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Nation Ktunaxa c. Colombie-Britannique : L’obligation de consulter et protéger les droits à la liberté de religion

06 novembre 2017

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Écrit par David Bursey, R. Blake Williams, Sharon G.K. Singh and Charlotte Teal

Le 2 novembre 2017, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Nation Ktunaxa c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations) (2017 CSC 54). Cette affaire portait sur un nouvel argument lié au droit à la liberté de religion en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’interaction avec l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

La Nation Ktunaxa a affirmé que la décision de la Couronne d’autoriser un projet de développement d’une station de ski violait son droit à la liberté de conscience et de religion en vertu de la Charte. Les Ktunaxa ont également soutenu que la Couronne n’avait pas respecté son obligation de consulter et d’accommoder en vertu de l’article 35.

La Cour a rejeté l’appel de la Ktunaxa, décidant que l’approbation de la Couronne ne violait pas le droit des Ktunaxa à la liberté de religion et que la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter. La Cour a souligné que l’article 35 garantit un processus, et non un résultat, et qu’il ne donne pas de veto aux demandeurs de droits ancestraux insatisfaits.

Historique du différend

Le différend portait sur les plans de Glacier Resorts Ltd. de construire une station de ski toute l’année dans la vallée de Jumbo, dans le sud-est de la Colombie-Britannique. Les Ktunaxa s’opposèrent aux plans. Ils considéraient la vallée de Jumbo , qu’ils appellent Qat’muk, comme la maison de l’esprit grizzli, et étaient préoccupés par l’impact du développement.

Après près de deux décennies de négociations entre Glacier, le gouvernement et des intervenants clés, y compris la Ktunaxa, le gouvernement de la Colombie-Britannique a approuvé une entente-cadre de développement avec Glacier Resorts en 2012.

À la fin de ce processus, les Ktunaxa ont adopté la position selon laquelle il était impossible de s’y loger. Ils croyaient que le projet causerait un préjudice irréparable à leur relation avec l’esprit grizzli, puisque le développement chasserait l’esprit de Qat’muk, ce qui détruirait les fondements de leur croyance spirituelle. Les croyances religieuses des Ktunaxa seraient alors rendues dépourvues de signification religieuse et ne pourraient pas être transmises aux générations futures.

Le Ktunaxa a demandé au tribunal d’examiner l’approbation, affirmant:

  1. l’approbation du projet par la Couronne a violé leur droit à la liberté de religion en vertu de l’alinéa 2a) de la Charte; et
  2. la Couronne a manqué à son obligation de consulter en vertu de l’article 35 de la Constitution.

Le contrôle judiciaire du Ktunaxa a été rejeté, tout comme l’appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

La Cour suprême du Canada a également rejeté l’appel de la Ktunaxa. En ce qui concerne la revendication de la liberté de religion, l’opinion majoritaire, dirigée par la juge en chef McLachlin, a conclu que l’alinéa 2a) ne s’étendait pas jusqu’à protéger l’objet de la croyance spirituelle des Ktunaxa. L’opinion minoritaire, dirigée par le juge Moldaver, a conclu que la destruction de l’objet de la croyance spirituelle des Ktunaxa avait considérablement nui à leur capacité de pratiquer cette croyance qui violait l’alinéa 2a), mais le ministre avait proportionnellement équilibré ce droit avec l’objectif législatif d’administrer les terres de la Couronne dans l’intérêt public.

La majorité et la minorité ont rejeté l’argument de la Ktunaxa selon lequel le gouvernement n’avait pas consulté et accommodé de manière appropriée les Ktunaxa.

La liberté de religion en vertu de la Charte

La majorité de la CSC a conclu que la demande de la Ktunaxa n’était pas visée par l’alinéa 2a) de la Charte. La Cour a expliqué que l’alinéa 2a) exige qu’un demandeur démontre :

  1. il croyait clairement en une pratique ou une croyance qui a un lien avec la religion; et
  2. la conduite contestée de l’État interfère, d’une manière non négligeable ou non négligeable, avec sa capacité d’agir conformément à cette pratique ou croyance.

Pour satisfaire à la deuxième partie du critère, le demandeur d’asile doit démontrer que la conduite du gouvernement porte atteinte à l’un des deux aspects de la liberté de religion, c’est-à-dire 1) la liberté d’avoir une croyance religieuse, ou 2) la liberté de la manifester.

Les juges majoritaires ont décidé que les Ktunaxa avaient échoué à la deuxième partie du critère parce qu’ils ne pouvaient pas démontrer que la décision du ministre nuquait à leur liberté de croire en l’esprit de l’ours grizzli ou à leur liberté de manifester cette croyance. L’allégation Ktunaxa visait plutôt à établir que l’alinéa 2a) de la Charte protège la présence de l’esprit de l’ours grizzli dans Qat’muk et le sens subjectif que les Ktunaxa en tirent.  Ces aspects de la revendication dépassent la portée de l’alinéa 2a).

