Blogue

La tentative du Canada de « modifier à jamais l’équilibre constitutionnel » est entravée : la Cour d’appel de l’Alberta juge le régime fédéral de tarification du carbone inconstitutionnel

02 mars 2020

Close

Écrit par Michael Theroux, Thomas McInerney, Russell Kruger and Parker Mckibbon

La Cour d’appel de l’Alberta, dans une décision 4-1, a statué que le régime fédéral de tarification du carbone envisagé par la Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, SC 2018, c12 s186 (la « Loi ») est inconstitutionnel, devenant le premier tribunal canadien à le faire et s’écartant des décisions antérieures des cours d’appel des deux Saskatchewan et Ontario, qui avait confirmé la constitutionnalité de la Loi dans des décisions partagées.

Le fédéralisme et la division des pouvoirs

Le lieutenant-gouverneur en conseil de l’Alberta a renvoyé la question de la constitutionnalité de la Loi à la Cour d’appel de l’Alberta. Siégeant en tant que comité de 5 membres, la Cour a statué 4-1 que les parties 1 et 2 de la Loi, qui établissent une redevance sur certains carburants producteurs de gaz à effet de serre et établissent un système de tarification fondé sur le rendement pour les grands émetteurs industriels, sont inconstitutionnelles dans leur intégralité. Une majorité de 3 membres a émis l’opinion de la Cour, avec un juge publiant des motifs distincts et concordants, et un juge dissident. Ce blog se concentre sur la décision majoritaire.

Pour la majorité de 3 membres, un élément clé de l’analyse était le fédéralisme, un concept « fondamental pour la démocratie constitutionnelle du Canada et notre existence continue ». Pour préserver le fédéralisme, « la préservation de la répartition soigneusement calibrée des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux » est nécessaire. En vertu du système fédéral du Canada, les provinces ont le pouvoir exclusif de légiférer dans certains domaines en vertu de l’article 92 de notre Constitution, y compris « le joyau de la Couronne des pouvoirs législatifs », c’est-à-dire la propriété et les droits civils. De plus, l’article 92A « prévoit la compétence exclusive des provinces dans trois domaines : (1) la mise en valeur, la conservation et la gestion des ressources naturelles non renouvelables (par. 92A(1)); 2° l’exportation de ressources de la province (par. 92A(2)); et (3) les pouvoirs d’imposition sur les ressources (par. 92A(4)). L’article 92A confirme donc « la compétence exclusive des provinces sur la mise en valeur et la gestion des ressources naturelles non renouvelables, de la production d’électricité et des industries provinciales connexes d’une province ». Fait important, les juges majoritaires ont fait remarquer que ni les cours d’appel de la Saskatchewan ni de l’Ontario n’ont généralement tenu compte du pouvoir provincial de réglementer les ressources naturelles dans leurs décisions.

Devant la Cour, le Canada a affirmé la constitutionnalité de la Loi sur une seule base: qu’elle relevait « de la doctrine de l’intérêt national du pouvoir du Parlement en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement », qui prévoit que le Parlement fédéral peut « faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, en ce qui concerne toutes les questions qui ne relèvent pas des catégories de sujets par la présente loi attribuées exclusivement aux législatures des provinces ».

Pas un grand hall d’entrée dans le pouvoir provincial

La majorité, cependant, n’a pas été convaincue. Notant que la doctrine de l’intérêt national est « créée par les tribunaux » et qu’au cours des 153 années d’histoire du Canada, « il n’y a eu que trois cas où la Cour suprême du Canada s’est appuyée uniquement sur cette doctrine pour élargir les pouvoirs du gouvernement fédéral », les juges majoritaires ont indiqué que la doctrine n’est « pas un grand hall d’entrée dans chaque chef de compétence provinciale ». À ce titre, « le gouvernement fédéral ne peut pas utiliser la doctrine de l’intérêt national pour réquisitionner des questions attribuées exclusivement aux provinces à moins qu’une question contraire au sens du paragraphe 92(16) [questions de nature locale ou privée dans une province] n’ait dépassé la « nature locale ou privée dans une province » et ne soit devenue un sujet de préoccupation en général dans l’ensemble du pays ». À ce titre, la doctrine de l’intérêt national « ne s’appliquerait pas aux questions relevant de la compétence exclusive des provinces en vertu d’autres chefs de compétence énumérés en vertu des articles 92 ou 92A », et la doctrine « ne peut être invoquée pour évincer les pouvoirs de propriété des provinces lorsque la loi contestée envahit les pouvoirs des provinces en tant que propriétaires de leurs ressources naturelles ». S’il en était autrement, « la fédération du Canada mettrait fin rapidement ».

