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Problèmes de preuve liés aux conclusions sur la menace de dommage dans les affaires de recours commerciaux canadiens

04 janvier 2016

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Écrit par Jesse Goldman and Laura Murray

La prolifération récente des conclusions positives sur la menace de dommage par le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) indique des problèmes avec l’approche du TCCE à l’égard de ses analyses de la menace de dommage. On peut soutenir que le TCCE applique une norme de preuve laxiste qui ne satisfait pas aux exigences juridiques prescrites par la législation canadienne et les accords de l’OMC respectifs couvrant les obligations du Canada concernant les mesures correctives commerciales (Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 et Accord sur les mesures de subventionnement et de droits compensateurs, collectivement les « Accords de l’OMC »).

Historique

En vertu de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI) et du Règlement sur les mesures spéciales d’importation (RMSI), le TCCE mène des enquêtes quasi judiciaires sur les allégations de dommage et de menace de dommage causé aux producteurs canadiens par des importations sous-évaluées ou subventionnées. [1] Dans la conduite de son enquête, le TCCE est tenu de tenir compte des questions de dommage passé, présent et futur. Des droits antidumping et/ou compensateurs sont imposés si le TCCE tire des conclusions selon lesquelles les importations sous-évaluées ou subventionnées : (i) ont causé un dommage important aux producteurs canadiens (dommage passé et présent), ou (ii) n’ont pas causé, mais menacent de causer un dommage important aux producteurs canadiens (dommage futur). [2] L’imposition de droits antidumping ou compensateurs fondés sur une menace de dommage est une mesure corrective exceptionnelle parce qu’elle permet des mesures punitives fondées sur un dommage qui ne s’est pas produit. Toutefois, la pratique récente du TCCE a été de faire des conclusions positives de menace de dommage la règle plutôt que l’exception dans les cas où il n’y a pas suffisamment de preuves de dommage passé. Au cours des cinq dernières années, le TCCE a conclu que le dumping ou le subventionnement menaçait de causer un dommage dans près de 90 % (tous sauf un) des cas où il n’y avait pas suffisamment de preuves de dommage passé. Cela représente un écart important par rapport à la pratique du TCCE au cours de la période de cinq ans précédente, lorsque des conclusions positives sur la menace de dommage ont été tirées dans seulement 33 % des cas où il n’y avait pas suffisamment de preuves de dommage antérieur. [3]

Plus récemment, le TCCE a tiré des conclusions consécutives sur la menace de dommage dans une succession de cas : (i) Modules et laminés photovoltaïques, enquête no 2014-003 (photovoltaïque), (ii) Produits tubulaires pour puits de pétrole, enquête no. NQ-2014-002 (FTPP), et (iii) Barre d’armature pour béton, enquête no. NQ-2014-001. [4] Ces affaires (et d’autres) soulèvent d’importantes questions relatives au seuil de preuve appliqué par le TCCE à ses analyses de la menace de dommage et à la non-conformité potentielle avec les Accords de l’OMC.

The Evidence standard for Threat of Injury Findings

La norme juridique prescrite par les Accords de l’OMC et la LMSI est que la menace de dommage doit être : (i) importante, (ii) clairement prévue, et (iii) imminente. Cela exige, entre autres choses, qu’une conclusion de menace soit fondée sur des éléments de preuve positifs d’un changement de circonstances susceptible d’entraîner des importations sous-évaluées ou subventionnées causant un dommage dans un avenir imminent (généralement dans les douze à vingt-quatre prochains mois). La norme fixe un seuil relativement élevé pour l’établissement d’une menace de dommage " une quasi-certitude de dommage important pour la branche de production nationale est requise.

Les Accords de l’OMC reconnaissent que les questions de menace de dommage doivent être tranchées avec « un soin particulier » et interdisent les déterminations fondées sur « l’allégation, la conjecture ou la possibilité lointaine ». La LMSI reflète ces règles internationales établies par les Accords de l’OMC.

