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Droit d’auteur sur les données sismiques

05 décembre 2017

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Écrit par Martin P.J. Kratz, QC

L’industrie sismique revêt une importance considérable pour les activités pétrolières et gazières du Canada. Dans Geophysical Service Incorporated v Encana Corporation, 2016 ABQB 230, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a eu l’occasion d’évaluer à la fois les revendications de droit d’auteur sur les données sismiques et le pouvoir de certains organismes de réglementation de divulguer des copies de ces données à la public.

La Cour du Banc de la Reine a conclu que les données sismiques étaient protégeables en vertu de la loi sur le droit d’auteur, mais a également conclu que la conduite des conseils d’administration applicables en vertu des régimes législatifs autorisaient leur conduite et légitimaient leur traitement des œuvres protégées par le droit d’auteur. La décision relative au régime de réglementation a par la suite été portée en appel devant la Cour d’appel de l’Alberta, Geophysical Service Incorporated v EnCana Corporation, 2017 ABCA 125. L’appel interjeté par GSI devant la Cour suprême a été rejeté, de sorte que la décision de la Cour d’appel de l’Alberta est le dernier mot sur ces points.

L’analyse détaillée de l’aspect droit d’auteur de la décision du Banc de la Reine et de la décision de la Cour d’appel concernant le régime de réglementation devrait intéresser l’industrie pétrolière et gazière.

Introduction à la sismique

L’exploration sismique fonctionne, en termes simplifiés, par la création d’ondes sismiques à travers la surface de la Terre et l’évaluation de la façon dont ces ondes engagent diverses formations géologiques. Une technologie très sophistiquée a été développée afin de chercher à extraire des données plus significatives de l’analyse sismique. Le terme données sismiques n’est pas suffisamment nuancé pour couvrir les différents types de données générées dans cette industrie. Une analyse préliminaire et simplifiée est que, à un premier niveau, certaines données brutes sont collectées en réponse aux ondes sismiques se déplaçant à travers une formation géologique. Un deuxième niveau d’analyse consiste à prendre en compte les données telles qu’elles sont traitées par des techniques et des technologies sophistiquées après avoir été collectées. De plus, des données considérables sont générées pour identifier les emplacements des événements sismiques, les données cartographiques et de navigation et les commentaires interprétatifs sur les résultats sismiques. Des outils très sophistiqués sont utilisés pour visualiser les formations géologiques en deux ou trois dimensions.

Le défi pour la Cour était d’examiner ce cadre factuel dans le contexte de la loi canadienne sur le droit d’auteur.

Introduction aux conseils d’administration

Afin de promouvoir l’exploration, en particulier dans les régions arctiques et extracôtières du Canada, un certain nombre d’offices ont été mis sur pied en vertu de la loi, y compris l’Office national de l’énergie, l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers et l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers (les offices). Les offices accordent des permis à ceux qui effectuent des opérations sismiques et exigent le dépôt des données sismiques comme condition du permis. Les accords de dépôt ont fourni aux opérateurs sismiques une période de confidentialité après laquelle des copies des données sismiques sont mises à la disposition du public par les offices.

La question en litige en l’espèce était d’évaluer ce régime dans le contexte d’une revendication de droit d’auteur déposée par un opérateur sismique actif, Geophysical Services Incorporated (GSI).

L’action et les enjeux communs

GSI est une société canadienne qui a effectué des levés sismiques marins extracôtiers dans l’Atlantique canadien et l’Arctique et qui accorde des licences pour les données sismiques aux sociétés pétrolières et gazières principalement à des fins d’exploration. GSI a intenté 25 actions contre les divers conseils et de nombreuses sociétés d’exploration pétrolière et gazière, des sociétés sismiques rivales et d’autres. Les actions ont été regroupées dans cette affaire pour régler deux questions communes :

  1. Y a-t-il un droit d’auteur sur les données sismiques?
  2. Quel est l’effet des régimes législatifs sur l’allégation de violation du droit d’auteur?

La position de la demanderesse est qu’elle possède un droit d’auteur sur les données sismiques et que la conduite des défendeurs a violé ce droit d’auteur.

La position de la défenderesse est que GSI n’a pas de droit d’auteur sur les documents déposés auprès des offices ou pas du tout. Elles ont également soutenu que le fait d’effectuer des levés sismiques à la frontière canadienne et son utilisation par la suite, y compris le dépôt du matériel, la durée de confidentialité et l’accès du public à celui-ci, est strictement réglementé par une loi qui régit et remplace tous les droits de propriété que GSI peut avoir (le régime de réglementation).

