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La Cour suprême déclare que les sociétés canadiennes peuvent être tenues responsables des actes de sociétés étrangères affiliées

04 septembre 2015

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Dans une décision qui vient d’être rendue, Chevron Corp c Yaiguaje, 2015 CSC 42, la Cour suprême du Canada a statué que les tribunaux canadiens ont compétence pour décider si un jugement étranger peut être exécuté en Ontario contre l’une ou l’autre ou les deux a) une société canadienne qui n’était pas partie au jugement étranger, et b) sa société mère indirecte, qui était partie au jugement étranger, mais qui prétend n’avoir aucun lien avec l’Ontario. Maintenant, il sera laissé aux tribunaux de l’Ontario de décider si, en fait, ce jugement étranger peut être exécuté contre ces deux entités en Ontario.

Histoire

En juillet 2013, nous avons écrit au sujet de Choc v Hudbay Minerals Inc, 2013 ONSC 1414 (voir A Warning for Canadian Corporations with Foreign Subsidiaries). Cette décision semblait indiquer une volonté accrue d’un tribunal de l’Ontario d’assumer sa compétence dans une affaire d’actes répréhensibles présumés commis par une filiale étrangère d’une société canadienne dans un pays étranger.

Plus récemment, en janvier 2014, nous avons écrit au sujet de Yaiguaje c Chevron Corporation, 2013 ONCA 758, qui semblait renforcer la volonté des tribunaux de l’Ontario d’assumer leur compétence sur des questions qui ne sont pas clairement liées à l’Ontario (voir Further Cause for Alarm for Canadian Corporations with Foreign Operations). En décembre 2014, nous avons pris la parole devant la Cour suprême pour entendre l’appel de Chevron Corporation à l’égard de cette décision et des conséquences potentielles en magasin pour toutes les sociétés canadiennes ayant des liens avec l’étranger (voir Supreme Court to Clarify the Liability of Canadian Corporations for Acts of their Foreign Affiliates). Aujourd’hui, la Cour suprême a rejeté cet appel.

Historique

Dans l’affaire Chevron, les demandeurs étrangers ont obtenu un jugement équatorien d’environ 9,51 milliards de dollars américains contre Chevron Corporation pour les dommages causés par la pollution de l’environnement. Les demandeurs ont ensuite intenté une poursuite sur ce jugement en Ontario, avec l’intention d’exécuter le jugement contre Chevron Corporation, une société américaine, et Chevron Canada, une filiale canadienne indirecte de septième niveau. La Cour d’appel de l’Ontario a autorisé les demandeurs à intenter une action contre Chevron Canada, même si cette entité n’était pas partie aux procédures ou au jugement équatorien. Ils ont également été autorisés à intenter des actions contre Chevron Corporation, même si elle n’avait pas d’actifs au Canada.

La Cour d’appel n’exigeait qu’un lien réel et substantiel entre l’objet du litige et le tribunal étranger qui a rendu le jugement. Cette décision a placé la barre beaucoup plus bas à l’étape de l’exécution, comparativement au lien qui est requis lorsqu’on demande à la Cour d’assumer la compétence de fond à l’égard d’un différend étranger. La Cour d’appel a également cité à maintes reprises la relation importante de Chevron Canada avec sa société mère, indiquant que la structure de la relation d’entreprise était un autre facteur dont la Cour tiendrait compte pour décider d’assumer sa compétence à l’égard d’une mesure d’exécution.

La décision de la Cour suprême

La Cour suprême a confirmé que la seule condition préalable pour reconnaître et exécuter un jugement étranger est que le tribunal étranger avait un lien réel et substantiel avec les plaideurs ou avec l’objet du litige, ou que les fondements traditionnels de la compétence étaient satisfaits. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien réel et substantiel entre le différend ou le défendeur et le tribunal d’exécution. Étant donné que le tribunal exécute une obligation de fond existante, et non crée une nouvelle obligation, aucune préoccupation concernant les conflits de lois ou la portée excessive territoriale ne s’appliquera. En outre, le principe de courtoisie et la nécessité de faire preuve de respect pour les actions en justice d’autres États dans un monde de plus en plus globalitaire militent en faveur de l’application de la loi.

La Cour a conclu que la compétence avait été établie à l’endroit de Chevron Corporation, car elle était un débiteur étranger en vertu de l’arrêt équatorien, qu’elle était soumise à la compétence des tribunaux équatoriens et qu’elle avait été signifiée ex juris à son siège social. Il a été constaté que Chevron Canada relevait d’une compétence traditionnelle fondée sur la présence en raison de son bureau physique en Ontario où elle était desservie et de ses représentants qui fournissent des services dans la province.

La Cour a noté qu’une conclusion de compétence ne fait que donner aux demandeurs la possibilité d’aller de l’avant dans la recherche de l’exécution. Chevron Corporation et Chevron Canada disposent encore d’un certain nombre d’outils procéduraux pour tenter de disposer de l’action, ainsi que d’arguments sur les personnalités distinctes des entités et sur la question de savoir si les actions et les actifs de Chevron Canada seront disponibles pour satisfaire au jugement.

Regard vers l’avenir

La Cour a fait remarquer que cette décision fournira, espérons-le, une règle fixe, claire et prévisible qui aidera à éviter les conflits de compétence inutiles. Il convient de noter que la Cour semblait tenir compte de la nature de plus en plus transfrontalière des affaires et de la nature de justice sociale de l’équité de tenir les débiteurs étrangers responsables. Cette décision indique aux sociétés canadiennes la facilité avec laquelle la compétence en matière d’application de la loi sera trouvée. Il indique qu’il sera préférable de dépenser du temps et de l’argent pour traiter du bien-fondé de la contestation, plutôt que des arguments de compétence. Cette affaire sera suivie de près alors qu’elle se dirige vers l’examen des arguments de fond concernant la question de savoir si le jugement étranger sera exécuté contre la filiale canadienne, même si elle n’était pas partie au jugement étranger.

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