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Tirer des inférences plausibles sur les questions relatives au délai de prescription : La CSC énonce le critère de la découvrabilité

11 août 2021

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Écrit par Scott Bower, Preet Gill, Ciara Mackey and Joan Bilsland

Une réclamation est « découverte » (et, par conséquent, le délai de prescription commence habituellement à courir) lorsqu’un demandeur a une connaissance réelle ou implicite des faits importants sur lesquels une inférence plausible de responsabilité de la part du défendeur peut être tirée. C’est la conclusion de la Cour suprême du Canada dans une décision unanime du 29 juillet 2021 qui établit la norme à appliquer pour la découvrabilité en vertu des lois canadiennes sur la prescription : Grant Thornton LLP c Nouveau-Brunswick, 2021 CSC 31.

Bien que la décision soit une interprétation de la Loi sur la prescription des actions du Nouveau-Brunswick (la Loi sur la prescription), la loi du Nouveau-Brunswick s’institue à des lois semblables que l’on trouve en Ontario, en Saskatchewan et en Alberta, et par conséquent, cette importante décision s’appliquera sans aucun doute largement à la norme de découvrabilité sur les questions de prescription au Canada.

Historique

Les faits dans l’affaire du Nouveau-Brunswick impliquaient les efforts du gouvernement provincial pour soutenir une entreprise, Atcon, avec des garanties de prêt de 50 millions de dollars. La province a exigé qu’Atcon fournisse un examen externe de ses actifs par ses vérificateurs. L’examen des vérificateurs en juin 2009 a indiqué que les états financiers présentaient fidèlement la situation financière d’Atcon. La province a exécuté et livré les garanties, mais en quatre mois, Atcon a manqué d’argent. La province a versé les garanties de prêt en mars 2010, puis a retenu les services d’un autre cabinet d’experts-comptables, Richter, pour examiner la position d’Atcon. Richter a publié une ébauche de rapport en 2011 et un rapport final presque identique en novembre 2012, les deux montrent que les états financiers surévaluaient les actifs et le bénéfice net d’Atcon de 28 à 35 millions de dollars, ce que les vérificateurs n’avaient apparemment pas saisi. En 2014, la province a intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick contre les vérificateurs, alléguant la négligence. Les vérificateurs ont alors présenté une requête en jugement sommaire visant à rejeter la demande au motif qu’elle était prescrite.

La question clé de la requête en jugement sommaire était de savoir si l’action avait été intentée avant ou après l’expiration du délai de prescription de deux ans applicable, qui a commencé chaque fois que la province a « découvert » sa demande. Le juge saisi de la requête a conclu que l’action était prescrite en raison du délai de prescription, car il a conclu que la province avait les connaissances requises en 2010 lorsqu’elle avait subi la perte ou, par ailleurs, en 2011, après avoir examiné l’ébauche du rapport de Richter et appris que les états financiers avaient peut-être été surestimés.

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a infirmé la décision et appliqué un critère plus rigoureux de découvrabilité, concluant que la province n’aurait pas pu découvrir sa réclamation tant que les vérificateurs n’avaient pas produit leurs dossiers liés à la vérification et qu’ils n’auraient pas pu être jugés fautifs pour ne pas avoir détecté la surestimation.

La décision de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada a infirmé la décision de la Cour d’appel et rétabli la décision du juge saisi de la requête, concluant que la norme de la Cour d’appel en matière de découvrabilité avait été fixée trop haut. La Cour a conclu que la province avait en fait découvert sa réclamation en 2011 lorsqu’elle a reçu l’ébauche du rapport de Richter, et que la réclamation était donc prescrite car elle avait été introduite plus de deux ans après la date de la découverte de la réclamation. 

La Loi sur la prescription des mesures

Chaque province a une loi de prescription qui détermine quand une demande devient prescrite. Le délai de prescription général est généralement de deux ans à compter de la date à laquelle un demandeur « découvre » qu’il a une réclamation. La disposition pertinente de la Loi sur la prescription du Nouveau-Brunswick (qui est semblable à la législation de la plupart des autres provinces) prévoit ce qui suit :

Une réclamation est découverte le jour où le demandeur savait ou aurait raisonnablement dû savoir pour la première fois

(a) que la blessure, la perte ou le dommage s’était produit,

(b) que le préjudice, la perte ou le dommage a été causé par un acte ou une omission ou y a contribué, et

(c) que l’acte ou l’omission était celui du défendeur.

