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Pomper les freins procéduraux: la clause d’arbitrage maintient le recours collectif potentiel d’Uber

14 février 2018

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Écrit par Nathan J. Shaheen, Joseph N. Blinick and Tyler W. Henderson

Une disposition d’arbitrage dans une entente de services entre Uber et ses chauffeurs empêchera-t-elle les chauffeurs d’intenter un recours collectif pour avoir été classés à tort en tant qu’entrepreneurs? La Cour supérieure de l’Ontario s’est récemment penchée sur cette question dans Heller v Uber Technologies Inc.. La réponse, en bref, est « oui ».

Les faits

David Heller a intenté un recours collectif proposé contre Uber Technologies Inc. au nom des chauffeurs d’Uber en Ontario. Il a allégué qu’Uber n’avait pas correctement classé lui et ses collègues chauffeurs comme des employés. Par conséquent, a-t-il soutenu, Uber avait privé tous les membres du groupe de leurs droits obligatoires en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE) de l’Ontario. M. Heller a demandé 400 millions de dollars en dommages-intérêts au nom du groupe.

Avant la requête en certification, Uber a présenté une requête en suspension du recours collectif potentiel, sur la base d’une clause d’arbitrage dans les contrats entre Uber et les membres du groupe. La clause compromissoire exigeait que tous les différends soient réglés par voie d’arbitrage aux Pays-Bas.

La clause compromissoire

En plus de prévoir expressément que la relation entre Uber et les membres du groupe n’était pas une relation employé-employeur, l’accord pertinent entre Uber et ses chauffeurs stipulait que : (i) le « Contrat sera exclusivement régi et interprété conformément aux lois des Pays-Bas, à l’exclusion de ses règles sur le conflit de lois », et ii) « [a]n différend, conflit ou controverse, quel que soit le type de différend, conflit ou controverse, quel que soit le type de différend, de conflit ou de controverse, quel qu’il soit, quel qu’il soit découlant du présent Accord ou s’y rapportant de manière générale, y compris en ce qui concerne sa validité, son interprétation ou son caractère exécutoire, sera d’abord soumis obligatoirement à une procédure de médiation en vertu du Règlement de médiation de la Chambre de commerce internationale (« Règlement de médiation de la CCI »)... Si un tel différend n’a pas été réglé dans les soixante (60) jours suivant la présentation d’une demande de médiation en vertu du Règlement de médiation de la CCI, ce différend peut être soumis et sera résolu exclusivement et définitivement par arbitrage conformément au Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale ».

En ce qui concerne la requête en sursis, la question était de savoir si les membres du groupe pouvaient contourner la clause compromissoire pour intenter un recours collectif. M. Heller a soutenu qu’il le pouvait. Uber n’était pas d’accord.

La décision

Le juge Perell était d’accord avec Uber et a suspendu le recours collectif proposé en faveur de l’arbitrage. Ses motifs incluaient le recours au principe de la « compétence-compétence »:

La règle générale est qu’une contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être résolue par l’arbitre. Les exceptions à la règle générale sont lorsque la contestation est fondée uniquement sur une question de droit. Toutefois, si les contestations soulevées sont des questions mixtes de fait et de droit, le tribunal devrait renvoyer la contestation à l’arbitre à moins que les questions de fait n’exigent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier.

M. Heller a soutenu qu’il était de la compétence du tribunal de décider si l’affaire est arbitrable parce qu’elle nécessitait une interprétation de la LNE. Il a également fait valoir que la présente affaire était une exception à la règle générale qui consistait à permettre aux arbitres de déterminer leur propre compétence.

Le juge Perell a trouvé « plusieurs faiblesses » dans ces arguments. Premièrement, ils étaient fondés sur le fait que M. Heller était un employé, ce qui demeurait une question d’actualité à déterminer dans le recours collectif proposé. Deuxièmement, en l’absence d’un libellé législatif explicite à l’effet contraire, les tribunaux doivent appliquer les conventions d’arbitrage. En particulier, le juge Perell a conclu que la LNE n’empêche pas le « recours à l’arbitrage ». De plus, l’arbitrabilité des réclamations relatives à l’emploi « est une question complexe de fait et de droit mixtes qui doit être tranchée en premier lieu par l’arbitre; ce n’est pas une simple question d’interprétation législative qui doit être résolue par le tribunal.

Le juge Perell a également rejeté l’argument de M. Heller selon lequel la clause compromissoire était déraisonnable. Il a noté les éléments classiques de l’iniquité contractuelle comme suit: (i) inégalité prononcée du pouvoir de négociation; (ii) une négociation substantiellement imprudente ou injuste; et (iii) le défendeur profitant sciemment du demandeur vulnérable.

Cependant, bien qu’il ait reconnu l’inégalité incontestable du pouvoir de négociation entre Uber et ses chauffeurs, le juge Perell n’a pas conclu qu’Uber avait utilisé la clause d’arbitrage pour profiter des membres du groupe ou en extraire « une entente imprudente ».

Analyse

La décision du juge Perell dans l’affaire Heller suit le paradigme moderne selon lequel les clauses d’arbitrage sont présumées exécutoires. Il s’harmonise étroitement avec les principes généraux récemment distillés par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Wellman c. Société TELUS Communications selon lesquels « les conventions d’arbitrage seront généralement appliquées ».

Bien que Heller s’articule autour d’une loi propre à l’Ontario, il en résulte un résultat similaire à deux décisions de la Cour suprême de 2007 concernant le Code civil du Québec et le Code de procédure civile du Québec. Dans l’affaire Dell Computer Corp v Union des consommateurs and Rogers Wireless Inc. v Muroff , la Cour suprême a conclu que les clauses d’arbitrage conférant des droits substantiels aux parties contractantes ne seront pas affectées par le droit procédural d’une partie d’intenter un recours collectif. La compétence de l’arbitre pour déterminer la validité d’une clause compromissoire demeurera également.

Plus tard, dans Seidel c. TELUS Communications Inc., la Cour suprême a examiné une requête en suspension d’un recours collectif intenté en vertu de la Loi sur les pratiques commerciales et la protection des consommateurs de la Colombie-Britannique. La Cour a déterminé qu’une clause compromissoire d’une convention de consommation sera en vigueur, en l’absence de toute disposition législative libérant autrement les consommateurs de leurs conventions d’arbitrage. Les demandes de jugement déclaratoire et d’injonction présentées par le représentant du demandeur dans cette affaire, qui ont été expressément traitées dans la BPCPA, ont été autorisées à aller de l’avant par voie de recours collectif. Les réclamations non couvertes par la BPCPA (par exemple, les réclamations de common law) sont restées sous le champ d’application de la clause compromissoire. De même, en l’absence d’exclusion légale spécifique pour les réclamations liées à l’emploi dans l’affaire Heller, les demandeurs étaient assujettis à la clause compromissoire et liés par elle.

Heller est susceptible d’être porté en appel. Entre-temps, la décision du juge Perell donne aux défendeurs une certaine assurance que les clauses d’arbitrage obligatoires (qui ne sont pas expressément évincées par la législation applicable) peuvent encore les protéger contre d’éventuels recours collectifs.

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