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La Cour suprême instituera-t-elle des défendeurs évasifs? Equustek c. Google Inc

23 février 2016

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La persistance d’une petite entreprise de technologie en Colombie-Britannique pourrait élargir les options offertes par les tribunaux canadiens pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle.

Equustek Solutions Inc. a poursuivi des défendeurs insaisissables pour violation de ses secrets commerciaux et de ses marques de commerce. Comme beaucoup d’autres titulaires de propriété intellectuelle, elle a obtenu plusieurs ordonnances judiciaires différentes pour tenter de prévenir les violations et de fermer l’entreprise illégale. Mais les accusés ont continué de s’appuyer sur l’anonymat d’Internet pour dissimuler leurs emplacements, et ont fréquemment changé d’adresse Web, tout cela pour échapper aux poursuites pénales et civiles.

Equustek a ensuite demandé aux tribunaux de la Colombie-Britannique d’accorder une nouvelle ordonnance contre Google, qui n’était pas un défendeur dans la poursuite. L’ordonnance supprimerait effectivement toutes les pages Web des défendeurs des résultats des moteurs de recherche de Google, n’importe où dans le monde. Equustek a réussi.

Google, préoccupé par les implications, a persuadé la Cour suprême du Canada d’entendre l’affaire.

Ordonnances préalables à l’audience pour aider les demandeurs

Dans des cas convaincants, les tribunaux civils ont créé des recours préliminaires limités et spécifiques pour aider les plaideurs privés à préserver et à protéger leurs droits légaux, en particulier contre ceux qui font preuve de mépris pour la primauté du droit. Ces nouvelles ordonnances prennent souvent le nom du premier cas dans lequel elles ont été accordées.

Une injonction Mareva[1] peut être obtenue pour geler les avoirs d’un défendeur avant qu’ils ne puissent être dissipés " un outil particulièrement utile dans les affaires de fraude. L’ordonnance est obtenue sans préavis aux défendeurs et peut être accordée au Canada pour geler des avoirs dans le monde entier, car l’argent traverse les frontières avec une relative facilité.

Ensuite, il y a une ordonnance Anton Piller « effectivement un mandat de perquisition civile. [2] Ces ordonnances, également obtenues sans mise en demeure, autorisent un demandeur à avoir un accès surprise aux locaux physiques et aux dossiers électroniques d’un défendeur pour localiser et préserver la preuve d’actes répréhensibles. L’ordonnance exige que le demandeur démontre que le défendeur serait autrement susceptible de détruire cette preuve s’il recevait signification d’une réclamation de la manière ordinaire.

Pour que ces recours soient efficaces, un demandeur doit savoir où se trouvent les défendeurs ou leurs biens. Si cette information n’est pas connue, ou si le demandeur ne sait pas encore qui sont les défendeurs, les tribunaux peuvent aider à obtenir des éléments de preuve entre les mains d’un tiers.

Dans une troisième affaire fondamentale, Norwich Pharmacal savait que son brevet était contrefait, mais ne connaissait pas les noms des contrefacteurs. Elle a demandé avec succès à un tribunal anglais d’exiger d’un tiers qu’il divulgue cette information, afin qu’elle puisse ensuite faire valoir ses droits. Des années plus tard, une série d’affaires canadiennes se sont développées accordant ce qu’on appelle des ordonnances pharmaceutiques de Norwich, [3] qui sont discutées plus en détail here. Les institutions financières sont souvent touchées : elles n’ont rien fait de mal, mais elles sont en quelque sorte « mélangées » dans les actes des malfaiteurs et sont la seule source pratique d’informations clés dont les demandeurs ont besoin pour faire valoir leurs droits.

Avec de plus en plus d’activités illégales se déplaçant vers les coins sombres d’Internet, les plaignants dans les affaires de propriété intellectuelle et autres sont motivés à demander aux moteurs de recherche, tels que Google, d’empêcher les pages Web offensantes d’apparaître dans les résultats de recherche. Personne n’allègue que Google a fait quoi que ce soit d’illégal ou d’illégal. Elle n’est pas partie à la poursuite. Mais les algorithmes de son moteur de recherche fournissent aux gens des hyperliens vers des sites Web exploités par des défendeurs en violation de la propriété intellectuelle ou d’autres droits, ou en violation d’une ordonnance du tribunal.

Equustek c. Google Inc

Equustek fabrique des dispositifs de mise en réseau à usage industriel. Elle affirme qu’un de ses anciens employés a conspiré avec une société appelée Datalink pour créer un produit concurrent qui utilisait les secrets commerciaux et les marques de commerce d’Equustek.