L’opinion majoritaire offrait d’autres indications importantes, notamment :

Cette décision limite la protection de l’alinéa 2a) aux circonstances où le droit de détenir ou de manifester une croyance est considérablement compromis.

L’opinion minoritaire était d’accord avec le résultat global, mais s’est opposée à cet élément de l’opinion majoritaire.

« Lorsque la conduite de l’État rend les croyances religieuses sincères d’une personne dépourvues de toute signification religieuse, cela porte atteinte au droit d’une personne à la liberté de religion. ... les tribunaux doivent tenir compte des caractéristiques uniques de chaque religion et des façons distinctes dont l’action de l’État peut interférer avec les croyances ou les pratiques de cette religion. Dans de nombreuses religions autochtones, la terre n’est pas seulement le site de pratiques spirituelles; la terre elle-même peut être sacrée.

Malgré la violation, la décision du ministre était raisonnable et devrait être maintenue. Le ministre a équilibré proportionnellement le droit de la Ktunaxa en vertu de l’alinéa 2a) avec ses objectifs législatifs. Il a essayé de limiter l’impact de l’approbation du projet autant que raisonnablement possible et a établi des mesures d’accommodement importantes qui ont abordé le lien spirituel des Ktunaxa avec la terre.

Obligation de consulter en vertu de l’article 35 de la Constitution

La Cour a confirmé et appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Nation haïda c. C.-B. (Ministre des Forêts) 1 Bien que les Ktunaxa n’aient pas obtenu les mesures d’adaptation qu’ils cherchaient (rejet total du projet), la Cour a conclu que le ministre avait été raisonnable en décidant que le gouvernement s’était acquitté de son obligation de consulter.

La Couronne s’est engagée dans deux décennies de consultation et avait reconnu les revendications de la Ktunaxa dès le départ. De plus, de nombreux changements ont été apportés au projet pour tenir compte de ces revendications. Enfin, la Cour a conclu que le processus de consultation et d’accommodement protégé par l’article 35 avait pris fin à la fin de 2009 lorsque les Ktunaxa ont adopté la position selon laquelle l’accommodement serait impossible et que rien de moins qu’un rejet du projet suffirait.

La Cour a également souligné les limites de la portée d’un contrôle judiciaire. Essentiellement, les Ktunaxa ont demandé qu’une décision soit rendue sur la validité de leur revendication d’un site sacré « sous le couvert d’un contrôle judiciaire ».2 La Cour a précisé que le contrôle judiciaire d’une décision administrative n’est pas le forum pour les revendications non prouvées de droits ancestraux.

« Les droits ancestraux doivent être prouvés par des preuves éprouvées; ils ne peuvent pas être établis comme un incident de procédures de droit administratif qui sont axées sur le caractère adéquat de la consultation et de l’accommodement. Permettre cela susciterait l’incertitude et découragerait le règlement final des droits allégués par le processus approprié.

La norme du contrôle judiciaire se limitait à la question de savoir si la décision du ministre était raisonnable. Le dossier a montré que le ministre n’a pas mal décrit la revendication et a traité la revendication spirituelle globale comme une affirmation forte. De plus, le ministre n’a pas incorrectement évalué l’impact négatif du projet sur les intérêts spirituels des Ktunaxa.

Conclusion

L’affaire clarifie des aspects importants de la loi sur les droits ancestraux, y compris la façon dont les croyances spirituelles autochtones sont protégées en vertu de la Charte et de l’article 35. Bien que la décision définisse des limites au critère de l’alinéa 2a) de la Charte, elle laisse également des questions sans réponse quant à la façon dont l’article 35 peut s’appliquer aux croyances et aux pratiques spirituelles autochtones qui sont intrinsèquement liées à la terre. Par exemple, si l’accent avait été mis sur les pratiques spirituelles liées à un site particulier, plutôt que de caractériser la terre comme l’objet d’une croyance religieuse, l’article 35 offrirait-il une plus grande protection que l’alinéa 2a)?

Un autre aspect intéressant a trait à la durée extraordinaire de la période de consultation, soit plus de 20 ans. La décision souligne que le contenu de la consultation est plus important que la durée de la consultation, mais la durée est un facteur à prendre en considération. Le temps et les efforts nécessaires pour s’acquitter de l’obligation de consulter sont toujours une zone d’incertitude. Bien que la Couronne et le promoteur du projet doivent aborder la consultation avec un effort sincère pour comprendre et concilier les intérêts divergents, cette affaire réaffirme également que les groupes autochtones doivent exposer leurs revendications clairement et tôt.

L’affaire limite également la mesure dans laquelle les droits ancestraux revendiqués devraient être déterminés dans le cas d’un contrôle judiciaire. Ces directives indispensables répondent à de nombreux aspects difficiles de la pratique dans de tels cas liés à la preuve des droits revendiqués.

Enfin, l’affaire réaffirme un principe qui s’insèrent dans bon nombre des affaires d’obligation de consulter mettant en cause des droits ancestraux revendiqués. L’article 35 garantit un processus – la consultation – mais pas un résultat ou un veto.


1 3 RCS 511

2 Ktunaxa, au para 84.

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