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Le long chemin vers la justice: les plaignants gagnent un procès en litige commun dans une affaire de maltraitance en établissement

27 mai 2020

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Cavanaugh c. Grenville Christian College

Écrit par Mike Eizenga and Pavan Virdee

Un recours collectif ayant une longue et complexe histoire a permis aux demandeurs d’obtenir un succès complet au procès en litige commun. La décision dans l’affaire Cavanaugh v Grenville Christian College, 2020 ONSC 1133 [Cavanaugh], met en évidence les défis qui existaient dans une procédure qui a répondu à des questions d’intérêt commun couvrant une période de plus de 24 ans. Il semble qu’il s’agisse du premier procès en établissement pour abus courants au Canada qui s’est déroulé jusqu’au jugement. La décision souligne que les recours collectifs dans lesquels les demandeurs sont en mesure de concentrer leur preuve au procès sur les défaillances systémiques des défendeurs se feront potentiellement l’objet d’une décision sur une base de recours collectif, même lorsqu’il s’agit d’une période de recours collectif prolongée.

Contexte factuel et historique de l’affaire

Les demandeurs ont intenté la présente action au nom de 1360 anciens pensionnaires du défunt Grenville Christian College (Grenville), aujourd’hui disparu, sur la base d’allégations graves selon lesquelles l’administration scolaire s’était livrée à des pratiques abusives pendant la période visée par les recours collectifs, avait sciemment exploité son établissement d’une manière qui n’était pas conforme aux normes d’éducation de l’époque, n’avait pas respecté les normes de soins, et a manqué à ses obligations fiduciaires envers ses pensionnaires. Les demandeurs du groupe ont nommé comme défendeurs Grenville, un synode anglican, et d’anciens directeurs de l’école.

Grenville a été fondée en 1969. En 1973, il a adopté la doctrine et les pratiques de la « Communauté de Jésus », une organisation basée dans le Massachusetts. Ceux-ci sont devenus le fondement de l’approche de l’école pour éduquer, discipliner et élever ses élèves. Il a été allégué que pendant leur séjour à Grenville, les demandeurs du groupe ont été soumis à diverses formes de violence physique et psychologique systémique de la part du personnel de Grenville, y compris les directeurs, Charles Farnsworth et Alastair Haig.

En 2012, le juge Perell a rejeté la requête en accréditation des demandeurs au motif qu’un recours collectif n’était pas la procédure préférable pour résoudre les questions en litige, concluant que le recours des demandeurs à la négligence systémique et aux manquements systémiques à l’obligation fiduciaire posait problème en ce sens qu’il rendrait la composante individuelle de l’instance plus difficile. Sa décision a été infirmée par la Cour divisionnaire en 2014, qui a conclu qu’une détermination des questions communes impliquerait un examen des questions touchant tous les membres du groupe indépendamment de leur situation personnelle, et qu’un recours collectif était la procédure préférable pour le règlement d’une telle affaire. La Cour divisionnaire a conclu que la résolution des questions communes, y compris la question de savoir s’il existait des abus systémiques, ferait avancer le litige de manière significative, en rationalisant le processus et en évitant le risque de résultats incohérents.

Lorsque la Cour divisionnaire a accordé la certification, elle a noté que diverses questions peuvent être pertinentes aux questions communes, notamment : (i) l’histoire de l’école; (ii) les obligations dues aux membres du groupe, particulièrement en ce qui a trait à la discipline; (iii) les pratiques et les politiques qui existaient à l’école et leur incidence sur ces fonctions; (iv) toutes les pratiques et politiques qui auraient dû être en place pour prévenir les abus; et (v) si certaines des pratiques disciplinaires alléguées de l’école étaient systémiques et constituaient un manquement aux obligations de l’école envers ses élèves.

Problèmes systémiques

Le procès a été entendu par madame le juge J. Leiper. L’analyse par Son Honneur des questions communes s’est concentrée sur la preuve objectivement mesurable des méthodes, des routines, des normes et des attentes institutionnelles de Grenville, ainsi que sur l’application de ces normes et attentes au cours de la période pertinente, afin de déterminer si les défendeurs ont commis une négligence systémique, ont violé la norme de diligence du jour et les obligations correspondantes envers les étudiants de Grenville.

L’issue du procès a porté sur la question de savoir s’il était possible pour la Cour de tirer des conclusions de fait sur une période visée par le recours collectif de 24 ans. En tentant de faire échec à la position des demandeurs, les défendeurs se sont concentrés sur les incohérences dans la preuve des demandeurs, la crédibilité des témoins des demandeurs et un argument selon lequel les conclusions ne pouvaient pas être tirées sur une base systémique.

Les demandeurs ont produit des témoignages de 12 anciens élèves et de trois anciens membres du personnel de Grenville. Les défendeurs ont contesté la crédibilité et la fiabilité de plusieurs de ces témoins. La juge du procès a abordé les arguments relatifs à la crédibilité au début de ses motifs de jugement, donnant ainsi le ton à son appréciation de la preuve qui lui a été présentée.

Dans l’ensemble, le juge Leiper a conclu que la preuve corroborante entre les témoins confirmait les principales conclusions du procès. Les défendeurs ont fait valoir qu’il ne fallait accorder « pratiquement aucun poids » à certains des témoignages des demandeurs lorsqu’il y avait des points de désaccord. La Cour a déterminé que ces points de désaccord se rapportaient à des expériences individuelles, à la perception, à l’atmosphère et aux détails de ce qui avait été dit et fait à chaque élève, mais que, de façon plus générale, le témoignage de ces témoins confirmait une tendance de conduite et reflétait une cohérence générale dans les récits sur la nature du temps passé par les étudiants à Grenville qui démontraient que les actions des défendeurs étaient inférieures à la norme de diligence pertinente.