Les délais en question

Madame la juge Eidsvik de la Cour du Banc de la Reine a commencé l’analyse en soulignant que les questions du délai de protection étaient une question centrale dans le différend. Le régime de réglementation protège la confidentialité des matériaux sismiques déposés pour une période pouvant aller de 5 à 15 ans. En vertu de la loi sur le droit d’auteur, elle a noté que la durée de la protection peut subsister pendant 50 ans ou plus.

L’analyse du droit d’auteur

Le juge Eidsvik a entrepris l’analyse du droit d’auteur pour tenter de déterminer si les données sismiques peuvent être des « œuvres » aux fins de la loi sur le droit d’auteur. GSI a fait valoir que les données sismiques sont originales et se qualifient comme une œuvre « en ce qu’elles sont créées par l’implication de compétences et de jugements humains à l’aide d’ordinateurs ». GSI a affirmé que les données sismiques sont une « production littéraire et / ou artistique dans le domaine scientifique » et a noté que les données sont fixées sous de nombreuses formes tangibles. Les défendeurs prétendent que les données sont générées par ordinateur et non le produit de l’habileté et du jugement d’auteurs humains.

Le juge Eidsvik a examiné les différents types de matériel sismique prétendument assujettis au droit d’auteur. Les types de données sismiques en cause comprenaient :

La juge Eidsvik a commencé son analyse en s’appuyant sur l’article 34.1 de la Loi sur le droit d’auteur (Canada), qui prévoit une présomption réfutable selon laquelle le droit d’auteur subsiste sur une œuvre lorsque le défendeur met cette existence en cause.

L’argument clé sur l’originalité au Canada est CCH Canadian Ltd v Law Society of Upper Canada, 2004 CSC 13, où le juge en chef, s’exprimant au nom de la cour, a noté que la position du Canada sur la question de savoir si une œuvre se situe entre la norme antérieure qui reconnaîtrait le simple travail ou effort pour créer le droit et la norme plus élevée de créativité américaine. Elle a déclaré ce qui suit :

Pour qu’une œuvre soit « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, elle doit être plus qu’une simple copie d’une autre œuvre. En même temps, il n’a pas besoin d’être créatif, dans le sens d’être nouveau ou unique. Ce qui est nécessaire pour obtenir la protection du droit d’auteur dans l’expression d’une idée, c’est un exercice de compétence et de jugement. Par compétence, j’entends l’utilisation de ses connaissances, de ses aptitudes développées ou de sa capacité à produire le travail. Par jugement, j’entends l’utilisation de sa capacité de discernement ou de sa capacité à se faire une opinion ou une évaluation en comparant différentes options possibles dans la production de l’œuvre. Cet exercice d’habileté et de jugement impliquera nécessairement un effort intellectuel. L’exercice de l’habileté et du jugement requis pour produire l’œuvre ne doit pas être si insignifiant qu’il puisse être qualifié d’exercice purement mécanique. Par exemple, toute compétence et tout jugement qui pourraient être impliqués dans le simple changement de police d’une œuvre pour produire « une autre » œuvre serait trop trivial pour mériter la protection du droit d’auteur en tant qu’œuvre « originale ». [Souligné dans l’original par la Cour]

Les éléments de preuve indiquent que les données sismiques devraient également être examinées dans un contexte plus poussé. Cette affaire portait sur des données non exclusives, c’est-à-dire des données tirées sur des spéculations de l’opérateur sismique. En revanche, des données exclusives surviennent lorsqu’un opérateur sismique est engagé par une société d’exploration où les géophysiciens experts et d’autres scientifiques de la société d’exploration pourraient diriger les décisions concernant l’acquisition et le traitement des données sismiques afin que ce soit leur « compétence et leur jugement » qui soient sollicités.

Dans le contexte ci-dessus, la Cour a examiné les types de données.

Après avoir examiné les diverses décisions prises lors de la mise en place d’un tournage sismique, la Cour a conclu que « les données sismiques brutes sur le terrain et les rapports écrits sont une œuvre littéraire ou une compilation d’une œuvre littéraire ». De même, elle a trouvé que les sections sismiques étaient une œuvre artistique, notant que « les sections sismiques, c’est-à-dire les lignes ondulées ou zébrées, correspondent à la définition d’une œuvre artistique, semblable à une carte, un plan ou une carte, ou une compilation d’une œuvre artistique puisque le produit est le résultat de la sélection ou de la disposition des données, ou des enregistrements sonores, de la géologie du sous-sol ».

