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Les parties en litige attendent des précisions sur les limites du privilège de médiation

17 novembre 2014

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Aujourd’hui, les Canadiens arbitrent leurs différends en nombre record. Une explication partielle de ce phénomène est que la médiation vise à garder les discussions entre les parties confidentielles, traditionnellement en faveur du privilège de règlement. Mais la mesure dans laquelle les parties peuvent percer cette bulle de confidentialité et utiliser les renseignements divulgués au cours de la médiation dans le cadre de procédures judiciaires subséquentes est une question en évolution.

La Cour suprême du Canada a reconnu l’importance de la confidentialité pour le processus de médiation dans sa récente décision dans Bombardier Inc c Union Carbide Canada Inc. Citant un article d’Owen V. Gray, le juge Wagner a noté que la confidentialité encourage les parties à s’engager dans des discussions libres et franches sans craindre que les adversaires actuels ou potentiels, y compris les autorités publiques, utilisent leurs communications contre eux plus tard. De même, les parties pourraient craindre de porter préjudice aux relations commerciales ou personnelles.

La médiation fonctionne mieux lorsque les parties sont assurées que leurs discussions resteront confidentielles. Dans l’affaire Union Carbide, la Cour a confirmé que le privilège relatif au règlement"un privilège du recours collectif » protège toutes les communications échangées par les parties à la médiation en vue de régler un différend. Mais d’autres affaires confirment que le privilège de règlement ne protège pas nécessairement tout ce qui pourrait être dit ou fait lors de la médiation. Par exemple, les parties ont tenté d’obliger les médiateurs à témoigner pour prouver l’existence ou les conditions d’un règlement allégué.

Cela soulève une préoccupation : si tout ce qu’il faut pour percer la bulle de confidentialité de la médiation est une question fabriquée sur les conditions du règlement, les parties se sentiront beaucoup moins en sécurité pour s’engager dans des discussions libres et franches. Les tribunaux canadiens ont répondu à cette préoccupation en reconnaissant un privilège au cas par cas, distinct du privilège de règlement, qui s’attache aux communications faites dans le contexte de la médiation. Ce privilège s’applique lorsque les quatre critères du critère de l’affaire Wigmore sont satisfaits :

  1. Les communications doivent être présentées avec l’assurance qu’elles ne seront pas divulguées;
  2. L’élément de confidentialité doit être essentiel au maintien complet et satisfaisant de la relation entre les parties;
  3. Il doit s’agir d’une relation qui, de l’avis de la communauté, doit être encouragée de façon seduleuse; et
  4. Le préjudice qui s’exercerait sur la relation par la divulgation des communications doit être plus grand que l’avantage ainsi obtenu pour le règlement correct du litige.

En théorie, ce « privilège de médiation » existe parallèlement à d’autres privilèges et peut être utilisé pour combler les lacunes laissées par le privilège de règlement. Mais la jurisprudence sur le privilège de médiation est naissante, et les limites de ce privilège au cas par cas n’ont pas encore été clairement définies.

Dans l’affaire de premier plan Rudd v Trossacs Investments Inc,, les parties à un litige en Ontario sont parvenues à un règlement après médiation. Par la suite, il y a eu désaccord sur la question de savoir si une partie avait accepté de régler, et d’autres parties ont donc cherché à obliger le médiateur à témoigner au sujet d’événements qui se sont produits pendant la médiation.

S’exprimant au nom d’un comité de trois juges, le juge Swinton de la Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu que le médiateur ne pouvait pas être contraint de témoigner. Elle a expressément reconnu que le privilège de médiation se distingue du privilège relatif au règlement. Appliquant le critère de l’arrêt Wigmore, elle a conclu que les deux premiers critères de l’arrêt Wigmore étaient satisfaits parce que les parties avaient signé une entente de confidentialité et que, plus généralement, la confidentialité est essentielle à la médiation. Elle a également conclu qu’il y a un intérêt public important à protéger la confidentialité et qu’elle n’a pu identifier aucun intérêt public compensatoire qui l’emportait sur l’importance de cette protection. Le critère de l’affaire Wigmore a donc été satisfait dans les circonstances de l’espèce.

Rudd confirme que le privilège de médiation existe, mais il laisse d’importantes questions sans réponse. Y a-t-il des circonstances dans lesquelles il n’est pas nécessaire de « favoriser de façon seduleuse la confidentialité »? Quels types de considérations extraordinaires pourraient l’emporter sur l’intérêt public à protéger la confidentialité? Rudd n’aborde pas ces questions de front. Union Carbide appuie fermement la nécessité de garder la médiation confidentielle. En fait, le juge Wagner a conclu que les trois premiers critères de l’affaire Wigmore sont « redondants » si les parties ont opté pour un processus confidentiel de règlement des différends et signé une entente de confidentialité. Si les tribunaux interprètent ensemble Rudd et Union Carbide à l’appui de la proposition selon laquelle le privilège de médiation s’applique vraisemblablement lorsque les parties choisissent la médiation et signent une entente de confidentialité en l’absence d’un intérêt exceptionnel d’ordre public compensateur, le privilège de médiation pourrait être en voie de devenir aussi sanctifié que le privilège de règlement. Mais, pour l’instant, les parties en litige doivent attendre d’autres éclaircissements de la part des tribunaux sur les limites du privilège de médiation » ou, du moins, sur son application dans des circonstances différentes, alors que ce nouveau privilège continue d’évoluer.

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