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Skechers, accords de partage des coûts et évaluation douanière canadienne

27 avril 2015

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Au cours des trois premiers mois de 2015, les importateurs ont été témoins d’importants changements apportés aux lois et aux politiques canadiennes en matière d’évaluation en douane. Le 19 janvier 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a publié l’Avis des douanes 15-001, « Traitement des rajustements de prix à la baisse dans le calcul de la valeur en douane ». L’avis englobe la nouvelle politique de l’ASFC en vertu de laquelle les importateurs peuvent obtenir le remboursement des droits de douane relativement aux rajustements à la baisse des prix de transfert qui réduisent les prix facturés sur lesquels les valeurs en douane des marchandises importées étaient fondées. Le 2 mars 2015, la Cour d’appel fédérale (CAF) a confirmé le jugement du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) interdisant l’appel d’une décision du président de l’ASFC dans laquelle le président a conclu que certains paiements pour les frais de recherche, de développement et de conception, qui faisaient l’objet d’une entente de partage des coûts, étaient passibles de droits.

Il n’y a aucun lien apparent entre les fondements de la nouvelle politique d’évaluation en douane de l’ASFC et la justification de l’énoncé de droit de la CAF. Il s’agit plutôt de savoir comment ces changements dans le paysage de l’évaluation douanière donnent aux importateurs multinationaux d’une main et emporter de l’autre. La nouvelle politique de l’ASFC, après une longue et chaude bataille entre l’ASFC et la communauté des importateurs, donne aux importateurs l’occasion d’obtenir un remboursement des droits de douane s’ils peuvent démontrer qu’ils remplissent certaines conditions; la décision de la CAF tolère la pratique de l’ASFC d’ajouter des paiements, qui sont sans doute tangentiels aux marchandises importées, au prix payé ou à payer des marchandises importées et, par conséquent, à leur valeur passible de droit. La nouvelle politique et la nouvelle loi sont importantes pour les entreprises multinationales qui font des affaires au Canada et qui transfèrent des biens, des services ou des biens intellectuels au Canada; ils établissent un nouveau paradigme d’évaluation douanière canadienne.

Dans « Transfer Pricing Custom Duty Refund Applications " Let’s Do it Right « Let’s Do it Right », nous avons décrit les conditions qui doivent être remplir pour qu’un importateur obtienne avec succès des remboursements liés aux ajustements de prix de transfert à la baisse. Dans « Les importateurs canadiens peuvent maintenant demander le remboursement des droits d’importation », nous avons averti qu’il faudrait s’attendre à ce que le gouvernement du Canada cherche à récupérer ou à équilibrer la perte de revenus résultant de la nouvelle politique de l’ASFC en effectuant davantage de vérifications des valeurs douanières déclarées par les importateurs de parties liées.

Dans l’affaire Skechers USA Canada Inc c. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2015 CAF 58 (Skechers), la politique de l’ASFC de traiter les frais de recherche et de développement comme des paiements après l’importation, ou des produits ultérieurs, a été validée par la CAF. Dans le Mémorandum D13-4-13, « Paiements ou droits après l’importation (produits subséquents) », daté du 8 juillet 2009, l’ASFC indique que les paiements, autres que ceux qui peuvent être qualifiés d'« aides », peuvent être dutiables s’ils sont payés par l’acheteur dans le cadre d’une vente destinée à l’exportation au Canada à des fins de recherche ou de développement auprès du vendeur, ou au profit du vendeur, des marchandises importées. L’ASFC rationalise sa position en se fondant sur le fait que les dépenses en recherche et développement peuvent être considérées comme des activités continues nécessaires au maintien des activités d’une entreprise et de sa position concurrentielle et en se fondant sur le fait que les activités de développement sont normalement entreprises avec une attente raisonnable de succès commercial et d’avantages futurs découlant de l’augmentation des revenus ou de la réduction des coûts. En d’autres termes, nonobstant la comptabilité analytique à l’effet contraire, les paiements au vendeur pour la recherche et le développement sont effectivement considérés comme étant à l’égard des coûts des marchandises supportées par les vendeurs de marchandises importées au Canada, et non par l’importateur ou l’acheteur, qu’il existe ou non un lien direct entre la recherche et/ou le développement, qui fait l’objet du paiement; et les marchandises qui traversent la frontière.

Skechers Canada a contesté cette politique devant le TCCE, mais n’a pas convaincu le tribunal que les coûts de recherche et de développement (i) n’étaient pas à l’égard des marchandises, (ii) n’étaient pas nécessaires à la production des marchandises en cause ou à l’utilisation fondamentale des marchandises en cause comme chaussures, (iii) n’étaient pas liés à des biens incorporels, iv) les paiements généraux n’étaient-ils pas affectés par les marchandises importées ou, à titre subsidiaire, v) les versements étaient des aides et seule une partie d’entre elles aurait dû être incluse dans le prix payé ou à payer.