La décision de l’Organe d’appel de l’OMC dans l’affaire États Unis " Enquête de la Commission du commerce international sur le bois d’œuvre résineux en provenance du Canada explique la nécessité d’éléments de preuve positifs pour une constatation de menace de dommage:

Article 3.1 de l’Accord antidumping et article 15.1 de l’Accord SMC sont des « dispositions globales » qui [imposent] certaines obligations « fondamentales », en particulier, selon lesquelles les déterminations de l’existence d’un dommage, y compris la menace de dommage, doivent être fondées sur des éléments de preuve positifs et un examen objectif des facteurs spécifiques énoncés dans ces dispositions. L’article 3.7 de l’Accord antidumping et l’article 15.7 de l’Accord SMC combinent des prescriptions positives"selon lesquelles une telle détermination « doit être fondée sur des faits » et montrer comment un changement de circonstances « clairement prévu et imminent » entraînerait de nouvelles importations faisant l’objet d’un dumping ou subventionnés causant un dommage dans un proche avenir"avec une prohibition expresse d’une détermination fondée « simplement sur une allégation, conjecture ou possibilité lointaine ». [5]

Pour déterminer s’il existe une menace de dommage, le TCCE doit tenir compte des éléments de preuve positifs relatifs aux facteurs prescrits par le RMSI. [6] La LMSI indique également qu’il est impossible de conclure à la menace de dommage à moins que les circonstances dans lesquelles le dumping et le subventionnement des marchandises causeraient un dommage ne soient « clairement prévues » et « imminentes ». [7]

Questions juridiques liées aux tendances récentes de la pratique des tribunaux

La tendance des conclusions positives sur la menace de dommage par le TCCE, lorsqu’elle est examinée avec les motifs de ces conclusions, donne à penser que le TCCE ne tranche pas les cas de menace de dommage avec un « soin particulier » ou n’applique pas la norme juridique prescrite par les Accords de l’OMC et la LMSI.  Cela ne veut pas dire que le TCCE envisage la menace de dommage moins grave que la blessure passée; on peut plutôt soutenir que le TCCE s’est mal informé des exigences établies en matière de preuve et de droit pour conclure à la menace de dommage. Les conclusions du TCCE semblent être spéculatives et ne sont pas fondées sur des éléments de preuve positifs selon lesquelles un changement de circonstances est susceptible d’entraîner un dommage pour les producteurs au Canada qui est important et causé par des importations sous-évaluées ou subventionnées.

Deux affaires récentes, Photovoltaïque et FTPP, illustrent la nature spéculative des conclusions du TCCE. Dans les deux cas, la conclusion de menace du TCCE était fondée sur des spéculations selon lesquelles les conditions futures du marché (c.-à-d. l’élimination des exigences relatives à la teneur en éléments d’origine locale dans les produits photovoltaïques et la détérioration des conditions dans le secteur pétrolier et gazier dans les FTPP) entraîneraient une augmentation importante des importations sous-évaluées et subventionnées et un dommage important causé à la branche de production nationale. Les problèmes liés à l’approche du TCCE dans ces cas sont liés à l’absence d’éléments de preuve positifs à l’origine de la conclusion selon laquelle les conditions du marché sont susceptibles d’entraîner une augmentation du nombre de marchandises sous-évaluées et subventionnées et que ces augmentations causeront un dommage aux producteurs au Canada. Les conclusions du TCCE présumaient que les importations des pays en cause augmenteraient en raison de la simple existence d’une capacité d’exportation; n’a pas quantifié ou qualifié le dommage futur potentiel et n’a pas établi de lien de causalité entre ce dommage et les importations du pays en cause; et a supposé que le dommage serait important en raison des conditions du marché sans examiner le concept d’importance relative par rapport à l’effet des importations sous-évaluées et subventionnées.

Les spéculations du TCCE concernant le dommage et le lien de causalité dans l’affaire photovoltaïque sont particulièrement dignes de mention compte tenu de l’absence de dommage causé par des importations sous-évaluées et subventionnées dans le passé. Les éléments de preuve concernant l’effet des importations faisant l’objet d’un dumping et subventionnés étaient inexistants; les plaignantes n’ont même pas fait valoir à l’audience que le dumping et le subventionnement avaient causé un dommage. On peut soutenir que l’affaire photovoltaïque était prématurée. Les producteurs canadiens avaient connu une production et des ventes saines compte tenu des prescriptions en matière de teneur en éléments d’origine locale en Ontario qui limitaient considérablement l’accès au marché pour les importations, et tout effet négatif découlant de la suppression de l’exigence relative à la teneur en éléments d’origine locale ne s’était pas matérialisé. L’affaire est troublante parce qu’elle représente très probablement un abus du régime de recours commerciaux du Canada pour maintenir la part de marché et la préférence pour la production canadienne après la suppression des prescriptions relatives à la teneur en éléments d’origine locale, malgré l’absence d’indices de dommage. Dans ces circonstances, il n’est pas clair comment le TCCE s’est acquitté de l’exigence selon laquelle sa conclusion de menace doit être fondée sur des éléments de preuve positifs. [8]

