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Enquêtes internes et privilège : la Cour d’appel de l’Alberta intervient

19 juillet 2017

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Écrit par Scott H.D. Bower, Russell J. Kruger, Brad Gilmour, David R. McKinnon and Jaspreet Singh

Les documents et les dossiers d’une enquête interne sur un accident de travail peuvent être privilégiés malgré l’obligation légale de mener une enquête et de préparer un rapport, a récemment confirmé la Cour d’appel de l’Alberta dans Alberta v Suncor Energy Inc, 2017 ABCA 221 [Suncor]. Toutefois, l’extension du privilège à de tels documents nécessite un examen document par document de l’objectif de la création de chacun d’eux.

Les documents qui sont privilégiés n’ont pas à être divulgués à l’autre partie dans le cadre d’une poursuite ou d’une réponse à l’accès à l’information. Plusieurs types différents de privilèges peuvent s’appliquer pour protéger les documents créés ou recueillis au cours d’une enquête interne, dont les plus courants sont le privilège relatif aux litiges et le privilège relatif aux conseils juridiques. Le privilège relatif aux litiges couvre les documents créés dans le but principal d’un litige existant ou envisagé, tandis que le privilège relatif aux conseils juridiques s’applique aux communications entre avocats et clients effectuées dans le but d’obtenir des conseils juridiques.

À Suncor, un employé a été tué dans un accident de travail. Suncor a immédiatement signalé l’incident en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) et a entrepris une enquête interne sous la direction d’un avocat interne. Le personnel de la santé et de la sécurité au travail (SST) a mené sa propre enquête, recueillant des dossiers et interrogeant environ 15 témoins. En vertu de la LSST, Suncor avait l’obligation légale de « mener une enquête sur les circonstances » entourant l’accident et de préparer un rapport décrivant ces circonstances et les « mesures correctives, le cas échéant, prises pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise ». Suncor a fourni le rapport à la SST, ainsi que les noms des personnes interrogées et celles qui composent l’équipe d’enquête interne. La SST a exigé des dossiers supplémentaires de Suncor, y compris des copies des déclarations des témoins et des dossiers pris ou recueillis par l’équipe d’enquête de Suncor. Suncor a refusé, invoquant à la fois le litige et le privilège des conseils juridiques.

Dans la décision Court of Queen’s Bench, que nous avons examinée dans un earlier post, le juge en chambre a conclu que les obligations légales en vertu de la LSST n’a pas empêché Suncor d’affirmer que l’objet principal de la collecte de renseignements était de se préparer à un litige, permettant ainsi aux documents d’être protégés par le privilège relatif au litige. D’après les faits, le juge siégeant en chambre a conclu que « l’objet principal de l’enquête de Suncor était d’envisager un litige de manière à revêtir de privilèges juridiques tous les documents « créés et/ou recueillis » au cours de cette enquête ». Afin de déterminer si les documents précis sur lequel Suncor a invoqué le privilège étaient protégés, un renvoi à l’avocat en gestion de l’instance du Banc de la Reine a été ordonné.

En appel, la Cour d’appel a confirmé que les obligations légales en vertu de la LSST n’excluent pas les revendications de privilège. La Cour a souligné que la Cour suprême du Canada a statué que « le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat « ne peuvent être abrogés par déduction et qu’un libellé clair, explicite et sans équivoque est nécessaire pour le lever » ». Le libellé de la LSST (« peut se renseigner » et « fournir ... toute information ») n’était « pas suffisamment claire ou sans équivoque pour abroger le privilège ».

Toutefois, la Cour a conclu que le juge siégeant en chambre avait commis une erreur en appliquant une approche trop large du privilège : « [s]i si l’objet principal de l’enquête dans son ensemble était d’envisager un litige », il ne s’ensuivait pas que chaque document « créé et/ou recueilli » au cours de l’enquête avait été créé dans le but principal du litige. L’approche du juge siégeant en chambre étendrait le privilège à « l’ensemble du dossier d’enquête interne, quelle que soit la genèse des documents individuels ou des liasses de documents similaires ». Par exemple, les documents créés par l’équipement ou les processus existants à des fins autres que les litiges qui ont été recueillis par Suncor au cours de l’enquête seraient protégés à tort en vertu de cette approche.

La Cour a souligné deux caractéristiques centrales de l’approche correcte du privilège fondée sur Canadian Natural Resources Limited v ShawCor Ltd, 2014 ABCA 289. Premièrement, l’examen du privilège doit être axé sur l’objet pour lequel le document a été préparé ou créé, par opposition à la fin pour laquelle il peut avoir été recueilli ou utilisé. Deuxièmement, chaque document contesté doit être examiné, « document par document » (ou ensemble de documents similaires), afin de déterminer s’il satisfait ou non au critère du privilège. La Cour a ordonné que les documents soient examinés par un arbitre conformément à l’approche énoncée dans le jugement.

La Cour a également fourni des directives sur la façon de décrire suffisamment les documents contestés pour permettre une évaluation des revendications de privilège. Bien que les documents puissent être assujettis à la fois au privilège relatif aux litiges et au privilège relatif aux conseils juridiques, les parties doivent « distinguer de façon indépendante si le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige s’applique, afin de permettre une évaluation et un examen significatifs de chaque ensemble de documents », et doivent « décrire les documents d’une manière qui indique le fondement de leur demande ». Toutefois, cela n’exige pas qu’une partie « décrive le document d’une manière qui porte atteinte au privilège revendiqué ».

Suncor indique donc clairement que, bien que le contenu d’une enquête interne puisse être privilégié, le fondement d’une telle réclamation peut être examiné de près. Les entreprises ne devraient pas se fier à la simple existence d’une enquête interne comme méthode de protection des documents. Les tribunaux examineront plutôt l’objet de la création de chaque document. Lorsqu’il y a une obligation légale de mener une enquête, les revendications de privilège ne sont pas exclues.

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