Blogue

La Cour suprême réaffirme la barre basse pour l’autorisation de recours collectifs au Québec

09 novembre 2020

Close

Écrit par Cheryl Woodin, Ranjan Agarwal, Justin Lambert and Gannon Beaulne

Le 30 octobre 2020, une majorité de six juges de la Cour suprême du Canada a confirmé, dans Asselin c Desjardins Cabinet de services financiers inc, 2020 CSC 30, qu’un recours collectif concernant des produits de placement prétendument trompeurs contre la coopérative de services financiers québécoise Caisse Desjardins peut aller de l’avant, malgré : scepticisme judiciaire initial à l’égard des allégations et de la logique à l’appui de la demande.

Le juge québécois qui s’est le premier à se prononcer sur la question a refusé de certifier (ou d'« autoriser » en vertu du droit québécois) la demande à titre de recours collectif, principalement parce que le demandeur n’avait pas démontré une « apparence de droit » (une exigence d’autorisation). Le juge a fait état de préoccupations liées à des allégations chauves ou spéculatives, à l’absence de documents à l’appui et à la question de savoir si les réclamations peuvent faire l’affaire dans le cadre d’un recours collectif.

Mais la Cour d’appel du Québec et, maintenant, la Cour suprême du Canada ont renvoyé l’affaire en tant que recours collectif. Les deux paliers de tribunaux ont réaffirmé l’approche « souple », « libérale » et « généreuse » de l’autorisation énoncée dans des décisions antérieures de la Cour suprême du Canada appliquant le droit québécois des recours collectifs, y compris Infineon Technologies AG v Option consommateurs, 2013 CSC 59 et Theratechnologies inc c 121851 Canada inc, 2015 CSC 18.

La décision de la majorité laisse entendre que, tant que les revendications ne sont pas frivoles ou clairement erronées en droit, alors les allégations ou les théories juridiques spéculatives, non étayées ou incomplètes pourraient ne pas être disqualifiantes en vertu du critère d’autorisation du Québec. Ce résultat suit les décisions antérieures, mais il met le Québec encore plus en décalage avec l’approche dominante en matière de certification ailleurs au Canada (surtout après que les récentes modifications apportées à la loi sur les recours collectifs de l’Ontario ont introduit un test de certification plus strict - voir notre article sur ces changements: Les modifications majeures apportées à la Loi sur les recours collectifs de l’Ontario entrent en vigueur). Cette décision laisse également sans réponse d’importantes questions sur la mesure dans laquelle un juge peut aller pour « lire entre les lignes » lorsqu’une demande, telle qu’elle est formulée, est viciée.

Contexte et historique de la procédure

Ronald Asselin a investi dans des produits de dépôt à terme protégés par le capital, appelés « Perspectives Plus Term Savings » et « Alternative Term Savings », tous deux non encaissés jusqu’à l’échéance, offerts par la coopérative de services financiers Caisse Desjardins.

Après la crise financière de 2008, la Caisse Desjardins a informé M. Asselin que son mandant, bien que toujours protégé, ne produirait aucun rendement et demeurerait non encaissé jusqu’à l’échéance. M. Asselin a demandé l’autorisation d’intenter un recours collectif contre plusieurs entités de la Caisse Desjardins, en se fondant sur deux théories de responsabilité civile alléguée :

  1. La Caisse Desjardins a présenté ses produits comme sûrs, mais ces produits, en fait, comportaient un risque spécifique qui pourrait (et a effectivement) affecter les rendements; et
  2. La Caisse Desjardins avait conçu et géré les produits d’une manière imprudente et incompétente, incompatible avec le risque associé à des produits financiers prétendument sûrs.

Le juge saisi de la requête utilisé, concluant que M. Asselin n’avait pas satisfait aux exigences relatives à la couleur du droit et aux questions communes en vertu de l’article 1003 de l’ancien Code de procédure civile du Québec (correspondant à l’article 575 de son nouveau code de procédure civileCode de procédure civile, RLRQ, c C-25.01).