Le juge Leiper a également accordé peu de poids aux arguments des défendeurs au sujet du comportement des témoins demandeurs comme une indication de leur crédibilité. À la suite d’un nombre croissant de pouvoirs d’appel, elle a mis en garde contre l’évaluation du comportement comme indicateur de la crédibilité des témoins. Elle a fait remarquer que l’évaluation du comportement comporte le risque d’appliquer la « psychologie amateur ». La façon dont un témoin témoigne peut refléter des questions qui n’ont rien à voir avec la crédibilité, comme la personnalité, la culture ou l’incidence du témoignage au sujet d’un événement traumatisant. Elle a fait remarquer que les sentiments d’un témoin à l’égard d’une certaine question — en l’espèce, l’école elle-même — ne sont pas la même chose que ce qui est arrivé à un témoin pendant qu’il était là.

Le juge Leiper a finalement conclu que chacun des témoins des demandeurs dont la crédibilité avait été contestée par les défendeurs était crédible et fiable, comme le confirme la cohérence des tendances générales décrites dans le témoignage de ces témoins.

Preuve d’expert et conduite préjudiciable affectant le groupe

Les demandeurs ont demandé la preuve de deux témoins experts qui étaient d’avis que les pratiques disciplinaires de Grenville constituaient des abus, y compris des abus systémiques, tombant en deçà de la norme de diligence. Des témoignages d’opinion ont été présentés sur la norme de soins pour les écoles de l’Ontario pendant la période visée par les recours collectifs et sur les aspects psychologiques de la violence faite aux enfants. Cette preuve n’a pas été satisfaite par la preuve d’expert des défendeurs.

Les défendeurs ont fait valoir, sur la seule base de la preuve factuelle, que, parce que différents élèves avaient des expériences et des impressions différentes de Grenville en fonction de leur propre comportement et de leur capacité individuelle à tolérer les pratiques de l’école, l’école n’aurait pas pu tomber en deçà de la norme de soins. Le juge Leiper s’est appuyé sur la preuve d’expert et la preuve factuelle des demandeurs, et a fait référence à la décision de 2004 de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Cloud v Canada (Procureur général), en rejetant l’argument des défendeurs et en concluant que l’abus était systémique.

La preuve d’expert a établi que la norme de soins des établissements d’enseignement en Ontario pendant la période visée par les recours collectifs a été façonnée par des réformes considérables et importantes dans les années 1960. Plus particulièrement, les châtiments corporels et d’autres formes dégradantes de châtiments ont été abolis, et d’autres normes, y compris la création d’environnements d’apprentissage engageants et l’enseignement dans une atmosphère de respect et de confiance, ont été en place. En général, les pratiques et les politiques disciplinaires étaient censées être conformes aux hypothèses de base qui sous-tendent une société démocratique. De façon critique, la norme de diligence s’appliquait tout au long de la période visée par les recours collectifs.

Le juge Leiper a conclu que des personnes se trouvant dans une situation différente auront des réactions différentes aux mêmes conditions; cependant, la preuve des actes préjudiciables perpétrés par Grenville n’a pas été affaiblie parce que différents élèves ont vécu les actes différemment et ont exprimé des réactions différentes à leur temps à l’école. De plus, elle a reconnu que la partialité dans le traitement et la résilience individuelle explique certaines des différences d’impact et d’expérience entre les membres du groupe. Dans l’ensemble, les témoins de la période visée par les recours collectifs ont partagé des cohérences remarquables dans leurs récits de leur séjour à Grenville, à l’appui d’une conclusion de violence systémique.

Le procès a été entendu par madame le juge J. Leiper. L’analyse par Son Honneur d’une pratique disciplinaire en particulier, la honte publique, illustre cette distinction. Les défendeurs ont fait valoir que les observateurs de la honte publique n’avaient pas été lésés par cette pratique. Cependant, la preuve d’expert non contredite sur la nature de l’humiliation publique a démontré que le préjudice peut être subi à la fois par ceux qui reçoivent l’attention, ainsi que par ceux qui sont encouragés à participer, violant ainsi leurs propres codes moraux en humiliant leurs pairs.

Dommages-intérêts punitifs

Le juge Leiper a déterminé que le droit à des dommages-intérêts punitifs était une question qui devait être tranchée à l’étape des questions communes du recours collectif. Bien que les questions relatives au montant des dommages-intérêts restent à déterminer à l’étape suivante du litige, la juge Leiper a conclu qu’elle « n’a pas besoin de connaître avec précision le nombre d’étudiants touchés pour conclure que les dommages-intérêts punitifs sont appropriés » en l’espèce. La preuve au procès a établi un modèle de conduite de 24 ans équivalant à un écart marqué par rapport aux normes éducatives de l’époque en Ontario, et que les mauvais traitements infligés aux élèves étaient à l’échelle de la classe et des décennies. Le juge Leiper a également conclu que les directeurs d’école de Grenville profitaient de leur contrôle sur le corps étudiant.

La conclusion de négligence systémique était suffisante pour conclure que la conduite des défendeurs s’écartait des normes établies à l’échelle du groupe. Bien que l’école n’existe plus, la juge Leiper a conclu que les objectifs de la politique d’appliquer des dommages-intérêts punitifs étaient toujours applicables – elle a souligné la nécessité de dénoncer une conduite qui peut avoir une incidence sur la santé et le bien-être émotionnel des personnes tout au long de leur vie.

Principaux points à retenir

En tant que décision de procès rare en litige commun, Cavanaugh a des implications importantes non seulement pour les recours collectifs, mais aussi pour les actions individuelles.

Un appel de cette décision est actuellement en instance.

Si vous avez des questions découlant de cette affaire, veuillez contacter les auteurs ou un membre du Bennett Jones Class Actions Practice Group.

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