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La crise du Golfe — Pourrait-elle apporter un « arbitrage d’État à État » à la Région?

06 février 2018

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Écrit par George M. Vlavianos, Vasilis F. L. Pappas and Hasan El-Shafiey

En juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et l’Égypte ont coupé les liens diplomatiques, commerciaux et de voyage avec le Qatar et imposé un blocus à l’État du Golfe, l’accusant de soutenir le terrorisme et de développer une relation avec leur rival régional, l’Iran; mais le Qatar a nié les allégations.

Cette crise entre les États du Golfe est sans précédent et a perturbé de nombreuses entreprises dans la région et leur a causé des pertes importantes. Sur la scène internationale, ce n’est pas nouveau. Un certain nombre de pays voisins ont eu des problèmes entre eux, qu’ils soient politiques ou économiques, de sorte que les relations et les intérêts ont été affectés négativement. Invariablement, il y aura des différends entre les États touchés et des réclamations déposées par les ressortissants d’un État contre un autre État.

L’arbitrage est la méthode privilégiée pour résoudre les différends entre États. Il existe diverses voies que les États peuvent prendre pour résoudre les différends politiques ou commerciaux qui surgissent entre eux. Ce blogue vise à faire la lumière sur certaines des avenues bien reconnues de règlement des différends internationaux.

1. Cour permanente d’arbitrage (CPA)

La Cour permanente d’arbitrage (CPA), située à La Haye, est une organisation intergouvernementale qui sert, entre autres, de tribunal d’arbitrage pour résoudre les différends entre États membres, organisations internationales ou parties privées découlant d’accords internationaux. Les affaires couvrent un éventail de questions juridiques concernant les frontières territoriales et maritimes, la souveraineté, les droits de l’homme, l’investissement international et le commerce international et régional. L’APC est constituée par deux conventions multilatérales distinctes datées respectivement de 1899 et 1907, avec un nombre combiné de 121 États1

Les pays bloquants – c’est-à-dire l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte – ainsi que le Qatar ont tous ratifié la Convention de 1907 pour le règlement pacifique des différends internationaux. En vertu de cette Convention, les États membres peuvent opter pour le règlement de leurs différends par la médiation ou l’arbitrage, au lieu d’avoir recours à la force. L’article 53 de ladite Convention prévoit que la CPA peut être utilisée dans les cas suivants: i) il y a un compromis pour soumettre un différend à l’APC, ii) les parties ont un accord distinct pour soumettre un différend à la CPAA (par exemple, dans un traité), ou iii) un différend découle de dettes réclamées par un État dues au ressortissant d’un autre État, à condition que les parties aient convenu de résoudre ces différends par arbitrage.

La CPA fournit un soutien administratif complet dans les arbitrages en vertu du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, en particulier dans les affaires impliquant un État, une entité contrôlée par l’État ou une organisation intergouvernementale. À l’heure actuelle, l’APC administre sept arbitrages actifs d’État à État. Des informations publiques sont disponibles sur cinq de ces arbitrages, dont quatre impliquent des différends frontaliers: (1) un différend maritime et territorial entre la Croatie et la Slovénie; 2) un différend maritime entre Maurice et le Royaume-Uni; 3) un différend concernant la dérivation d’un fleuve entre le Pakistan et l’Inde; 4) un différend maritime entre le Bangladesh et l’Inde; et 5) un différend au sujet d’une disposition relative aux « effets » d’un traité bilatéral d’investissement entre l’Équateur et les États-Unis. 2

2. Tribunaux spéciaux

Une autre façon de résoudre les différends survenant entre les États est que les États en conflit eux-mêmes établissent des tribunaux spéciaux pour traiter ces différends.

Le meilleur exemple en est le Tribunal des réclamations Iran-États-Unis. Il s’agit d’un tribunal arbitral international qui a été créé le 19 janvier 1981, en vertu d’un accord (sous la médiation de l’Algérie) entre les États-Unis et l’Iran pour résoudre la crise des otages en Iran (connu sous le nom d’Accords ou Déclarations d’Alger). Le Tribunal des réclamations Iran-États-Unis a compétence pour statuer sur les réclamations de ressortissants américains contre l’Iran et de ressortissants iraniens contre les États-Unis qui découlent de dettes, de contrats, d’expropriations ou d’autres mesures affectant les droits de propriété; certaines réclamations officielles entre les deux gouvernements concernant l’achat et la vente de biens et de services; les différends entre les deux gouvernements concernant l’interprétation ou l’exécution des Déclarations d’Alger; et certaines réclamations entre des institutions bancaires américaines et iraniennes. Le Tribunal a adopté le Règlement d’arbitrage de la CNUDCI sous une forme légèrement modifiée et a conclu à ce jour plus de 3 900 affaires. 3

Les États du Golfe touchés par le blocus actuel pourraient suivre cette voie et convenir de créer un tribunal arbitral spécialisé pour examiner les différends découlant du blocus ou en relation avec celui-ci. La compétence d’un tel tribunal pourrait s’étendre aux réclamations relatives à la crise actuelle présentées par une entité privée contre une autre ou contre un État.

