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Réexamen des coûts anticipés pour les litiges d’intérêt public : Cas de la Nation crie de Beaver Lake

11 avril 2022

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Écrit par David Bursey, Sharon Singh, Radha Curpen and Ranjan Agarwal

Le 18 mars 2022, la Cour suprême du Canada a rendu une décision dans l’affaire Anderson v Alberta [Beaver Lake Cree] qui précise le critère d’attribution des frais anticipés pour compenser les dépenses des plaideurs d’intérêt public. La décision survient dans le contexte d’un litige en matière de droits des Autochtones, mais s’étend à d’autres affaires portant sur des questions d’intérêt public.

Contexte de l’affaire

En 2008, la Nation crie de Beaver Lake (BLCN), une Nation signataire du Traité no 6, a déposé une plainte contre l’Alberta et le Canada pour avoir indûment permis à ses terres d’être prises en charge pour l’exploitation industrielle et des ressources pendant de nombreuses années d’activité sans tenir compte adéquatement des effets cumulatifs. L’affaire est prévue pour un procès de 120 jours à partir de janvier 2024. BLCN estime que le litige coûtera 5 millions de dollars. Elle a présenté une demande préliminaire d’avance de frais pour financer le litige.

Le juge responsable de la gestion de l’instance a accordé à BLCN des frais anticipés en appliquant le critère d’attribution des frais établi dans BC (Ministre des Forêts) c Bande indienne de l’Okanagan et Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada.  La Cour d’appel a annulé la décision de la juge de gestion de l’instance au motif que la juge de gestion de l’instance avait commis une erreur dans ses conclusions en appliquant le critère.  BLCN a interjeté appel devant la Cour suprême du Canada.

La Cour ne pouvait pas dire que BLCN avait démontré qu’elle ne serait pas en mesure d’aller de l’avant avec un financement privé, mais « le but du présent appel était d’expliquer ce qu’elle devait démontrer pour atteindre ce seuil » (para. 74).

La Cour a accueilli l’appel de BLCN et a renvoyé l’affaire au tribunal de première instance pour qu’il entende de nouveau la demande de BLCN en se fondant sur les directives que la CSC a énoncées dans la décision. La question des frais anticipés pour un demandeur d’une Première Nation est une question exceptionnelle d’intérêt public, et « non seulement un cas de première impression, mais un cas qui va au cœur de la séparation des pouvoirs » (para. 73).

Le test en trois parties pour les coûts avancés

La Cour a commencé par les « premiers principes » et a examiné la compétence en equity pour adjuger des dépens, y compris le pouvoir d’adjuger des dépens avant la décision finale, comme il est expliqué dans Okanagan. « Ces sentences sont « destinées à fournir un niveau d’assistance de base nécessaire pour que l’affaire soit instruite" » (para. 19).

Les frais anticipés ne devraient être accordés que dans de « rares cas » où le refus d’une ordonnance anticipée de dépens reviendrait à « participer à une injustice – contre le plaideur personnellement et contre le public en général » (para 21). L’attribution de frais anticipés dans d’autres circonstances équivaudrait à une « portée judiciaire imprudente et inappropriée » (para 21).

Ce recours aux coûts doit être un « dernier recours ». La raison d’être de la prudence est enracinée dans la séparation des pouvoirs. La Cour a expliqué que « notre cadre constitutionnel prescrit des rôles différents pour les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire » et qu’il est « fondamental qu’aucun d’entre eux n’outrepasse ses limites, que chacun d’eux ne montre la déférence appropriée pour la sphère d’activité légitime de l’autre » (para. 22).

Le critère des avances de frais est « rigoureux » et trois « exigences absolues » doivent être satisfaites :

  1. impecuniosité;
  2. une preuve fondée à première vue; et
  3. issues of public importance (para. 24).

La Cour a également expliqué le rôle de la réconciliation dans les litiges liés aux droits en vertu de l’article 35 de la Constitution. Si un litige soulève de nouvelles questions d’interprétation des droits ancestraux et issus de traités et de la violation de ces droits, ce contexte peut peser considérablement lors de l’évaluation du volet importance pour le public du critère des coûts anticipés (para. 25).

