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Cour suprême du Canada : Le silence peut violer l’obligation contractuelle d’honnêteté de bonne foi

05 janvier 2021

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Écrit par Scott Bower, Michael Theroux, Ranjan Agarwal, Russell Kruger and Patrick Schembri

La bonne foi exige qu’une partie à un contrat dont les actions ou les paroles ont créé une fausse impression dans l’esprit d’un cocontractant prenne des mesures positives pour le corriger, a récemment statué la Cour suprême du Canada dans C.M. Callow Inc. c Zollinger, 2020 CSC 45. Si une partie à un contrat garde le silence lorsqu’elle s’a rendu compte qu’elle a amené un contrepartie à mal comprendre une question directement liée à l’exécution du contrat ou à l’exercice d’un droit contractuel, cette partie peut être tenue responsable d’un manquement à l’obligation d’exécution honnête.

S’appuyer sur Bhasin

Dans Bhasin c Hrynew, 2014 CSC 71, la Cour suprême du Canada a reconnu le principe organisateur de la bonne foi en droit des contrats et une nouvelle obligation « d’agir honnêtement dans l’exécution d’obligations contractuelles ». La Cour a expliqué que cette obligation « signifie simplement que les parties ne doivent pas se mentir ou sciemment induire en erreur l’une l’autre sur des questions directement liées à l’exécution du contrat ». Dans l’arrêt Callow, la Cour a élargi cette obligation et a confirmé qu’elle s’applique également à l’exercice des droits en vertu d’un contrat.

Historique

À Callow, une société, Baycrest, et son gestionnaire immobilier désigné géraient les actifs communs et partagés de dix associations condominiales. En 2012, Baycrest a renouvelé une entente de services d’entretien hivernal avec C.M. Callow Inc. et a également conclu un nouveau contrat d’été. Le contrat d’hiver avait une durée de deux ans, bien qu’il permettait à Baycrest de résilier unilatéralement le contrat avec un préavis de dix jours sans motif valable. 

Au cours de la première année du contrat d’hiver, en mars ou avril 2013, Baycrest a décidé de mettre fin au contrat plus tôt, mais n’en a pas informé Callow. Par la suite, un représentant de Baycrest a eu des communications avec Callow qui ont créé la fausse impression que le contrat d’hiver ne serait pas résilié plus tôt et serait en fait probablement renouvelé pour un plus long terme. Callow a dépassé ses obligations en vertu du contrat d’été en fournissant du travail gratuit à Baycrest dans le but d’encourager Baycrest à renouveler le contrat d’hiver. Baycrest était au courant de la fausse impression de Callow, mais n’a pris aucune mesure pour la corriger. En septembre 2013, alors qu’il était trop tard pour Callow d’obtenir d’autres travaux d’hiver, Baycrest a avisé Callow qu’elle exerçait son droit de résiliation en vertu du contrat. 

Les décisions des tribunaux inférieurs

Au procès, la Cour a statué que Baycrest avait manqué à l’obligation d’honnêteté dans l’exécution contractuelle. La Cour a accordé des dommages-intérêts, y compris une somme qui représentait le profit que Callow aurait reçu pendant le reste de la durée du contrat d’hiver. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision de première instance. Tout en reconnaissant que la conduite de Baycrest était peut-être moins qu’honorable, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas atteint le « niveau élevé requis pour établir un manquement à l’obligation d’exécution honnête ».  

La décision de la Cour suprême du Canada

Une majorité de cinq membres a accueilli l’appel. Les juges majoritaires ont conclu que lorsqu’une partie à un contrat est consciente que sa conduite ou ses observations ont créé une interprétation erronée dans l’esprit du contrepartie relativement à l’exécution d’une obligation ou à l’exercice d’un droit en vertu d’un contrat, l’obligation d’honnêteté exige que cette partie la corrige. La question de savoir s’il y avait eu manquement à l’obligation en l’espèce portait sur deux questions centrales : a) Baycrest a-t-elle sciemment induit Callow en erreur? et b) dans l’affirmative, si cette malhonnêteté était « directement liée » à l’exécution d’une obligation ou à l’exercice d’un droit en vertu du contrat d’hiver. 

