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La Cour suprême restreint le délit d’ingérence illégale dans les relations économiques

06 février 2014

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Les tribunaux canadiens sont depuis longtemps aux prises avec le délit d’ingérence illégale dans les relations économiques. Cette lutte a généré une ambiguïté importante dans la jurisprudence"même le nom du délit était non réglé. Toutefois, le 31 janvier 2014, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire AI Enterprises Ltd c Bram Enterprises Ltd, qui a restreint à l’unanimité la portée de la responsabilité délictuelle. Cette décision apportera une certitude vitale à un domaine du droit historiquement vexé.

Dans cette affaire, une mère et ses quatre fils étaient propriétaires d’un immeuble d’appartements, et tous sauf un fils voulaient le vendre. Le fils dissident a refusé d’exercer un droit de premier refus. Néanmoins, il a déjoué toutes les tentatives de vente de la propriété et, en fin de compte, l’a achetée pour sa valeur estimative, qui était de près de 400 000 $ de moins qu’un autre acheteur potentiel n’avait offert. Agissant par l’intermédiaire de deux sociétés, les autres membres de la famille ont demandé des dommages-intérêts pour, entre autres, ingérence illégale dans les relations économiques.

Il est bien établi que l’ingérence illégale dans les relations économiques comporte deux éléments clés: l’intention de nuire au demandeur et l’utilisation de moyens illégaux. Le juge de première instance a interprété le deuxième élément de façon libérale. Il a conclu que le fils dissident avait agi sans aucun fondement juridique ni justification et que ses actes étaient donc illégaux au sens large. En appel, la Cour a défini l’illégalité de façon plus étroite, la limitant à une conduite équivalant à un tort civil pouvant donner lieu à une action par un tiers, ou qui aurait pu donner lieu à une action si ce tiers avait subi une perte. Toutefois, elle a conclu que, même si la conduite du fils dissident ne donnait à aucun tiers un droit d’action, la responsabilité envers les demandeurs pouvait être imposée au moyen d’une « exception fondée sur des principes » puisque sa conduite s’apparentait à un abus de procédure. Elle a donc confirmé la décision du juge du procès.

En appel, la Cour suprême du Canada a examiné l’historique et la raison d’être de la responsabilité délictuelle dans le contexte du régime plus large de la responsabilité délictuelle moderne. Elle a conclu que ce contexte militait en faveur d’une interprétation étroite de l’élément des moyens illicites. À l’indélément de la Cour d’appel d’appel, la Cour suprême a statué que, pour constituer des « moyens illégaux » pour ce délit, la conduite reprochée doit donner lieu à une action civile par un tiers, ou être telle que le tiers aurait pu intenter une poursuite s’il avait subi une perte indirecte. Ensuite, la Cour suprême a rejeté l’argument du fils dissident selon lequel, compte tenu de sa fonction de comblement des lacunes, le délit ne s’applique que lorsqu’aucune autre cause d’action n’est disponible. Elle a déterminé que l’exigence proposée n’était pas nécessaire pour maintenir le délit civil dans les limites appropriées. Enfin, la Cour suprême a rejeté toute exception dite fondée sur des principes. Elle n’a trouvé aucun principe sur lequel ces exceptions pourraient être fondées. Elle s’est également dite préoccupée par le fait que la reconnaissance d’exceptions ne ferait que conférer un pouvoir discrétionnaire judiciaire non structuré, ce qui nuirait à ses efforts pour donner une portée certaine et étroite au délit civil.

Appliquant sa nouvelle approche, la Cour suprême a conclu que la conduite du fils dissident n’avait pas été illégale au sens étroit du terme. Étant donné qu’aucune exception de principe n’avait été reconnue, elle a conclu que le fils dissident n’était pas responsable d’ingérence illégale dans les relations économiques. La Cour suprême a toutefois reconnu que le fils dissident avait manqué à ses obligations fiduciaires en tant qu’administrateur des sociétés demanderesses, et elle a confirmé l’octroi de dommages-intérêts par le juge de première instance pour ce motif. La société du fils dissident a également été tenue responsable de l’aide qu’il avait pu obtenir en connaissance de cause dans le manquement à une obligation fiduciaire et d’avoir reçu en connaissance de cause le produit de la violation.

En réduisant la portée de la responsabilité à l’égard des torts civils pouvant donner lieu à des poursuites par des tiers, cette décision sauve les tribunaux canadiens de l’enchevêne des affaires contradictoires dans ce domaine du droit. Elle évite également, selon les termes de la Cour suprême, de « torturer » une conduite interdite par la loi pour des raisons éloignées de la responsabilité civile. Par conséquent, la décision est une clarification bienvenue des limites du délit. Il favorise la sécurité juridique et la prévisibilité dans les affaires commerciales. Cependant, il peut aussi simplement pousser la controverse d’un niveau à la définition appropriée de « actionnable ». Quoi qu’il en soit, les contours fondamentaux de la responsabilité sont maintenant clairs, et les améliorations doivent attendre un examen judiciaire plus approfondi.

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