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La Cour suprême rejette l’autorisation d’interjeter appel rejet de la plainte pour négligence de l’auditeur

06 mai 2019

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Écrit par Robert W. Staley, Preet K. Gill and Nathan J. Shaheen

Le 2 mai 2019, la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Lavender v Miller Bernstein LLP, 2018 ONCA 729. 1 La décision de la Cour suprême marque la fin d’une bataille juridique de 14 ans qui a considérablement clarifié la mesure dans laquelle un vérificateur peut être responsable envers des parties autres que son propre client et a confirmé le seuil élevé pour imposer la responsabilité aux vérificateurs dans les cas de perte purement économique.

Historique

Miller Bernstein était le vérificateur de Buckingham Securities, un courtier en valeurs mobilières qui s’est effondré en 2001 lorsque l’inscription de Buckingham a été suspendue par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) pour avoir omis de séparer les actifs des clients et de maintenir des niveaux minimaux de capital net. Le mandat de Miller Bernstein comprenait la vérification de certains rapports que Buckingham était tenu de déposer confidentiellement auprès de la CVMO, dans le cadre du régime de réglementation alors applicable aux courtiers en valeurs mobilières de l’Ontario.

En 2005, l’un des clients de Buckingham, Barry Lavender, a intenté un recours collectif contre Miller Bernstein. Lavender a allégué que Miller Bernstein avait entrepris par négligence ses vérifications des rapports de Buckingham déposés auprès de la CVMO et qu’il était donc responsable de toutes les pertes subies par des personnes qui étaient des clients de Buckingham au moment de son effondrement. Il l’a fait malgré le fait que les rapports vérifiés n’étaient pas fournis ou mis à la disposition des clients de Buckingham, ce qui signifie qu’aucun client ne s’était fié à ces rapports. En fait, la preuve était que les clients de Buckingham n’avaient eu connaissance de Miller Bernstein qu’après l’effondrement de Buckingham.

En 2010, le recours collectif a été certifié sur consentement et, en 2016, Lavender a demandé un jugement sommaire. La question clé de la requête en jugement sommaire (et dans l’affaire en général) était de savoir si Miller Bernstein avait une obligation de diligence envers les clients de Buckingham, qui étaient donc les clients de Miller Bernstein.

En première instance, le juge des requêtes était d’accord avec Lavender et a conclu que Miller Bernstein avait une obligation de diligence. 2 Il a estimé que Miller Bernstein avait le devoir de tenir compte des clients de son client [traduction] « en tant que simple question de justice ». La décision du juge saisi des requêtes s’écartait nettement de la jurisprudence existante et, si elle avait été maintenue, aurait étendu la responsabilité d’un vérificateur à des tiers qui ne se sont pas fiés au rapport du vérificateur et qui n’étaient même pas au courant de l’existence du vérificateur. Miller Bernstein a interjeté appel de la décision du juge des requêtes.

La décision de la Cour d’appel

En septembre 2018, la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé à l’unanimité la décision du juge des requêtes. La Cour d’appel a conclu que Miller Bernstein n’avait aucune obligation de diligence envers les clients de Buckingham, a accordé un jugement sommaire à Miller Bernstein et a rejeté l’action de Lavender dans son intégralité.

La Cour d’appel a appliqué le cadre de longue date pour la responsabilité de l’auditeur de la décision fondamentale de la Cour suprême dans Hercules Managements Ltd. v Ernst & Young, [1997] 2 RCS 165 , tel que précisé par la décision de 2017 de la Cour suprême dans Deloitte & Touche v Livent Inc., 2017 SC 63 qui a confirmé et clarifié le cadre en deux étapes pour déterminer l’existence d’une obligation de diligence.