Sciemment trompeur

Quant à la première question, les juges majoritaires ont conclu que Baycrest avait sciemment induit Callow en erreur. Les juges majoritaires ont estimé qu’un mensonge pur et simple, ou une demi-vérité dite d’une manière sciemment trompeuse, violerait le devoir d’honnêteté. D’autre part, le défaut de divulguer un fait important, sans plus, ne violerait pas cette obligation. La majorité a expliqué ce qui suit :

... qu’une partie ait ou non « sciemment induit en erreur » sa contrepartie est une détermination très spécifique aux faits, et peut inclure des mensonges, des demi-vérités, des omissions et même le silence, selon les circonstances. J’insiste sur le fait que cette liste n’est pas close; elle illustre simplement le fait que la malhonnêteté ou la conduite trompeuse ne se limite pas à des mensonges directs.

Il n’est pas nécessaire qu’une partie entende que l’autre partie se fie à sa conduite malhonnête. Les motifs de la partie ne sont pas pertinents pour déterminer si l’obligation d’honnêteté est violée, à moins que ces motifs ne démontrent de la malhonnêteté. 

Appliquant ces principes aux faits, les juges majoritaires ont conclu que Baycrest avait sciemment induit Callow en erreur dans la façon dont elle avait exercé la clause de résiliation. Baycrest s’était livrée à une série d’actes et de communications actives dont elle savait qu’elle avait amené Callow à mal comprendre la probabilité que le contrat d’hiver soit résilié plus tôt, puis avait intentionnellement omis de corriger ce malentendu avant d’exercer la clause de résiliation. Bien que les juges majoritaires aient confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’obligation d’honnêteté avait été violée, elle a précisé que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant que l’obligation obligeait Baycrest à informer Callow des problèmes de rendement perçus et à aviser rapidement de son intention de mettre fin à ses obligations. Cela allait au-delà de ce qui était nécessaire pour se conformer au devoir d’honnêteté. 

Questions directement liées au rendement

Quant à la deuxième question, les juges majoritaires ont conclu que la malhonnêteté de Baycrest était directement liée à l’exécution du contrat. S’appuyant sur la doctrine de l’abus de droits en droit civil, les juges majoritaires ont déclaré que le lien requis est établi lorsque « l’on peut dire que l’exercice d’un droit ou l’exécution d’une obligation en vertu de ce contrat a été malhonnête ». Il ne suffit pas que la malhonnêteté se produise pendant l’exécution du contrat seulement. Il doit y avoir un lien direct avec l’exécution d’une obligation ou l’exercice d’un droit. Les juges majoritaires ont conclu que la malhonnêteté de Baycrest avait amené Callow à en déduire raisonnablement que Baycrest n’exercerait pas la clause de résiliation, et que cette malhonnêteté était suffisamment liée à l’exercice réel de la clause de résiliation pour établir le lien requis. 

Dommages-intérêts pour manquement à l’obligation d’honnêteté

Les juges majoritaires ont confirmé qu’un manquement à l’obligation d’honnêteté crée généralement des dommages-intérêts d’attente, qui visent à placer la partie lésée dans la position dans laquelle la partie aurait été dans laquelle la partie aurait été si le contrat avait été exécuté sans malhonnêteté. La façon dont le contrat devait être exécuté doit refléter le moyen le moins onéreux de l’exécuter sans malhonnêteté. En l’espèce, cela aurait été pour Baycrest de corriger l’appréhension erronée de Callow selon laquelle le contrat ne serait pas résilié plus tôt. Si Baycrest avait fait cela, Callow aurait eu la chance d’obtenir un contrat différent pour le deuxième hiver et ce nouveau contrat aurait probablement généré des profits similaires à ceux de l’ancien contrat.

Conclusion

La décision de la Cour suprême du Canada confirme que l’obligation d’honnêteté s’applique à l’exécution des obligations et à l’exercice des droits en vertu d’un contrat. Lorsqu’une partie sait que sa conduite ou ses représentations ont amené une contrepartie à avoir une fausse impression relativement au contrat, l’obligation d’honnêteté exige que cette partie corrige l’erreur d’impression qu’elle a créée. Cela est vrai, que le parti ait eu l’intention de créer la fausse impression ou non. La question de savoir si une partie a sciemment induit en erreur sa contrepartie est une décision très spécifique aux faits qui peut inclure des mensonges, des demi-vérités, des omissions et même le silence, selon les circonstances. Les décisions très spécifiques aux faits qui dépendent des circonstances donnent souvent lieu à des litiges. Les parties voudront réduire ce risque en rédigeant et en gérant soigneusement les attentes avant d’exercer des droits contractuels qui peuvent avoir des effets négatifs importants sur une contrepartie, comme les droits de résiliation anticipée.

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