l’affaire soulevaient une question d'« accessibilité » qui n’avait pas été présentée dans l’arrêt Dell et justifiait de s’écarter de la règle systémique du renvoi. Bien que les juges majoritaires aient conclu que les conditions énoncées dans l’arrêt Dell pouvaient effectivement être remplies pour justifier une décision de la Cour sur l’invalidité de l’accord, la Cour est allée plus loin pour établir un nouveau motif de compétence du tribunal de refuser un sursis lorsque des préoccupations relatives à l’accès pratique à la justice sont présentées. Plus précisément, cette exception s’appliquerait dans les cas où l’accès à une décision d’un arbitre était peu probable ou impossible.

La Cour a déclaré ce qui suit: « Pour déterminer si seul un tribunal peut résoudre la contestation de la compétence arbitrale, le tribunal doit d’abord déterminer si, en supposant que les faits invoqués pour être vrais, il existe une véritable contestation de la compétence arbitrale. Deuxièmement, le tribunal doit déterminer, à partir de la preuve à l’appui, s’il existe une possibilité réelle que, si la suspension est accordée, la contestation ne soit jamais résolue par l’arbitre » 35 ans

Ensuite, après avoir établi cette compétence, la Cour a conclu que la convention d’arbitrage d’Uber était invalide parce qu’elle était déraisonnable. Les juges majoritaires ont de nouveau suivi les directives de l’affaire TELUS selon lesquelles [traduction] « les arguments relatifs à toute iniquité potentielle découlant de l’application des clauses d’arbitrage contenues dans les contrats types sont mieux traités directement au moyen de la doctrine en equity de l’iniquité36 », qui, selon elle, permet au tribunal d'« invalider une seule clause dans un contrat par ailleurs exécutoire »37 afin de résoudre des conditions manifestement injustes ou déraisonnables.

Compte tenu des incohérences dans l’application de la doctrine par les tribunaux inférieurs, la majorité a cherché à explorer et à clarifier l’approche de l’iniquité, qu’elle a jugée être un critère en deux étapes, composé de: (1) la preuve de l’inégalité dans les positions des parties; et (2) la preuve d’une négociation imprudente. 38 Cela était conforme au jugement concordant de la juge Abella dans l’affaire Facebook, où elle a appliqué l’approche en deux étapes à une clause de sélection du forum dans un contrat de consommation standard qui, selon elle, a créé un avantage « injuste et écrasant » pour la partie rédactionnelle, Facebook. 39 ans

L’iniquité est peut-être l’élément le plus contesté des motifs de la majorité. Le juge Brown, dans son opinion concordante, aurait conclu que l’accord était invalide en tant que « simple » question d’ordre public selon laquelle « les tribunaux n’appliqueront pas les conditions contractuelles qui, expressément ou par leur effet, refusent l’accès au règlement indépendant des différends ». 40 Une disposition « qui pénalise ou interdit à une partie de faire respecter les termes de son accord », affirme-t-il, « porte directement atteinte à l’administration de la justice ». 41 De l’avis du juge Brown, l’application de la doctrine de l’iniquité était « tout à fait inutile » et a donné lieu à ce qu’il estimait être un « élargissement radical » de la portée de la doctrine.

Dans son opinion dissidente, la juge Côté n’était pas d’accord avec l’application des doctrines de l’iniquité et de l’ordre public à la clause d’arbitrage d’Uber, notant ce qui suit :

Bien que les temps changent et que les modèles conventionnels de travail et d’organisation des affaires changent avec eux, les conditions fondamentales de la liberté individuelle dans une société libre et ouverte ne changent pas. L’autonomie des parties et la liberté contractuelle sont les pierres angulaires philosophiques de la législation moderne sur l’arbitrage. 42 ans

Appliquant l’arrêt Dell, elle a conclu que la doctrine de l’iniquité et la LNE soulevaient des questions de droit et de fait mixtes qui ne pouvaient pas être tranchées sur la base d’un examen superficiel de la preuve et qui auraient donc dû être renvoyées à un arbitre. Dans son approche typique fondée sur les faits, la juge Côté a conclu que les conditions de la convention d’arbitrage avaient été clairement communiquées à M. Heller au moment de la signature du contrat et que l’entente, ayant été librement conclue, devrait être maintenue. Il convient toutefois de noter qu’elle a tout de même conclu que les frais d’arbitrage étaient intenables pour M. Heller. Elle aurait donc accordé un arrêt des procédures, à la condition qu’Uber avance les fonds nécessaires pour engager l’arbitrage.