La Cour a expliqué qu’au moment d’évaluer l’aspect impécuniosité du critère, un tribunal devrait également tenir compte de la question des « besoins urgents » du point de vue de la Première Nation et de ses priorités de gouvernance (para. 27). Un gouvernement d’une Première Nation peut être considéré comme impécunieux si sa priorisation des besoins urgents de sa collectivité le rend incapable de financer les litiges d’intérêt public.

Le demandeur de frais anticipés doit fournir un plan de litige et une preuve suffisante de ses ressources financières. Ces renseignements seront pertinents pour la décision de la Cour sur le montant de toute sentence et sur la question de savoir si le demandeur doit contribuer au financement du litige (para. 29).

La Cour a également mis en garde contre le fait qu'« une présomption d’impécuniosité fondée sur le recours collectif risquerait de transformer le critère des frais anticipés en un système parallèle d’aide juridique qui, comme il a été mentionné ci-dessus, signifierait une portée judiciaire excessive imprudente et inappropriée » (para. 35).

Application du critère aux circonstances de la Nation crie de Beaver Lake

Le Canada et l’Alberta ont admis que la preuve de BLCN était à première vue fondée, mais chacune a fait valoir que BLCN avait accès à des actifs et à des revenus importants, de sorte qu’elle n’était pas impécuneuse. Le juge de la gestion de l’instance a également conclu que l’exigence d’importance pour le public était satisfaite, puisque l’affaire BLCN soulevait une question nouvelle sur l’interprétation des droits ancestraux et issus de traités (para. 11).

En ce qui concerne la question de l’impécuniosité, le juge de la gestion de l’instance a conclu que, même si BLCN disposait de fonds non affectés, elle avait également des besoins urgents importants. Elle a conclu que BLCN était impécunieux parce qu’elle [traduction] « ne peut pas financer le litige au taux requis pour le traduire en justice » et qu’elle ne devrait pas avoir [traduction] « à choisir entre poursuivre ce litige et tenter de subvenir aux besoins essentiels de la vie » (para. 13).

La Cour a noté que le juge de la gestion de l’instance, agissant sans le bénéfice des motifs de la Cour, « a fait des observations générales sur les ressources financières et les besoins urgents de Beaver Lake pour conclure qu’il s’agissait d’une communauté appauvrie. D’après le dossier dont elle est saisie, cette conclusion est inattaquable. Cela dit, le dossier dont elle disposait et ses conclusions étaient insuffisants. « Elle n’a pas fait les conclusions particulières nécessaires dans ces circonstances pour décider de l’impécuniosité ou pour déterminer le montant des frais anticipés requis pour permettre à Beaver Lake de poursuivre le litige » (para. 54).

En particulier, le juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas fait de conclusions sur les coûts estimatifs des besoins urgents de BLCN ni sur la mesure dans laquelle les ressources financières de BLCN pourraient répondre à ces besoins (para. 57). L’analyse exigeait « un dossier plus précis et plus complet afin de déterminer si Beaver Lake avait fait suffisamment d’efforts pour obtenir du financement d’autres sources » (para. 67).

Principaux points à retenir

Cette décision réaffirme la nature rigoureuse du critère de l’adjudication anticipée des dépens et précise les critères qu’un tribunal doit appliquer et la justification de ces critères, y compris la nécessité de tenir compte du fait que, malgré la capacité financière, cette capacité peut être utilisée pour financer les besoins urgents non litigieux d’un gouvernement des Premières Nations.

La Cour a également déterminé la nature et le type précis d’éléments de preuve qui doivent appuyer une demande de dépens anticipés. Cette preuve illustre également la rigueur avec laquelle un tribunal fera preuve avant d’accorder des dépens anticipés.

Enfin, la Cour a expliqué comment les litiges d’intérêt public portant sur de nouvelles questions d’interprétation des droits ancestraux et issus de traités attireront un poids supplémentaire dans l’évaluation de l’importance du litige pour le public.

Dans tous les cas, la Cour évitera toute présomption fondée sur le recours collectif liées aux adjudications anticipées de frais, préférant une évaluation détaillée des circonstances particulières de chaque cas.

Bennett Jones possède une vaste expertise dans les litiges d’intérêt public, y compris les litiges impliquant des droits ancestraux et issus de traités. Si vous avez des questions concernant la décision Anderson, les membres du groupe Bennett Jones Aboriginal Law group se ferai un plaisir de vous aider.  

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