Equustek a poursuivi Datalink et un certain nombre de défendeurs individuels. Les défendeurs de Datalink n’ont pas participé au litige et leurs défenses ont été radiés. Cependant, ils ont continué à vendre le matériel par l’intermédiaire d’un certain nombre de sites Web.  Le tribunal de la Colombie-Britannique a accordé plusieurs ordonnances extraordinaires pour mettre fin à la conduite des défendeurs en attendant un procès, y compris une injonction Mareva et une injonction interdisant aux défendeurs de traiter de la propriété intellectuelle d’Equustek.

Ces ordonnances, ainsi qu’un mandat d’arrêt criminel à l’endroit d’une personne, n’ont pas arrêté les défendeurs de Datalink; ils ont continué à vendre le produit contesté sur le Web à partir d’endroits non divulgués.

Dans le cadre de sa stratégie d’application de la loi, Equustek s’est tourné vers Google, lui demandant de cesser d’indexer les sites Web des défendeurs n’importe où dans le monde. Google a volontairement supprimé 345 URL de ses résultats de recherche sur google.ca. Mais Equustek n’était pas satisfait. En pratique, les documents prétendument contrefaits étaient toujours disponibles en ligne.  Même si Google n’est pas partie à l’action sous-jacente et n’a jamais été accusé d’avoir fait quelque chose de mal, Equustek a demandé une ordonnance du tribunal obligeant Google à cesser d’afficher toute partie des sites Web contestés sur tous les résultats de recherche n’importe où dans le monde.

Aucun tribunal canadien n’avait jamais accordé une telle ordonnance. Mais la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a fait. Qualifiée d’injonction interlocutoire, l’ordonnance a été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Les deux tribunaux ont mentionné le problème du « whac-a-mole » de la suppression de plusieurs URL, pour en avoir de nouvelles sur les sites Web des défendeurs. [4]

Partez pour Ottawa

En accordant l’autorisation d’interjeter appel de la décision, la Cour suprême sera aux prises avec un certain nombre de questions et d’arguments juridiques nouveaux. L’une de ces questions est de savoir si une telle ordonnance peut même être rendue contre un tiers qui n’est pas impliqué dans une activité illicite. Si c’est le cas, le critère permettant d’obtenir un tel ordre devra être déterminé, ainsi que sa portée géographique et temporelle.

Un facteur à soupeser dans la décision de la Cour suprême sera l’accès à la justice. Dans de nombreux domaines du droit, les tribunaux se sont dits préoccupés par le fait que les recours efficaces ne devraient pas être limités aux particuliers ou aux entreprises ayant les poches profondes. Le type d’ordonnance accordée contre Google est certainement un recours supplémentaire efficace du point de vue d’un demandeur.

D’autres questions comprennent les limites de la compétence territoriale d’un tribunal canadien. Un tribunal canadien peut-il ordonner à une entreprise de moteurs de recherche en Californie d’empêcher les utilisateurs d’autres pays de consulter des sites Web entiers? On s’attend également à ce que Google soulève des questions constitutionnelles, en particulier si le blocage des résultats de recherche limite l’accès à l’information ou la liberté d’expression sur Internet.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a reconnu les limites de sa compétence et la nécessité de faire preuve de retenue lorsqu’une injonction demandée a des ramifications internationales. La cour d’appel a également noté que l’injonction demandée était le seul moyen pratique d’empêcher les défendeurs de bafouer les ordonnances précédentes de la cour, de sorte que la participation de Google était nécessaire. Elle a estimé que l’ordonnance Equustek était accessoire et qu’elle visait à donner force de loi aux ordonnances antérieures interdisant aux défendeurs de commercialiser illégalement les produits.

Nous allons suivre cette affaire de près. Les directives de fond de la Cour suprême sur les recours en matière de propriété intellectuelle ne sont pas fréquentes. Que le tribunal confirme ou non une ordonnance Equustek et définisse un critère juridique pour déterminer quand elle sera accordée, le résultat aura certainement une incidence sur l’efficacité des recours préalables à l’audience offerts à tous les titulaires de PI.

[1] Named for Mareva Compania Naviera S.A. v. International Bulkcarriers S.A., [1975] 2 Lloyd’s Rep. 509 (C.A.). Voir Aetna Financial Services c. Feigelman, [1985] 1 RCS 2. [2] Voir Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd., [1976] 1 Ch 55 (C.A.) et Celanese Canada c. Murray Demolition, [2006] 2 RCS 189. [3] Norwich Pharmacal Co. v. Commissioners of Customs and Excise, [1974] AC 133 (HL); Glaxo Wellcome PLC c. MNR, [1998] 4 FCR 439 (CA) et GEA Group AG c. Ventra Group Co., 2009 ONCA 619. [4] Equustek Solutions Inc. c. Jack, 2014 BCSC 1063, confirmé Equustek Solutions Inc. c. Google Inc., 2015 BCCA 265, autorisation d’appel accordée CSC no 36602 (McLachlin CJ, Cromwell et Coté JJ.) (18 février 2016). Pour le whac-a-mole, voir la BCSC au para 72 et la BCCA au para 25.

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