L’analyse de la Cour d’appel a porté sur la première étape du cadre de l’obligation de diligence et, en particulier, sur la question de savoir s’il y avait un lien suffisamment étroit entre les clients de Buckingham et Miller Bernstein. Ce faisant, elle a appliqué l’arrêt Livent, dans lequel la Cour suprême a indiqué que dans les réclamations pour perte purement économique contre les vérificateurs découlant de fausses déclarations ou de l’exécution d’un service par négligence, deux facteurs sont « déterminants »: la portée de l’engagement du vérificateur et la confiance accordée par le demandeur.

En se fondant sur Livent et les faits dont elle était saisie, la Cour d’appel a statué qu’il n’y avait pas suffisamment de lien étroit entre les clients de Buckingham et Miller Bernstein pour établir une obligation prima facie de diligence et que, à son tour, les réclamations de Lavender contre Miller Bernstein devaient être rejetées. Elle a fourni cinq raisons principales à l’aide de cette conclusion :

  1. L’engagement de Miller Bernstein ne s’étendait pas à aider les clients de Buckingham à prendre des décisions d’investissement ou autrement. Son engagement portait plutôt sur les rapports de vérification que Buckingham a déposés confidentiellement auprès de la CVMO.
  2. Les clients de Buckingham ne se sont pas du tout fiés aux rapports vérifiés (ou autrement à Miller Bernstein).
  3. La conclusion du juge des requêtes était fondée sur des erreurs de fait manifestes et dominantes concernant la relation entre les clients de Buckingham et Miller Bernstein. En particulier, contrairement aux conclusions du juge des requêtes, c’est Buckingham (et non Miller Bernstein) qui a déposé les rapports auprès de la CVMO et Miller Bernstein n’a pas eu accès aux noms et aux détails du compte de tous les clients de Buckingham, qui changeaient en fait régulièrement.
  4. Le régime législatif dans lequel Buckingham exerçait ses activités ne créait pas de relation immédiate entre le vérificateur de Buckingham (Miller Bernstein) et les clients de Buckingham.
  5. La Cour suprême a indiqué qu’un examen approfondi est justifié au moment de décider s’il y a lieu de reconnaître une nouvelle obligation de diligence dans une réclamation pour perte purement économique, ce qui a pesé davantage par rapport à la conclusion de proximité entre les clients de Buckingham et Miller Bernstein.

Pour ces motifs, la Cour d’appel a conclu que, « lorsqu’elle est dûment examinée à la lumière de l’arrêt Livent », la demande de Lavender « ne peut survivre parce qu’il n’y a pas de lien étroit entre le vérificateur et le groupe ». Elle a donc accueilli l’appel de Miller Bernstein, rejeté l’action de Lavender et, peu de temps après, accordé à Miller Bernstein près de 1,2 million de dollars en dépens pour la requête en jugement sommaire et l’appel.

Décision de la Cour suprême sur l’autorisation

En novembre 2018, Lavender a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel devant la Cour suprême. Miller Bernstein a résisté à la demande d’autorisation de Lavender, soutenant que Lavender demandait essentiellement à la Cour suprême de réexaminer sa décision rendue dans l’affaire Livent moins d’un an plus tôt.

Le 2 mai 2019, la Cour suprême a rejeté la demande d’autorisation de Lavender avec des frais supplémentaires payables à Miller Bernstein. Comme c’est la pratique courante, la Cour suprême l’a fait sans rendre de motifs pour le congédiement. La décision de la Cour suprême marque la fin de la longue action de Lavande et une victoire âprement disputée pour Miller Bernstein.

Conclusion

La décision de la Cour suprême laisse en place la décision de la Cour d’appel, qui représentait la première fois qu’une cour d’appel canadienne appliquait la décision de la Cour suprême dans l’affaire Livent à une réclamation pour négligence d’un vérificateur. La décision de la Cour d’appel confirme le seuil élevé applicable lorsque des réclamations pour perte purement économique sont invoquées contre des vérificateurs par toute personne autre que le client du vérificateur.

Remarques :

1. 2018 ONCA 729, autorisation d’appel refusée à 2019 CanLII 37473 (CSC).
2. 2017 ONSC 3958 (SCJ).

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