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L’appel dans l’affaire Teal : Contestation des sentences arbitrales commerciales au Canada

13 février 2017

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Écrit par Andrew D. Little

Dans quelle mesure une sentence finale est-elle définitive dans un arbitrage commercial? La Portée des droits d’appel contre les sentences arbitrales commerciales est de nouveau devant la Cour suprême du Canada. Est-ce que ce sera le dernier mot sur le sujet?

En 2014, la Cour suprême a tranché une affaire qui a rendu les sentences arbitrales commerciales plus difficiles à faire appel, et ces appels plus difficiles à gagner - du moins lorsque les parties sont des entités commerciales privées qui ont volontairement accepté d’arbitrer leur différend, et le différend a tourné sur l’interprétation de leur contrat.

La décision en instance de la Cour dans l’affaire Teal Cedar Products c. Colombie-Britannique déterminera si les mêmes principes s’appliquent lorsqu’une partie est un gouvernement, que la législation provinciale exige que le différend soit arbitré et que le bien-fondé de l’affaire dépend de l’interprétation d’une loi.

Ce qui est en jeu, ce sont des millions de dollars provenant des deniers publics dans le cas particulier, et si la Cour appliquera sa décision de 2014 ou la modifiera pour les différentes circonstances. L’enjeu est également de savoir si les futurs appels en matière d’arbitrage discuteront de la norme de contrôle en appel qui devrait s’appliquer aux sentences arbitrales dans chaque cas.

Il ne s’agit pas seulement d’une préoccupation pour les parties à l’arbitrage, les avocats plaidants et les juges. La portée des appels possibles devant les tribunaux affecte la question de savoir s’il faut choisir l’arbitrage en premier lieu et comment rédiger des clauses d’arbitrage.

Droits d’appel limités

Les sentences arbitrales commerciales sont souvent difficiles à contester devant les tribunaux canadiens. Dans les arbitrages commerciaux internationaux assis au Canada et en vertu de la législation fédérale, il n’y a pas de droits d’appel prévus par la loi et d’autres moyens limités de contester une sentence devant les tribunaux. Pour les arbitrages en vertu de la législation provinciale, les droits d’appel peuvent être convenus; si ce n’est pas le cas, les appels se limitent généralement à une ou plusieurs « questions de droit » et ne sont alors limités qu’avec la permission du tribunal sur une demande officielle. 1

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Sattva Capital c. Crestor Moly (2014)2 a décidé que lorsque des entités commerciales privées arbitrent l’interprétation de leur contrat, seules les interprétations déraisonnables seront infirmées par un tribunal en appel. Cela suppose même qu’une affaire y arrive: la Cour a également réduit le chemin vers le tribunal en concluant que l’interprétation d’un contrat n’est généralement pas une pure « question de droit ». La plupart des questions d’interprétation des contrats sont plutôt des questions mixtes de droit et de fait.

En bref, ceux qui choisissent le règlement privé des différends ont maintenant un recours limité aux tribunaux financés par l’État. La finalité des sentences arbitrales commerciales a eu lieu dans l’affaire Sattva.

Quand les tribunaux devraient-ils intervenir?

Sattva a soulevé un problème de politique sur le rôle des tribunaux canadiens: les tribunaux corrigent-ils les erreurs de droit dans une sentence d’arbitrage commercial, comme dans un appel d’une décision d’un tribunal inférieur? Ou l’appel d’une sentence ressemble-t-il davantage à un contrôle en droit administratif, dans lequel la cour s’en remet à la décision d’un tribunal et n’intervient que si l’interprétation juridique est déraisonnable?

La Cour a conclu dans l’arrêt Sattva qu’un appel d’une sentence arbitrale est analogue à la révision d’une décision administrative par un tribunal et a appliqué la norme de la décision raisonnable.

La Cour suprême est au cœur d’un débat houleux sur la norme de contrôle (ou de déférence) applicable par les tribunaux judiciaires en vertu de toutes sortes de lois, de la part de différents types de tribunaux administratifs et de décideurs. En règle générale, les tribunaux judiciaires s’en remettent aux décisions rendues par un tribunal spécialisé dans son domaine d’expertise, ou lorsqu’il interprète sa loi « interne », et si le législateur a inclus une clause privative dans la loi. Mais les tribunaux interviendront pour infirmer une question constitutionnelle mal tranchée ou une question juridique d’importance générale pour le système juridique, et lorsque le législateur aura expressément prévu un plein droit d’appel dans la loi (la présomption de déférence est réfutée par le libellé de la loi). 3

Dans la pratique, les arguments juridiques sur la norme de contrôle qui devraient s’appliquer aux différents types de questions juridiques et aux décisions de différents tribunaux sont très nuancés. Des décisions récentes de la Cour suprême indiquent que des membres individuels de la Cour elle-même ont parfois des points de vue divergents dans la même affaire. 4

