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La décision du projet Prosper Rigel annulée : complication accrue pour le développement du projet

30 avril 2020

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Écrit par Deirdre Sheehan, David Bursey, Keely Cameron and Micaela Zila

Dans l’affaire Fort McKay First Nation v Prosper Petroleum Ltd, 2020 ABCA 163 (Prosper), la Cour d’appel de l’Alberta a annulé l’approbation par l’Alberta Energy Regulator (AER) de la demande de Prosper Petroleum Ltd. pour le projet de récupération du bitume Rigel. La Cour a décidé que l’AER interprétait son mandat d’intérêt public de façon trop étroite en omettant de tenir compte des questions soulevées par la Première Nation de Fort McKay (PNGF) sur la façon dont l’approbation du projet Rigel pourrait influer sur leurs efforts avec le gouvernement de l’Alberta pour élaborer un plan d’aménagement du territoire afin de répondre aux préoccupations des PNGF au sujet des effets cumulatifs de l’exploitation des sables bitumineux sur les droits issus de traités des PNGF.

Bien que le régime législatif de l’AER exclue explicitement la compétence de l’AER d’examiner le caractère adéquat de la consultation de la Couronne (REDA, art. 21), la Cour a statué que le pouvoir de l’AER de tenir compte de « l’intérêt public » établit une compétence implicite et une « obligation » d’appliquer la Constitution pour s’assurer que ses décisions sont conformes avec l’article 35 de la Constitution Act, 1982. Par conséquent, l’AER a été obligé de tenir compte d’autres aspects de l’honneur de la Couronne et, en l’espèce, des mesures prises par l’Alberta pour concilier l’élaboration de projets et la mise en œuvre des droits issus de traités de la PNGF.

Cette décision a des conséquences importantes pour les tribunaux qui doivent tenir compte de l’intérêt public lorsqu’ils se prononcent sur des demandes de projet qui peuvent impliquer des mesures de la part d’autres organismes de la Couronne liées à la conciliation des droits ancestraux et issus de traités avec l’élaboration de projets. L’interprétation élargie de l’intérêt public par la Cour peut créer des défis supplémentaires pour les demandeurs qui demandent l’approbation d’un projet devant un tribunal où l’honneur de la Couronne peut être un problème.

Elle fait également suite à la décision de la Cour d’appel fédérale de 2018 decision sur Trans Mountain dans laquelle la CAF a conclu que l’Office national de l’énergie (maintenant la Régie de l’énergie du Canada) n’avait pas tenu compte adéquatement de l’impact du transport maritime lié au projet dans le cadre de son examen (et des impacts sur les épaulards résidents du Sud, dans en particulier).

Les deux décisions tendent à élargir la portée des questions dont les tribunaux administratifs doivent tenir compte lorsqu’ils exercent un pouvoir d’approbation sur des projets de ressources naturelles et d’infrastructure.

Historique

Avant que Prosper ne dépose sa demande en 2013, fmfn avait entamé des négociations avec le gouvernement de l’Alberta pour élaborer un plan de gestion de l’accès à Moose Lake (MLAMP). Mlamp devait réagir aux effets cumulatifs de l’exploitation des sables bitumineux sur les droits du Traité no 8 de la PNGF et obtenir une protection pour la région du lac Moose. Dans le MLAMP, le FMFN a cherché une zone tampon de 10 kilomètres entourant la région de Moose Lake dans laquelle aucun développement des sables bitumineux ne serait autorisé. En 2015, le premier ministre de l’Alberta de l’époque et le chef de la PNGF ont conclu une lettre d’intention pour confirmer « l’engagement et l’intérêt mutuels des parties à l’égard d’une achèvement accéléré du [MLAMP] » et qui prévoyait que l’ébauche du MLAMP soit terminée et approuvée d’ici le 31 mars 2016 (lettre d’intention). La FMFN a qualifié la lettre d’intention de « promesse prentice ». Le MLAMP n’a pas été finalisé et continue de faire l’objet de négociations en cours.

Il est proposé que le projet Rigel soit situé dans la zone recherchée par fmfn pour être couvert par le MLAMP. En l’absence du MLAMP, ou de toute indication qu’il serait finalisé de façon imminente, l’AER a procédé à l’examen de la demande de Prosper pour le projet Rigel.

Le 12 juin 2018, l’AER a rendu sa décision approuvant le projet Rigel sous réserve de l’autorisation du Cabinet. L’AER a déterminé que le projet Rigel était dans l’intérêt public et que le potentiel de frustration des négociations du MLAMP était insuffisant pour faire pencher l’intérêt public contre l’approbation du projet Rigel. L’AER a également conclu que l’article 21 de la Loi sur le développement énergétique responsable (LERR) l’empêchait d’évaluer le caractère adéquat de la consultation de la Couronne et que le Cabinet, et non l’AER, était le forum approprié pour finaliser le MLAMP.

Décision de l’ABCA

La Cour a statué que l’affaire devait être renvoyée à l’AER pour réexamen au dossier approprié. En arrivant à cette décision, la Cour a déterminé ce qui suit :

La Cour a souligné que « lorsqu’ils sont habilités à examiner des questions de droit, les tribunaux ont également la compétence implicite d’examiner les questions de droit constitutionnel au fur et à mesure qu’elles se présentent » (en l’absence d’exclusion expresse) et que « cela est d’autant plus le cas lorsque le tribunal est tenu de tenir compte de « l’intérêt public ».

