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Enquêtes internes et privilèges : un redux

17 mai 2016

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Une enquête interne sur un accident de travail a été privilégiée et, par conséquent, protégée contre la divulgation, a récemment statué la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire Alberta v Suncor Energy Inc, 2016 ABQB 264 [Suncor]. La Cour a conclu que, malgré l’exigence de l’Occupational Health and Safety Act [OHSA] de l’Alberta de mener une enquête et de préparer un rapport, certains renseignements et dossiers créés ou recueillis au cours de l’enquête étaient protégés par le privilège relatif aux litiges et aux conseils juridiques.

Les documents qui sont privilégiés n’ont pas à être divulgués à l’autre partie dans le cadre d’une poursuite ou d’une réponse à l’accès à l’information. Plusieurs types différents de privilèges peuvent s’appliquer pour protéger les documents créés ou recueillis au cours d’une enquête interne, dont les plus courants sont le privilège relatif aux litiges et le privilège relatif aux conseils juridiques. Le privilège relatif aux litiges couvre les documents créés dans le but principal d’un litige existant ou envisagé, tandis que le privilège relatif aux conseils juridiques s’applique aux communications entre avocats et clients effectuées dans le but d’obtenir des conseils juridiques.

Dans un earlier post, nous avons examiné Talisman Energy Inc v Flo-Dynamics Systems Inc, 2015 ABQB 561 [Talisman], où Master Prowse a discuté de ces différents types de privilèges dans le contexte d’une enquête interne. Le capitaine a conclu que les documents recueillis dans le cadre d’une enquête, dirigés par un avocat interne, étaient protégés par le privilège relatif aux conseils juridiques, mais pas, d’après les faits de l’espèce, par le privilège relatif au litige.

À la suite de l’affaire Talisman, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a de nouveau eu l’occasion d’examiner si une enquête interne était privilégiée. À Suncor, un employé a été tué dans un accident de travail. Le jour de l’accident, Suncor a signalé l’incident en vertu de la LSST. Il a également ouvert une enquête interne sous la direction d’un avocat interne. Le personnel de la santé et de la sécurité au travail (SST) a également mené une enquête au cours de laquelle il a recueilli des dossiers et interrogé environ 15 témoins. En vertu de la LSST, Suncor elle-même avait l’obligation légale de « mener une enquête sur les circonstances entourant » l’accident et de préparer un rapport décrivant ces circonstances et les « mesures correctives, le cas échéant, prises pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise ». Malgré la remise du rapport à la SST et la communication des noms de toutes les personnes interrogées ainsi que de celles qui composent l’équipe d’enquête interne de Suncor, la SST a exigé des dossiers supplémentaires de Suncor, y compris des copies des déclarations des témoins et des dossiers pris ou recueillis par l’équipe d’enquête de Suncor. Suncor a refusé, invoquant le privilège relatif aux litiges et aux conseils juridiques.

Dans l’arrêt Suncor, la Cour s’est d’abord penchée sur la question de savoir si Suncor avait le droit de revendiquer le privilège relatif au litige à l’sujet des renseignements qu’elle avait recueillis au cours de son enquête. Compte tenu des obligations légales de Suncor, pourrait-elle affirmer que l'« objet principal » de la collecte de renseignements était de se préparer à un litige? La Cour a conclu qu’elle pouvait, déclarant aux paragraphes 45 à 46 :

bien que Suncor ait l’obligation légale, en vertu de la Loi sur la SST, de mener une enquête et de préparer un rapport sur l’accident pour le ministère ou la SST, cette obligation n’exclut pas ou n’exclut pas le droit de Suncor au privilège relatif au litige à toutes fins utiles, en particulier si la preuve démontre que Suncor a pris des mesures délibérées pour dissimuler les documents et les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête avec l’apparence du privilège dans l’anticipation ou la contemplation d’un litige. Refuser à Suncor son droit de revendiquer le privilège relatif au litige à l’égard des renseignements créés ou recueillis au cours d’une enquête, en raison d’une obligation légale qui se chevauche d’enquêter et de faire rapport, porterait atteinte au droit de Suncor de se défendre contre toute action civile, poursuite criminelle ou réclamation réglementaire potentielle. Ce résultat irait à l’encontre de la justification de principe et de l’objet de la loi en ce qui concerne le privilège relatif au litige . [Italique dans l’original]

La Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si, compte tenu des faits, Suncor avait établi que les documents en cause avaient été préparés aux fins dominantes d’un litige existant ou envisagé. La Cour s’est référée à Talisman pour la proposition selon laquelle la preuve par affidavit suffisait pour s’acquitter du fardeau de la réclamante, et a fait référence à la preuve par affidavit de l’avocat interne de Suncor qui décrivait les circonstances dans lesquelles Suncor prévoyait un litige. Soulignant la gravité de l’accident, la possibilité de diverses sanctions et sanctions en vertu de la LSST, une enquête de la GRC et l’enquête en matière de SST, la Cour a convenu qu'« il était raisonnable pour Suncor d’avoir anticipé ou envisagé qu’il y avait de très bonnes chances » que des litiges soient possibles, y compris « la probabilité de poursuites réglementaires par la SST ; le dépôt d’accusations en vertu du Code criminel ou de poursuites civiles ». À la suite de la preuve par affidavit non controversée et des actions de l’avocat interne qui ont commencé le même jour de l’accident, la Cour a conclu que le critère de l’objet dominant était respecté.

En ce qui concerne le privilège relatif aux conseils juridiques, la Cour a conclu que Suncor avait démontré qu’elle avait demandé et reçu des conseils juridiques d’un avocat interne et externe. En examinant si les documents précis sur lesquelles Suncor a invoqué le privilège relatif aux litiges et aux conseils juridiques étaient en fait protégés, compte tenu du volume de documents en cause, la Cour a ordonné à l’avocat en gestion de l’instance du Banc de la Reine d’agir à titre d’arbitre dans l’évaluation des documents. La Cour tiendrait ensuite compte des recommandations de l’arbitre pour se prononcer définitivement sur les dossiers.

Suncor élargit et renforce la capacité des entreprises à garder les enquêtes internes privilégiées, même dans le cadre d’une enquête prescrite par la loi. Comme dans le cas de Talisman, Suncor démontre l’importance d’avoir, et de suivre, des politiques et des procédures d’enquête internes officielles pour indiquer clairement que les enquêtes sont menées dans le double but (dans la mesure du possible) de vérifier les faits afin d’obtenir des conseils juridiques et de se préparer aux litiges envisagés. Comme l’illustrent les faits de Suncor, il est important que l’enquête soit ciblée et dirigée par un avocat le plus tôt possible. Lorsque l’avocat est un avocat interne, il faut veiller à démontrer que l’objet de l’enquête est légal plutôt que lié aux affaires.

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