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Rester ici ou là? Directive récente de la Cour d’appel du Québec sur les sursis dans les recours collectifs parallèles proposés

29 octobre 2020

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Écrit par Ranjan Agarwal, Emily Kettel and Pavan Virdee

La Cour d’appel du Québec a récemment rendu une décision dans Micron Technology Inc. c Hazan, 2020 QCCA 1104, qui pourrait avoir des implications importantes pour les défendeurs qui cherchent à faire sursis les recours collectifs proposés par les tribunaux québécois en faveur des procédures dans d’autres juridictions canadiennes.

Historique de l’affaire : chevauchement des recours collectifs devant la Cour du Québec et la Cour fédérale

En 2018, des recours collectifs ont été intentés au Québec, en Colombie-Britannique, en Ontario et à la Cour fédérale pour certifier (ou autoriser) un recours collectif contre sept défendeurs qui étaient des fabricants et des vendeurs de mémoire vive dynamique (DRAM). Dans chacune des procédures, le représentant de la demanderesse proposée a présenté des réclamations en vertu de la Loi sur la concurrence fédérale selon lesquelles lui et d’autres membres du groupe avaient payé des prix artificiellement gonflés pour la DRAM et les produits contenant de la DRAM, en raison d’un complot de fixation des prix entre les défendeurs.

Le 30 avril 2018, une demande d’autorisation d’un recours collectif contre les défendeurs (l’équivalent québécois d’une requête en accréditation) a été déposée en Cour supérieure du Québec. Le 2 mai 2018, une déclaration a été déposée en Cour fédérale contre les mêmes défendeurs, qui comprenait une requête en accréditation. Le lendemain, une deuxième demande a été déposée au Québec, qui a été suspendue en vertu de la règle du Québec sur le « premier déposant ». Cette règle exige que le premier demandeur à déposer une demande d’autorisation devant la Cour supérieure du Québec soit autorisé à demander l’autorisation de procéder au recours collectif, et que les demandes ultérieures soient suspendues.

En novembre 2018, une demande conjointe de suspension du recours collectif a été déposée au Québec pour demander une suspension de l’action du Québec, alléguant que litis pendens — une exception en vertu du Code civil du Québec pour faire suspendre une poursuite en instance si une procédure fait déjà l’objet d’une procédure en cours dans une juridiction étrangère, impliquant la même cause d’action entre les parties — entre l’instance québécoise et l’instance devant la Cour fédérale.

En février 2019, la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande de suspension, concluant que la règle du « premier déposant » s’applique avec la même force aux demandes présentées à la Cour supérieure du Québec et à la Cour fédérale, et non seulement aux demandes concurrentes d’autorisation de recours collectifs en Cour supérieure. La Cour a également conclu que, même s’il y avait un risque de décisions contradictoires découlant d’une procédure parallèle, les appelants n’ont pas réussi à démontrer comment la surseillement des procédures au Québec servirait au mieux les intérêts des membres du groupe.

Résumé de la décision de la Cour d’appel du Québec

La Cour d’appel du Québec a réexaminé la règle du « premier déposant » pour déterminer si elle s’applique dans le scénario où les demandeurs présentent des demandes d’autorisation ou de certification à la Cour supérieure du Québec et à la Cour fédérale. La jurisprudence actuelle au Québec soutient que la règle s’applique lorsque plusieurs demandeurs entament des procédures qui se chevauchent devant la Cour supérieure du Québec, mais elle ne s’applique pas lorsqu’une instance est devant la Cour supérieure du Québec et qu’une autre est « en instance devant une autorité étrangère ».

La Cour d’appel a statué qu’étant donné que la règle du « premier déposant » avait été adoptée en tant que question de politique judiciaire pour les recours collectifs intra-québécois, la Cour ne pouvait justifier son extension à des situations impliquant la Cour fédérale ou une autre province. Dans ce cas, la Cour supérieure du Québec ne peut que décider de suspendre ou non ses procédures.

La Cour d’appel a reconnu qu’en raison du risque de jugements contradictoires, des coûts indus pour les parties et de la possibilité de gaspiller des ressources judiciaires limitées, il ne sera généralement pas dans l’intérêt de la justice ou des parties de faire en sorte que deux recours collectifs soient poursuivis sur le fond en parallèle devant différents tribunaux. Lorsqu’elle a examiné une suspension, la Cour d’appel a suggéré qu’un tribunal évalue et soupese des considérations générales, comme la question de savoir si les recours collectifs proposés soulèvent des questions semblables, et toute différence dans la portée de l’instance.

En arrivant à une décision, le juge saisi de la requête et la Cour d’appel ont exprimé leur insatisfaction à l’égard de la conduite des défendeurs. Les défendeurs n’avaient pas informé le juge saisi de la requête qu’ils avaient également demandé à la Cour fédérale de suspendre son instance en attendant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Godfrey, un recours collectif de premier plan en droit de la concurrence. Le tribunal inférieur a conclu que cela était suffisant, à lui seul, pour rejeter la demande de suspension. La Cour d’appel a convenu qu’il n’était pas approprié de la sorte que les défendeurs demandent un sursis à l’instance devant la Cour du Québec pour aller de l’avant devant la Cour fédérale sans révéler au juge qu’ils avaient également demandé une suspension de l’instance devant la Cour fédérale.

Cela dit, la Cour d’appel du Québec a conclu que la conduite des défendeurs était insuffisante pour rejeter la demande de suspension, confirmant la conclusion du juge du tribunal inférieur : « En soi, le comportement des défendeurs devant le tribunal ne doit pas avoir d’incidence sur les intérêts des membres du groupe. » La Cour d’appel a plutôt mis l’accent sur l’approche holistique pour évaluer les intérêts des membres du groupe. La suspension possible de l’instance devant la Cour fédérale n’était qu’un facteur pertinent à prendre en considération.

En fin de compte, la Cour d’appel du Québec a conclu que le juge du tribunal inférieur avait correctement rejeté la demande de suspension en vertu du principe de litispendance parce que l’instance du Québec avait été déposée avant l’instance devant la Cour fédérale. Elle a conclu qu’il serait prématuré de suspendre l’instance québécoise avant l’autorisation du recours collectif et qu’il pourrait être approprié de réévaluer la question si la Cour fédérale et la Cour supérieure du Québec certifient ou autorisent les recours collectifs.

Principaux points à retenir

Fait intéressant, la Cour d’appel du Québec a reconnu que la question de savoir si une procédure devrait être suspendue survient habituellement avant que l’un ou l’autre des recours collectifs ne soit autorisé ou certifié. Cela dit, il a également déclaré que dans cette affaire, le tribunal manquait de renseignements clés pour rendre une décision (par exemple, il n’y a pas de jugement qui définit le groupe, les questions en litige ou les recours, et il n’y a aucune certitude quant à savoir si l’autre recours collectif proposé sera autorisé ou certifié).

Il s’agit d’une décision importante sur les recours collectifs multijuridictionnels qui se chevauchent, car les défendeurs peuvent avoir à se battre pour la certification / l’autorisation pour les mêmes, ou similaires, plus d’une fois, ce qui pourrait augmenter les coûts. Les modifications importantes à la Loi de 2002 sur les recours collectifs de l’Ontario qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 2020, comprennent des dispositions pour la gestion des recours collectifs multijuridictionnels. Cette décision est également un rappel important pour les parties de divulguer tout plan qu’elles pourraient avoir lorsqu’elles envisagent un séjour dans plusieurs juridictions.

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