Les conclusions dans les affaires Photovoltaïque et FTPP sont représentatives d’autres affaires récentes et sont en deçà de la norme juridique selon laquelle la menace de dommage important causée par des importations sous-évaluées ou subventionnées doit être clairement prévue et imminente. Les éléments de preuve d’un changement de circonstances prévu et de la simple présence d’importations sous-évaluées ou subventionnées ne sont pas suffisants. La norme exige des éléments de preuve positifs montrant que les producteurs nationaux sont susceptibles de subir un dommage futur et que les importations de marchandises sous-évaluées ou subventionnées sont liées par un lien de causalité à ce dommage.

Conclusion

D’autres gouvernements, des avocats spécialisés en droit commercial international et des universitaires dans ce domaine sont conscients de l’augmentation de la preuve et des problèmes juridiques qui en découlent avec l’approche du TCCE à l’égard de ses analyses de la menace de dommage. Les conclusions du TCCE sont susceptibles d’être contestées et l’Organe de règlement des différends de l’OMC peut déterminer qu’elles violent les obligations internationales du Canada.

[1] Les lois canadiennes sur les recours commerciaux sont administrées conjointement par le TCCE et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L’ASFC a compétence exclusive pour les décisions de dumping et de subventionnement, tandis que le TCCE a compétence exclusive pour les déterminations de dommage. [2] L’enquête sur le dommage du TCCE prend fin si l’ASFC rend une décision définitive selon laquelle les marchandises importées n’ont pas été sous-évaluées ou subventionnées. [3] Le TCCE a rendu des conclusions positives sur la menace de dommage dans trois cas entre 2006 et 2010. [4] D’autres cas où le TCCE a conclu que le dumping ou le subventionnement n’avaient pas causé de dommage mais menaçaient de causer un dommage sont les suivants : Tôles d’acier au carbone laminées à chaud (enquête no. NQ-2013-005), Silicium-Métal (Enquête No. NQ-2013-003), Modules muraux unitisés (numéro d’enquête. NQ-2013-002), Tubes pour pilotis d’acier (enquête no. NQ-2012-002), Tubes soudés en acier au carbone (enquête no. NQ-2012-003), et joints de chiots (numéro d’enquête. NQ-2011-001). [5] WT/DS277/AB/RW au para.96. [6] Le paragraphe 37.1(2) du RMSM prescrit les facteurs suivants :

a) la nature de la subvention en question et les effets qu’elle est susceptible d’avoir sur le commerce;

(b) s’il y a eu un taux important d’augmentation des marchandises sous-évaluées ou subventionnées importées au Canada, dont le taux d’augmentation indique une probabilité d’importations substantiellement accrues au Canada des marchandises sous-évaluées ou subventionnées;

(c) s’il y a une capacité disponible libre suffisante, ou une augmentation imminente et substantielle de la capacité d’un exportateur, qui indique une probabilité d’une augmentation substantielle des marchandises sous-évaluées ou subventionnées, compte tenu de la disponibilité d’autres marchés d’exportation pour absorber toute augmentation;

(d) le potentiel de déplacement de produits lorsque les installations de production qui peuvent être utilisées pour produire les marchandises sont actuellement utilisées pour produire d’autres biens;

(e) si les marchandises entrent sur le marché intérieur à des prix qui sont susceptibles d’avoir un effet déprimant ou suppresseur important sur le prix des marchandises similaires et sont susceptibles d’accroître la demande d’importations supplémentaires des marchandises;

(f) stocks des marchandises;

(g) les effets négatifs réels et potentiels sur les efforts de développement et de production existants, y compris les efforts pour produire un dérivé ou une version plus avancée de produits similaires;

(g.1) l’ampleur de la marge de dumping ou du montant de subvention à l’égard des marchandises sous-évaluées ou subventionnées;

(g.2) evidence of the imposition of antidumping or countervaing measures by the authorities of a country other than Canada in respect of goods of the same description or in respect of similar goods; and

(h) tout autre facteur pertinent dans les circonstances.

[7] LMSI, 2(1.5). [8] Dans Certain Cold-Rolled Steel Sheet (2001), le TCCE a reconnu qu’une détermination de la menace de dommage implique nécessairement des extrapolations du passé et que ce qui s’est passé dans le passé est la meilleure indication de l’avenir.

Liens connexes



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