La Cour d’appel du Québec a autorisé l’appel de M. Asselin, infirmant le refus du juge saisi de la requête d’autoriser le recours collectif proposé (voir La Cour d’appel du Québec confirme l’approche large et libérale à l’égard de l’autorisation d’un recours collectif à l’égard de cette décision). En résumé, la Cour d’appel a approuvé l’approche large et libérale de l’arrêt Infineon (réaffirmée et réaffirmée plus récemment par le juge Brown, pour une majorité de cinq juges de la Cour suprême, dans L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c JJ, 2019 CSC 35), interprétant ce critère comme signifiant que les juges du Québec devraient éviter une critique étroite ou formaliste du bien-fondé d’une revendication à l’étape de l’autorisation.

La Cour suprême autorise le recours collectif

Dans l’arrêt Asselin, la majorité de six juges de la Cour suprême était presque entièrement d’accord avec la Cour d’appel du Québec. La Cour suprême a conclu ce qui suit :

  1. le juge d’autorisation en l’espèce avait commis une erreur dans son analyse des critères d’autorisation;
  2. la Cour d’appel du Québec « a parfaitement adhéré aux principes énoncés dans l’arrêt Infineon » qui demeurent le cadre d’analyse directeur et fixent un seuil bas d’autorisation en droit québécois;
  3. le rôle du juge d’autorisation est de « filtrer les réclamations frivoles, et rien de plus »;
  4. le juge d’autorisation peut « lire entre les lignes », allant au-delà du libellé de la demande pour « découvrir le message complet qu’elle transmet, y compris le message nécessairement implicite »;
  5. en vertu du droit québécois, l’autorisation ne nécessite qu’une « question commune qui peut faire avancer l’action d’une manière non négligeable »; et
  6. parce que les affirmations de M. Asselin n’étaient ni frivoles ni clairement infondées en droit, l’autorisation était appropriée.

Trois juges dissidents de la Cour suprême, quant à eux, n’auraient autorisé qu’une partie de la demande, ce qui aurait considérablement réduit le recours collectif. Ces juges ont convenu qu’Infineon régit, mais l’ont interprété comme étant compatible avec une « procédure rigoureuse » à l’étape de l’autorisation. Faisant écho à l’approche adoptée dans les provinces de common law, les dissidents ont averti que l’autorisation devrait être « plus qu’une simple formalité » et que le tribunal ne peut pas « assumer le rôle de partie ou d’avocat et changer l’objet de l’action telle que présentée par le demandeur ». En vertu de cette conception plus solide du rôle du juge d’autorisation en tant que gardien, la dissidence a déclaré que la cour devrait s’assurer que les allégations sont « claires et complètes, non vagues, générales ou imprécises » - « [d]efects de forme peuvent être excusés, mais les défauts de fond ne peuvent pas l’être ».

Asselin réaffirme la barre basse du Québec pour autoriser les recours collectifs, et pourrait sans doute l’abaisser davantage, surtout si les futurs tribunaux appliquent strictement l’idée que les juges d’autorisation devraient « filtrer les réclamations frivoles, et rien de plus ».

Le prochain champ de bataille dans les recours collectifs au Québec pourrait être de savoir comment tracer la ligne entre les défauts de forme et de fond, et jusqu’où les juges d’autorisation peuvent aller pour « lire entre les lignes ». En Ontario, en revanche, la Cour d’appel a souligné l’importance d’examiner les actes de procédure à l’étape de la certification, reconnaissant dans Das v George Weston Limited, 2018 ONCA 1053, par exemple, que le juge de certification ne devrait pas présumer être vrai « des énoncés de fait conclusoires simples et des allégations de conclusions juridiques non étayé par des faits importants ».

Ainsi, pour l’instant, le Québec demeure quelque peu aberrant dans les recours collectifs canadiens : les juges d’autorisation au Québec doivent chercher à éliminer les cas frivoles, mais sont autrement chargés d’évaluer les réclamations avec un œil relativement généreux s’ils peuvent identifier des causes d’action juridiquement reconnaissables.

Authors

Liens connexes



View Full Mobile Experience