3. CIRDI

En ce qui concerne les investisseurs étrangers dont les intérêts ont été lésés par le blocus actuel, ils sont en mesure de demander réparation contre l’État concerné en soumettant une réclamation au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) lorsque l’État en question a accepté de soumettre des différends en matière d’investissement au CIRDI, soit par le biais d’un accord, les traités bilatéraux/multilatéraux sur l’investissement ou la législation. Le CIRDI est une institution d’arbitrage international créée en 1965 par la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (Convention du CIRDI). Selon la Convention du CIRDI, qui est entrée en vigueur le 14 octobre 1966, le CIRDI a compétence sur les litiges juridiques découlant d’investissements entre un État contractant et un ressortissant d’un autre État contractant.

La Convention du CIRDI a été ratifiée par 153 États contractants, y compris les pays bloquants et le Qatar. Le CIRDI a sa propre procédure et ses propres règles d’arbitrage et a à ce jour conclu plus de 420 affaires. 4

4. Autres forums

En plus de l’arbitrage, il existe d’autres forums internationaux devant lesquels un État peut poursuivre un État. La Cour internationale de Justice et l’Organisation mondiale du commerce en sont deux exemples.

a. Cour internationale de Justice (CIJ)

La CIJ, qui a son siège à La Haye, est le principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Il a été créé en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a commencé ses travaux en avril 1946. Il règle les différends juridiques entre les États membres et donne des avis consultatifs aux organes et institutions spécialisées de l’ONU autorisés. La CIJ se compose d’un panel de 15 juges élus par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU pour un mandat de neuf ans.

La CIJ ne peut affirmer sa compétence sur un différend particulier qu’avec le consentement préalable des États concernés. Cela peut être accompli: i) par des accords spéciaux (un accord ad hoc lorsqu’un différend survient), ii) par la soumission à la juridiction dans les traités et conventions, et iii) lorsqu’un État a fait une déclaration se soumettant à la juridiction obligatoire de la CIJ. L’Égypte, par exemple, s’est soumise à la juridiction de la CIJ, mais aucun du Qatar, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis ou de Bahreïn ne l’a fait. En conséquence, pour que la CIJ puisse affirmer sa compétence sur tout différend entre les États touchés par la crise actuelle dans le Golfe, il faudrait qu’il y ait un accord spécial pour soumettre un tel différend à la CIJ.

b. Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)

L’Organe de règlement des différends (ORD) établi sous les auspices de l’OMC prend des décisions sur les différends commerciaux entre les Membres de l’OMC. L’ORD est habilité à établir des groupes spéciaux de règlement des différends, à soumettre les questions à l’arbitrage, à adopter des rapports de groupes spéciaux, d’organes d’appel et d’arbitrage, à surveiller la mise en œuvre des recommandations et décisions figurant dans ces rapports et à autoriser la suspension de concessions en cas de non-respect de ces recommandations et décisions. L’ensemble du Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte sont Membres de l’OMC, ce qui en fait un lieu potentiel de règlement des différends liés au commerce.

Compte tenu des différentes avenues qui existent, on pourrait bientôt s’attendre à voir des procédures d’État à État entre les pays impliqués par la crise du Golfe, en particulier après que le porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Qatar, Lulwa Al Khater, a déclaré lors d’une conférence de presse tenue à Doha le 10 janvier 2018, que le Qatar a commencé à poursuivre l’arbitrage international pour mettre fin au blocus. 5

Entre-temps, le Koweït joue un rôle important pour tenter de contenir la crise. La communauté internationale a salué les efforts du Koweït et espère qu’il réussira à mettre fin à la crise. Néanmoins, la crise a déjà eu de graves conséquences juridiques et économiques; et plus elle se poursuit, plus ces conséquences sont susceptibles d’être importantes.


1 www.pca-cpa.org

2 Arbitrage Kluwer

3 www.iusct.net

4 https://icsid.worldbank.org

5 www.aljazeera.com

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