L’appel dans l’affaire Teal

Entrez Teal, qui a été plaidé devant la Cour suprême à la fin de 2016. Il s’agit d’un arbitrage d’un différend commercial au sujet de l’indemnisation des droits de récolte qui ont été pris en vertu d’une loi de la Colombie-Britannique, la Forestry Revitalization Act. Les parties ont choisi leur propre arbitre, un juge à la retraite. La loi décrivait le mandat de l’arbitre, mais non la méthode d’évaluation des droits. La province aurait pu, mais n’a pas adopté, de règlements sur la méthode d’évaluation appropriée. L’arbitre devait donc trancher.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que l’arbitre avait été à la fois erroné et déraisonnable dans son interprétation de la Forestry Revitalization Act. Cette cour a distingué la décision de la Cour suprême de 2014 dans l’affaire Sattva, notant que l’arbitre n’avait aucune expertise spécialisée, que les parties n’avaient pas convenu d’arbitrage (cela était requis par la loi) et que l’arbitre n’interprétait pas sa loi « d’origine ». De plus, il interprétait la loi dans la toute première affaire du genre.

La finalité est importante

Au-delà des faits et de la législation forestière particulière dans l’affaire Teal, il peut sembler intéressant pour la Cour suprême d’appliquer simplement sa décision dans l’affaire Sattva pour des raisons de prévisibilité et de cohérence. Une règle vaut mieux que plusieurs règles. La Cour pourrait également préciser que l’interprétation d’une loi est habituellement une question de droit examinée selon la norme de la décision correcte. Cela tiendrait compte de l’intérêt public en assurant l’interprétation correcte et cohérente d’une loi adoptée par le législateur. Mais cela impliquerait également que les parties peuvent être forcées d’arbitrer en vertu d’une loi, et aussi être exposées au coût supplémentaire et au retard d’un appel par le gouvernement s’il allègue que l’arbitre a mal interprété une loi.

Comme dans le cas des appels interjetés devant des tribunaux dans d’autres contextes, le législateur peut énoncer clairement et expressément ses intentions quant à la portée des appels de sentences arbitrales. Il existe également des principes d’arbitrage sous-jacents fondamentaux, y compris le finalité des sentences arbitrales. La juge en chef McLachlin a soulevé la question de la finalité lors de l’audience de la Cour suprême à Teal.

La finalité est enchâssée dans la plupart des lois canadiennes sur l’arbitrage commercial. Les lois canadiennes fondées sur la Loi type de la CNUDCI établissent un rôle limité pour les tribunaux, y compris des motifs limités de contester les sentences par appel ou de demander l’annulation des sentences. De même, le caractère définitif est un principe à l’appui des limites imposées aux tribunaux de refuser d’exécuter des sentences étrangères en raison de l’adoption de la Convention de New York en vertu des lois provinciales sur l’arbitrage commercial international. Il n’y a pas d’examen d’une sentence étrangère sur le fond ou pour une erreur de droit.

La finalité au stade de l’arbitrage peut soutenir les choix contractuels des parties commerciales, tels que l’exigence d’une expertise spécifique comme condition préalable à un arbitre. D’autres intérêts importants tels que l’efficacité et la rapidité sont soutenus par des appels judiciaires ciblés qui sont plus rapides et moins coûteux. Un appel restreint peut également avoir l’effet salutaire d’appuyer d’autres objectifs de l’arbitrage commercial, comme le maintien de la confidentialité des dossiers commerciaux et des témoignages.

Que la Cour suprême applique sa décision dans l’affaire Sattva ou la modifie en fonction du contexte différent, elle devrait établir une approche prévisible qui minimise les litiges futurs selon la norme de contrôle appropriée. Cela permettrait aux cours d’appel de statuer sur des affaires d’arbitrage qui portent sur le bien-fondé des questions de fond du droit, et non sur le processus utilisé pour se rendre devant les tribunaux. Ce serait peut-être aussi le dernier mot sur la finalité des sentences arbitrales commerciales.


  1. Voir la Loi de 1991 sur l’arbitrage (Ontario), article 45; Arbitration Act (Alberta), article 44; Arbitration Act (Colombie-Britannique), article 31.
  2. Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., [2014] 2 RCS 633.
  3. La norme de la décision correcte s’applique aux questions constitutionnelles et aux questions d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et en dehors de l’expertise de l’arbitre : Sattva, au para 106. La présomption de déférence à l’égard de l’interprétation par le Tribunal de sa loi constitutive a été réfutée par le libellé de la loi dans l’arrêt Tervita c. Canada (Commissaire de la concurrence) [2015] 1 RCS 161 (majoritaire, en appel du Tribunal de la concurrence). En matière d’arbitrage, certaines questions de compétence sont passibles d’une norme de contrôle non déférente (exactitude) : voir Mexique c. Cargill, Inc. (2011), 107 OR (3d) 528 (CA).
  4. Voir, par exemple, Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47; Wilson c. Énergie atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 2 RCS 3.

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