La Cour a noté que les données deviennent une « œuvre » lorsqu’elles sont compilées. Elle a noté: « Un ping d’un hydrophone ne suffirait pas; c’est la collection, l’arrangement, la distillation et la compilation qui créent l’œuvre, à la fois au niveau des données brutes, puis au niveau des données traitées plus raffinées. »

Ayant conclu que les données applicables étaient des œuvres, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si elles étaient originales. En ce qui concerne les données brutes, elle a constaté que les données brutes étaient originales aux fins du droit d’auteur, déclarant: « Le jugement est évident dans la production de données de terrain à travers la multitude de décisions prises par l’équipe sismique. L’équipage doit avoir la « capacité de discernement ou la capacité de former une opinion ou une évaluation en comparant différentes options possibles. » ... les données sur le terrain sont analysées au fur et à mesure qu’elles sont acquises et vérifiées pour leur qualité. Dans la mesure où il existe des problèmes qui pourraient affecter la qualité au-delà de certains paramètres, le processus de collecte peut devoir être redémarré avec des paramètres différents. Seuls des experts qualifiés sont en mesure de prendre ces décisions.

De même, en ce qui concerne les données traitées, la Cour a facilement conclu qu’il s’agissait d’originaux, car « les sous-traitants font preuve d’habileté et de jugement dans les décisions qu’ils prennent de créer un produit utilisable à partir des données sur le terrain. Les données brutes ne sont pas simplement pompées dans un ordinateur et un produit utile sort. La preuve est claire que le produit transformé peut être très différent en fonction de la compétence du transformateur et que les sociétés d’exploration ont leurs transformateurs préférés qui créent le produit de la meilleure qualité pour leurs besoins.

La Cour a rejeté les arguments de la défenderesse, y compris leurs efforts pour importer le principe américain de l'« expression de l’idée » dans le droit canadien et en s’appuyant sur les critères d’originalité de cch. La Cour a également rejeté l’argument du défendeur selon lequel il n’y avait pas eu d’intervention humaine. Rejeter les cas portant sur des processus hautement automatisés, estimant que « les données sismiques produites par cet exercice de compétence et de jugement sont « adaptées et uniques » à l’auteur ».

Sur la question de la paternité et de la propriété, la Cour a noté que « l’auteur est celui qui « habille l’œuvre de la forme », ou « exprime l’idée », ou utilise ses compétences pour réparer l’œuvre sous une forme tangible. Ainsi, dans cette situation, le créateur ou l’auteur « humain » des données de terrain est probablement le chef de l’équipage sismique sur le navire (le « chef de parti ») et l’auteur « humain » des données traitées est la personne en charge du traitement (qui, dès le début, a été appelé « l’ordinateur »). C’est lui qui signera la section sismique « ... « Aux fins de la propriété, l’auteur sera GSI, puisque l’article 13 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que l’employeur sera le propriétaire lorsqu’un employé est retenu pour effectuer le travail. »

De même, la Cour a rejeté une série d’autres attaques techniques des défendeurs, comme le fait que l’œuvre était triviale et purement mécanique, ou qu’il s’agissait de faits ou d’idées, ou qu’il s’agissait simplement d’expressions utilitaires.

Fait important, la Cour a également refusé de suivre les commentaires d’opinion incidente sur l’existence du droit d’auteur sur les données sismiques dans Geophysical Service Inc c Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers, 2014 CF 450, car il y avait très peu de preuves devant cette Cour.

Sur la question du droit d’auteur, les demandeurs ont eu gain de cause. Cette partie de la décision n’a pas fait l’objet d’un appel et contribue à créer une certitude quant à l’existence du droit d’auteur sur certains types de données sismiques pour les sociétés d’exploration, l’industrie sismique et ceux qui s’engagent dans des transactions impliquant des données sismiques.

Le régime de réglementation

Ayant décidé qu’il y avait un droit d’auteur sur les données sismiques, la Cour du Banc de la Reine a ensuite examiné l’incidence du régime de réglementation sur toute responsabilité des défendeurs dans leurs transactions avec les données sismiques de GSI.

GSI était d’avis que les régimes de réglementation devraient être interprétés d’une manière qui favorise la reconnaissance du droit d’auteur et ne pas être interprétés comme portant atteinte au droit d’auteur. Les défendeurs ont soutenu que le régime de réglementation confère aux offices le pouvoir légal d’agir comme ils l’ont fait avec les données sismiques et de représenter un équilibre entre la protection des intérêts économiques de l’exploitant sismique avec la période de confidentialité et l’objectif de politique publique de « stimuler l’exploration et la mise en valeur des ressources naturelles en rendant ces renseignements accessibles au public ».