Mais à quel moment un demandeur a-t-il le degré de connaissance nécessaire pour avoir « découvert » une réclamation?

La nouvelle approche pour la découvrabilité

La CSC a énoncé l’approche suivante de la possibilité de découverte : « une demande est découverte lorsqu’un demandeur a connaissance, réelle ou implicite, des faits importants sur lesquels une inférence plausible de responsabilité de la part du défendeur peut être tirée. »

Des décisions antérieures ont souligné que, bien que le demandeur n’ait pas besoin d’avoir une connaissance parfaite pour se rendre compte qu’il y a une réclamation, il ou elle doit avoir une certaine connaissance et devrait faire des enquêtes raisonnables dans les circonstances. En l’espèce, la CSC a effectivement modifié l’approche pour exiger maintenant que le demandeur connaisse (de façon réellement ou implicite) des faits importants sur lesquels il peut tirer une inférence plausible de responsabilité. Cette « inférence plausible » est un nouveau terme pour la possibilité de découverte dans le droit des limitations, et la CSC a indiqué que l’utilisation de ce terme assurera l’uniformité; « [une] inférence plausible est une inférence qui donne lieu à une « inférence de fait admissible ». »

En évaluant l’état des connaissances du demandeur, la CSC a indiqué que la preuve directe et circonstancielle peut être utilisée, et qu’un demandeur aura une connaissance implicite alors qu’il aurait dû découvrir les faits importants en faisant preuve d’une diligence raisonnable. L’exigence plausible d’inférence de responsabilité vise également à faire en sorte que le degré de connaissance nécessaire pour découvrir une réclamation soit plus qu’un simple soupçon ou spéculation; mais n’est pas élevé au point d’exiger la certitude de la responsabilité ou une connaissance parfaite.

Dans le cas du Nouveau-Brunswick, la CSC a conclu que le délai de prescription avait commencé à courir une fois que la province avait su ce qui suit : la garantie avait été versée; la garantie avait été fournie en se fondant sur les états financiers; les états financiers surévaluaient les actifs et le bénéfice net d’Atcon; et les vérificateurs avaient vérifié les états financiers. C’était suffisant pour que l’inférence plausible soit tirée. Fait important, dans ce cas, la province n’avait pas besoin de savoir si la détection de la surestimation n’était pas réellement la faute des vérificateurs ou non (ce qui n’a jamais été déterminé).

Principaux points à retenir

La nouvelle approche de « l’inférence plausible » de la découvrabilité élaborée par la CSC aura probablement une large application à l’extérieur du Nouveau-Brunswick, car la CSC a expressément noté que la Loi sur la prescription du Nouveau-Brunswick est calquée sur les lois de prescription de l’Alberta, de la Saskatchewan et de l’Ontario. Les tribunaux s’attendront à ce que les demandeurs agissent avec une diligence et une rapidité raisonnables lorsqu’ils lancent des actions, et qu’ils n’attendent pas des renseignements complets ou parfaits avant de décider s’il y a lieu d’intenter des poursuites.

Un autre aspect intéressant de la décision de la CSC, qui devra peut-être maintenant être exploré dans des affaires futures, est la mesure dans laquelle l’approche de la « déduction plausible » peut influer sur la façon dont les tribunaux traitent les questions de limitation du jugement sommaire, et les requêtes en radiation des réclamations lorsque certains faits sont admis, par rapport à un examen complet de la découvrabilité des faits dans le cadre d’un processus de procès avec des témoins vivants. L’affaire du Nouveau-Brunswick comportait une requête en jugement sommaire visant à déterminer la possibilité de découverte, et le résultat impliquerait que des « inférences plausibles de découvrabilité » peuvent être tirées à juste titre dans de nombreuses affaires (mais pas toutes) sur des dossiers de preuve de jugement sommaire, sans qu’il soit nécessaire de tenir des procès sur des questions de découvrabilité.

Si vous avez des questions sur ce cas ou sur le délai de prescription plus généralement, veuillez contacter un membre des équipes Bennett Jones Commercial Litigation or Legal Research and Opinions.

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