Bien que la Cour ait reconnu que l’AER n’avait pas la capacité d’évaluer le caractère adéquat de la consultation de la Couronne, elle a expliqué que l’honneur de la Couronne peut donner lieu à des obligations au-delà de l’obligation de consulter. Citant l’arrêt De la Cour suprême du Canada, Manitoba Metis, au para 73, la Cour a fait remarquer que l'« obligation de consulter » n’est que l’une des quatre situations reconnues « jusqu’à présent » où l’honneur de la Couronne prend naissance. L’une des situations reconnues consiste à exiger de la Couronne qu’elle agisse de manière à atteindre les objectifs visés par les traités et les subventions législatives accordées aux peuples autochtones.

Fmfn a soutenu que le processus MLAMP et la lettre d’intention donnent lieu à des obligations supplémentaires découlant de l’honneur de la Couronne liées à la mise en œuvre des traités.

La Cour a convenu que l’AER aurait dû examiner ces questions dans le cadre de son examen de la demande dans l’intérêt public. La Cour a expliqué ce qui suit :

[57] Section 21 n’empêche pas l’AER d’examiner les questions pertinentes concernant les peuples autochtones dans l’exécution de son mandat de décider si un projet particulier est dans l’intérêt public. Les questions soulevées ici ne se limitent pas à la pertinence de la consultation sur ce projet, mais soulèvent des préoccupations plus larges, y compris la relation de la Couronne avec la PNGF et les questions de réconciliation. Ces questions font appel à l’intérêt public et leur examen n’est pas exclu par le libellé de l’article 21.

La Cour a également expliqué qu'« une autorisation de projet qui viole les droits des peuples autochtones protégés par la Constitution ne peut servir l’intérêt public » et que l’AER ne peut ignorer ou faire passer sous-entendu certains aspects de son mandat d’intérêt public, y compris l’honneur de la Couronne.

La Cour a rejeté l’opinion de l’AER selon laquelle seul le Cabinet était responsable du traitement des questions relatives au MLAMP. La Cour a noté : « [une] conclusion selon laquelle la loi empêche l’examen de certaines questions ne libère pas le décideur de son obligation si cette interprétation législative s’avère incorrecte. Un décideur ne peut pas non plus refuser d’examiner des questions qui relèvent de son mandat législatif parce qu’il estime que la question peut être mieux traitée par un autre organisme.

La Cour a statué que « l’intérêt public » comprend également le respect de principes constitutionnels comme l’honneur de la Couronne, et l’AER n’est pas moins responsable d’examiner les obligations constitutionnelles de la Couronne que ne l’est le Cabinet.

Regard vers l’avenir

Bien que l’arrêt Prosper établisse que les tribunaux ayant un mandat décisionnel d’intérêt public puissent être tenus d’examiner divers aspects de l’obligation constitutionnelle de la Couronne d’agir honorablement dans ses rapports avec les peuples autochtones, le mandat « d’intérêt public » n’est pas ouvert dans sa portée.

La Cour en l’espèce (au par. 45) et la ligne des arrêts de la Cour suprême du Canada sur lesquels la Cour s’appuie sont clairs: ces questions constitutionnelles supplémentaires doivent se rapporter aux questions principales établies par la loi habilitante du tribunal. L'«intérêt public » doit prendre son contexte à partir de cette loi, et les questions constitutionnelles de l’article 35 doivent se rapporter aux questions dont le tribunal est dûment saisi. (Rio Tinto Alcan Inc. c Carrier Sekani Tribal Council, 2010 CSC 43 aux paragraphes 60, 62 et 69.)

De plus, la Cour a noté (au para 54) les déclarations de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Haïda 2004 CSC 73 que « Bien que l’honneur de la Couronne soit toujours en jeu dans ses rapports avec les peuples autochtones, il n’est pas engagé par toutes les interactions » et « Il donnera lieu à des devoirs différents dans des circonstances différentes ». Les circonstances de l’affaire Prosper présentaient un ensemble unique de faits, impliquant un engagement spécifique du gouvernement à l’égard d’une achèvement accéléré du MLAMP et un projet proposé pour être situé dans la zone spécifique que l’on cherchait à inclure dans le MLAMP. Par conséquent, la mesure dans laquelle des aspects de « l’honneur de la Couronne » autres que l’obligation de consulter se poseront dans le cadre d’un examen de projet par un tribunal administratif sera nécessairement évaluée au cas par cas, sous réserve des faits et des circonstances particuliers en cause.

À l’avenir, il sera également important que les promoteurs de projets soient conscients des questions d'« honneur de la Couronne » qui pourraient survenir dans le contexte de son processus d’approbation de projet. Par exemple, les promoteurs devraient tenir compte, lors de la planification préalable à la demande, si l’emplacement du projet est touché par des initiatives plus vastes de réconciliation entre le gouvernement et les groupes autochtones. La mobilisation directe des organismes de réglementation et des groupes autochtones qui pourraient être touchés demeure un élément essentiel de la planification des projets.

Si vous avez des questions sur ces problèmes et sur la façon dont ils peuvent affecter votre entreprise, veuillez contacter: Deirdre Sheehan, Dave Bursey, Keely Cameron ou Micaela Zila.

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