Conclusion : Les conventions d’arbitrage doivent prévoir un accès de bonne foi aux recours juridiques

Les organisations multinationales qui font des affaires sur le marché mondialisé s’appuient sur des accords types pour structurer leurs activités de manière efficace et efficiente. Naturellement, ces organisations cherchent également à rédiger des accords qui limitent et favorisent la prévisibilité de leur exposition aux litiges, en particulier en termes de recours collectifs. Toutefois, ce processus présente un risque évident lorsqu’une partie qui a beaucoup plus de ressources et de savoir-faire cherche à restreindre ou à éliminer la voie de règlement des différends découlant de ces contrats. Si une question se pose en vertu de cet accord, le recours prescrit peut ne pas être véritablement compris par les personnes contractantes au moment de la formation, et peut ne pas être viable, pratique ou réalisable en cas de différend.

La décision de la majorité dans l’affaire Uber indique clairement que la disponibilité de l’accès à un recours juridique significatif sera primordiale pour les tribunaux dans les requêtes en sursis. Les personnes qui passent des contrats avec des entreprises de l’économie à la demande se verront garantir l’accès au règlement des différends par l’entremise des tribunaux si les circonstances de leurs ententes rendent l’arbitrage impossible :

L’accès à la justice civile est une condition préalable non seulement à une démocratie qui fonctionne, mais aussi à une économie dynamique, en partie parce que l’accès à la justice permet aux parties contractantes de faire respecter leurs accords. Un contrat qui refuse à une partie le droit d’en faire respecter les conditions porte atteinte à la fois à la primauté du droit et à la certitude commerciale. 43 ans

Uber ne rend pas les conventions d’arbitrage sans valeur dans le contexte des contrats types. Au contraire, les entreprises qui passent des contrats avec des travailleurs et d’autres fournisseurs de services dans l’économie à la demande, ou qui déploient des contrats de masse d’adhésion en général, devraient être conscientes lors de la rédaction des dispositions de médiation et d’arbitrage que ces accords offrent une occasion réaliste et efficace de règlement des différends. Comme l’indique la majorité, le but des conventions d’arbitrage n’est pas d’isoler une partie de toute contestation significative, ni de refuser à l’autre toute forme de réparation. 44 ans

À la suite d’Uber, les entreprises qui ne tiennent pas compte de l’accès à la justice et aux mécanismes de règlement des différends statutaires pertinents lors de la rédaction de leurs accords types peuvent risquer d’être exposées à des recours individuels et collectifs, et peut-être, à une décision des tribunaux que les accords sont invalides sur la base de l’iniquité.

À la suite de la décision de la CSC, les juges, les praticiens et les entreprises peuvent s’attendre à voir une augmentation des litiges concernant les questions d'« accessibilité » et les conventions d’arbitrage, ainsi que des réclamations d’iniquité lorsque des accords types et d’autres contrats d’adhésion sont impliqués.