La Cour a examiné la Loi fédérale sur les hydrocarbures, L.R.C. 1985, ch. 36 (2e suppl)(LFH) et a conclu qu’elle [traduction] « permet la divulgation sans restriction après une période de temps définie. Il s’agit d’un code complet et spécifique qui s’applique à toutes les propriétés pétrolières et gazières dans les zones extracôtières et les terres domaniales, y compris les données sismiques. Ses dispositions supplantent toute loi plus générale, comme la Loi sur le droit d’auteur... dans la mesure où elles entrent en conflit.

Bien que la LFH n’utilise pas les mots exprès permettant aux offices de « copier » les données sismiques divulguées, la Cour a conclu que la seule interprétation raisonnable des dispositions qui permettent la divulgation de travaux géophysiques effectués sur les terres domaniales était de donner aux offices « le pouvoir légal aux organismes de réglementation de divulguer des documents sans restriction et sans le consentement du propriétaire de ces documents ; une fois la période de confidentialité expirée.

La demanderesse a également soutenu que la Loi sur le droit d’auteur prévoit une exemption permettant la copie en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et que ce régime (y compris ses protections et exceptions pour les secrets commerciaux et les renseignements confidentiels) devrait être le régime par lequel les demandes de divulgation devraient être traitées. La Cour a conclu que la Loi sur l’accès à l’information était un autre régime législatif plus général dont les procédures ont été supplantées par la LFH plus spécifique.

La Cour a ensuite évalué si les conseils qui ont divulgué des copies des données sismiques de GSI et les destinataires qui ont reçu les copies des données étaient responsables en vertu de la loi sur le droit d’auteur.

La Cour a conclu que le régime de réglementation fournissait un équilibre entre les droits publics et privés en déclarant que « le régime de réglementation préserve les droits des opérateurs sismiques jusqu’après l’expiration de la période de privilège, réalisant ainsi un équilibre interne entre permettre la commercialisation de l’information et l’intérêt public dans la diffusion plus large de cette information ». La Cour a conclu que « la LFH crée un régime de réglementation distinct en matière de pétrole et de gaz dans lequel la création et la divulgation de données d’exploration sur le territoire canadien sont strictement réglementées » et agit donc comme une exception aux droits du titulaire du droit d’auteur de contrôler la diffusion de ses données sismiques.

L’appel sur le régime de réglementation

GSI a interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Alberta sur la question du régime de réglementation.

Aux fins de l’appel, les parties n’ont pas contesté que l’article 101 de la LFH était la disposition d’application régissant la divulgation par l’Office national de l’énergie. Le principal argument de GSI était l’interprétation correcte de l’article 101 et la question de savoir si la LFH l’emporte sur la Loi sur le droit d’auteur.

La Cour d’appel a évalué les arguments des parties et a appliqué l’approche moderne à l’interprétation de la LFH. La Cour d’appel a conclu que « les conclusions de fait et l’interprétation des lois auxquelles est parvenue le tribunal de première instance sont rationnelles et correctes, et qu’elles ne révèlent par ailleurs aucune erreur justifiant une intervention en appel ».

Sur la question clé que l’article 101 de la LFH ne fait pas référence à la copie, mais seulement à la divulgation, la Cour d’appel a statué que « le régime de réglementation confère aux offices le droit légal inconditionnel et sans entrave après l’expiration de la période de privilège de diffuser, à leur seule discrétion comme ils l’entendent, tous les documents acquis de GSI et recueillis en vertu du régime de réglementation. L’interprétation correcte de « divulguer » confère également à ces conseils le droit légal d’accorder à d’autres à la fois l’accès et la possibilité de copier et de recopie tous les documents acquis de GSI et recueillis en vertu du régime de réglementation.

En fin de compte, la Cour d’appel a rejeté l’appel en concluant que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur de droit dans la décision de première instance. L’appel interjeté par GSI devant la Cour suprême a été rejeté, de sorte que la décision de la Cour d’appel de l’Alberta est le dernier mot sur ces points.

La décision est importante à deux égards. La décision confirme l’existence d’une protection du droit d’auteur pour les nombreux types de données sismiques pris en compte et cela fournit un cadre dans les droits de ceux qui tirent, traitent, utilisent et diffusent des données sismiques peuvent être évalués. L’existence d’une protection du droit d’auteur devrait encourager davantage d’investissements dans la création de données sismiques précieuses.

La décision est également importante pour équilibrer et limiter les droits des titulaires de droits d’auteur sur les données sismiques avec la politique publique favorisant la diffusion ordonnée des données sismiques en vertu du régime de réglementation spécifique, encourageant ainsi l’exploitation et le développement des ressources frontalières et extracôtières applicables.

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