L’ASFC avait fait valoir, et le TCCE a conclu, que les paiements pour la recherche et le développement avaient été effectués à l’égard des marchandises importées et qu’ils devaient être inclus dans le prix payé ou à payer pour les marchandises (défini comme le total de tous les paiements effectués ou devant être effectués, directement ou indirectement, à l’égard des marchandises par l’acheteur au vendeur ou pour son profit). Plutôt que de soutenir que les coûts de recherche et de développement étaient des « produits subséquents » à ajouter au prix payé ou à payer, comme le prévoit la D 13-4-13, l’ASFC et le TCCE ont traité les coûts de recherche et de développement comme faisant partie du prix des marchandises importées. En adoptant cette approche, il n’était pas nécessaire que les coûts de recherche et de développement soient liés au produit de la revente, de l’aliénation ou de l’utilisation subséquentes des marchandises. (Entre parenthèses, cette distinction peut être sémantique parce que ni l’ASFC ni le TCCE n’ont eu de difficulté à conclure que les paiements effectués par un importateur ont finalement été financés à même ses revenus et, par voie de conséquence, le produit subséquent de la revente, de l’aliénation ou de l’utilisation de marchandises.)

Plus important que la distinction entre les justifications du « prix payé ou à payer » ou du « produit subséquent » à inclure dans la valeur transactionnelle est l’examen par la CAF, dans la mesure où il est raisonnable, de la conclusion du TCCE selon laquelle « le processus de recherche, de conception et de développement est un processus interrelié, dont l’ensemble est nécessaire pour produire les marchandises en cause ». Le TCCE a décrit le processus de conception comme étant interactif ou interrelié et non propre à une gamme de produits donnée. Les activités en question qui ont été compensées par les paiements de recherche et de développement se trouvaient toutes « quelque part dans le continuum de ce processus long et interdépendant ».

En d’autres termes, la CAF a confirmé la position de principe de l’ASFC énoncée dans le Mémorandum D13-4-13 régissant les coûts de recherche et de développement en tant que dépenses du vendeur pour une activité continue requise pour maintenir les activités d’une entreprise, et implicitement en tant que coûts à la charge du vendeur et à répercuter à l’acheteur sur le prix des marchandises importées. Même si les marchandises importées ne bénéficiaient pas directement de la recherche et du développement, elles l’ont implicitement fait indirectement.

Le 31 mars 2015, l’ASFC a réédité le Mémorandum D 13-4-13. Une lecture attentive de l’annexe A attire l’attention sur l’exclusion envisagée pour les paiements lorsque l’importateur canadien passe un contrat avec le fournisseur étranger pour mener le développement de la recherche, assume tous les coûts et risques d’échec et prend possession de la recherche. Dans ces circonstances, l’importateur canadien serait propriétaire de tous les actifs incorporels développés et, par conséquent, des bénéfices qui en résulteraient. L’ASFC fait la distinction entre un coût qui est attribuable à la production des marchandises par le vendeur (passible de droits) et un coût qui est assumé par l’importateur canadien (non passible de droits). Cela donne lieu à la nécessité d’examiner et de réexaminer les accords de partage des coûts.

Skechers ne s’écarte pas de la politique de l’ASFC relative aux paiements pour la recherche et le développement. Mais une préoccupation découle de la justification reflétée dans les décisions de la CAF et du TCCE si elle est utilisée pour élaborer des politiques supplémentaires concernant d’autres paiements effectués en vertu d’accords de partage des coûts. Comment l’ASFC traitera-t-elle les ententes de partage des coûts qui sont susceptibles d’interprétation comme couvrant les coûts de production, de vente, les frais généraux et administratifs associés à la vente de marchandises importées par un vendeur étranger à un importateur canadien?

Le Mémorandum D 13-4-13 examine divers services et tente d’établir des liens entre ceux qui se rapportent sans doute à des activités canadiennes et ceux qui ne le font pas, ces derniers devant être traités comme pouvant être dutiables vraisemblablement comme des coûts de production ou de vente, des frais généraux et administratifs du vendeur. Verrons-nous un examen plus approfondi des accords de partage des coûts liés à des services tels que la commercialisation? L’ASFC examinera-t-elle de plus près si les dépenses à frais partagés sont de nature à être destinées au client de l’importateur ou si elles pourraient être mieux classées comme se rapportant aux ventes à l’importateur?

Depuis Mattel, il existe très peu de cas où des droits de douane canadiens sont perçus sur les redevances ou les droits de licence en raison de l’exigence de la « condition de vente » et de sa disposition par la Cour suprême du Canada. Mais qu’en est-il des accords de partage des coûts portant sur les propriétés intellectuelles? Si la propriété intellectuelle continue d’appartenir au vendeur étranger en vertu de l’entente de partage des coûts, comment les paiements, par l’importateur, qui contribuent à la valeur des propriétés intellectuelles seront-ils perçus? Seront-ils considérés comme inséparables du continuum de production des marchandises qui seront importées au Canada? Le partage de la propriété ira-t-il à l’encontre d’une telle conclusion?

Les trois premiers mois de 2015 ont compliqué l’évaluation en douane pour les importateurs d’entreprises multinationales au Canada et ont rendu plus prudent l’examen de leurs pratiques d’évaluation en douane.

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