Heller sera désormais autorisé à intenter un recours collectif de 400 millions de dollars au nom des chauffeurs d’Uber à travers le Canada. L’action parallèle des États-Unis.class, O’Connor c. Uber, a été réglée pour 20 millions de dollars en mars 2020. 45 ans

Remarques :

  1. Uber Technologies Inc. c. Heller, [2020] A.C.S. no 16, 2020 CSC 16 [Uber SCC].
  2. Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, ch. 41 [LNE].
  3. Uber SCC, supra note 1 au para 97.
  4. Ibid.
  5. Ibid au para 44.
  6. Ibid aux para 101-176.
  7. Ibid aux para 177-338.
  8. (2019), 13 C.A.D.Q. 51.
  9. Loi sur l’arbitrage de l’Ontario, par. 17(1); ICAA, art. 16(1). Le paragraphe 17(2) de la Loi prévoit une autre mise en garde selon laquelle le tribunal peut se prononcer sur une objection de compétence si, dans les 30 jours suivant la décision du tribunal arbitral rendant une décision juridictionnelle, une partie demande à la cour de le faire. 
  10. Z.I. Pompey Industries c. ECU-Line N.V., [2003] A.C.S. no 23. 
  11. Douez c. Facebook, Inc., [2017] C.S.J. no 33 [Facebook]. 
  12. TELUS Communications Inc. c. Wellman, [2019] A.C.S. no 19 [TELUS]. 
  13. Compétence-compétence est un fondement du système d’arbitrage commercial international, en vertu de l’article 16 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (1985) et de la Convention de New York (1958). Ceux-ci sont adoptés dans le droit de l’Ontario par l’article 17 de la Loi de 1991 sur l’arbitrage (Ontario) et l’article 16 de la Loi type en vertu de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (Ontario). 
  14. Loi sur l’arbitrage de l’Ontario, par. 17(1); ICAA, art. 16(1). Le paragraphe 17(2) de la Loi prévoit une autre mise en garde selon laquelle le tribunal peut se prononcer sur une objection de compétence si, dans les 30 jours suivant la décision du tribunal arbitral rendant une décision juridictionnelle, une partie demande à la cour de le faire. 
  15. Loi sur l’arbitrage de l’Ontario, alinéas 7(1) et (2); ICAA, art. 8. 
  16. ICAA, art. 8 1). 
  17. Loi sur l’arbitrage de l’Ontario, par. 7(2). 
  18. Union des consommateurs c. Dell Computer Corp., [2007] A.C.S. no 34, [2007] 2 R.C.S. 801 aux para 84-85 [Dell]. 
  19. Ibid au para 83. 
  20. Il est à noter que dans des affaires peu claires, la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’il est « préférable de laisser la question à l’arbitre » : Ciano Trading & Services CT & SRL v Skylink Aviation Inc, 2015 ONCA 89 au para 7. 
  21. Uber SCC, supra note 1 au para 8. 
  22. Ibid au para 10. 
  23. Ibid au para 11. 
  24. Heller v. Uber Technologies Inc., [2018] O.J. No. 502, 2018 ONSC 718. 
  25. Heller v. Uber Technologies Inc., [2019] O.J. No. 1, 2019 ONCA 1.
  26. La juge Coté note dans sa dissidence que « l’objectif des dispositions d’application de la LNE est de rendre la réparation disponible, lorsque cela est approprié, rapidement et à moindre coût »: Uber SCC, supra note 1 au paragraphe 301.
  27. Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6.
  28. Voir, par exemple, la règle 1.04(1) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règlement 194.
  29. Uber SCC, supra note 1 au para 38.
  30. Ibid au para 97.
  31. TELUS, supra note 11.
  32. Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, ch. 30, annexe A, par. 7(5).
  33. Ibid au para 165.
  34. Ibid au para 158
  35. Uber SCC, supra note 1 au para 44.
  36. TELUS, supra note 11 au para 85
  37. Ibid à 113, citant Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transportation and Highways), [2010] S.C.J. no 4, [2010] 1 R.C.S. 69, au para 122.
  38. Uber SCC, supra note 1 au para 64.
  39. Facebook, supra note 10 au para 115.
  40. Uber SCC, supra note 1 au para 105.
  41. Ibid au para 110.
  42. Ibid au para 110.
  43. Ibid au para 112. 
  44. Ibid au para 39.
  45. O’Connor v. Uber Techs., Inc., affaire no 13-cv-03826-EMC (ND Cal 29 mars 2019).

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