En qualifiant la « question » de la Loi, les juges majoritaires ont souligné l’évolution de la position du Canada tout au long des instances en Ontario, en Saskatchewan et en Alberta. Statuant que, bien que la validité de la Loi « doie devoir être décidée à l’heure actuelle », la majorité a conclu qu’elle doit également être évaluée en fonction de « ce que la Loi permet de faire à l’avenir selon ses conditions actuelles ». Ainsi, « si la validité constitutionnelle de la présente loi était finalement confirmée, la Loi pourrait être modifiée demain ou même remplacée entièrement par toute nouvelle loi que le Parlement choisira à son pouvoir discrétionnaire unilatéral, à condition que la nouvelle loi relève du nouveau chef de pouvoir attribué au Parlement ». Après avoir tenu compte de l’objet et des effets de la Loi, les juges majoritaires ont conclu que l’objet de la Loi n’est « rien de moins que la « réglementation des émissions de GES [gaz à effet de serre] " ».

Selon les juges majoritaires, cette situation relevait de plusieurs chefs de compétence provinciale exclusive, y compris les « pouvoirs législatifs et de propriété provinciaux sur les ressources naturelles », les « pouvoirs provinciaux sur la propriété et les droits civils », les « travaux et entreprises locaux » et la « fiscalité directe ». Fait intéressant, la majorité a indiqué que « le fait même que le « filet de sécurité » fédéral n’entre en vigueur que si les provinces n’ont pas mis en œuvre la tarification du carbone, ou à la satisfaction du gouvernement fédéral, en est la preuve ».

La Loi est un cheval de Troie constitutionnel

Dans un langage clair, la majorité a résumé les principaux aspects de sa décision comme suit :

... la réglementation des émissions de GES ou toute variation sur ce thème n’est pas admissible à l’inclusion en tant que chef de pouvoir fédéral en vertu de la doctrine d’intérêt national. L’attribution de cette loi ou d’une catégorie de lois de cette nature au Parlement modifierait à jamais l’équilibre constitutionnel qui existe entre les chefs de pouvoir attribués au Parlement et les législatures provinciales de l’État fédéral canadien. Aucune des affaires dans lesquelles la doctrine de l’intérêt national a été invoquée avec succès n’envisage une prise de contrôle en bloc d’un ensemble de compétences et de droits provinciaux clairs. Mais c’est le cas de cette loi. Il n’y a aucun fondement de principe pour élargir judiciairement les pouvoirs fédéraux afin de concentrer des pouvoirs aussi étendus en matière de législation au Parlement. ...

The Act is a constitutional Trojan horse. Le gouvernement fédéral s’est enseveli de vastes pouvoirs discrétionnaires. Leur forme finale, leur substance et leurs limites extérieures n’ont pas encore été révélées. Mais cela ne diminue en rien la véritable substance de ce que cette loi accomplirait effectivement si sa validité était maintenue. Presque tous les aspects du développement et de la gestion de leurs ressources naturelles par les provinces, toutes les industries provinciales et toutes les actions des citoyens d’une province seraient assujettis à la réglementation fédérale visant à réduire les émissions de GES. ...

Par conséquent, les juges majoritaires ont conclu que la doctrine de l’intérêt national ne s’appliquait pas et ont statué que les parties 1 et 2 de la Loi étaient inconstitutionnelles dans leur intégralité.

Le débat se poursuit

Les décisions de la Cour d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario ont été portées en appel devant la Cour suprême du Canada et devraient être entendues en mars 2020. Que le renvoi de l’Alberta soit lui-même porté en appel devant la Cour suprême du Canada, la décision de la Cour d’appel de l’Alberta sera sans aucun doute examinée de près par les parties et la Cour suprême. Compte tenu des opinions divergentes exprimées dans les trois renvois en appel, il faut espérer que la Cour suprême du Canada apportera une solution claire dans ce domaine.

Historique

La Loi est la pièce maîtresse des efforts du gouvernement fédéral pour lutter contre les changements climatiques et prescrit actuellement un prix national pour le carbone de 30 $ / tonne d’émissions d’équivalent CO2 (CO2e) pour 2020, augmentant de 10 $ par incréments chaque année jusqu’à atteindre un maximum de 50 $ / tonne de CO2e en 2022. La Loi prévoit que chaque province adopte son propre régime de tarification du carbone dans la mesure où il est aussi rigoureux que les exigences en matière de tarification en vertu de la Loi. Dans la mesure où les provinces instituent des mécanismes qui satisfont à la rigueur de la Loi, le régime fédéral ne s’appliquera pas; dans la mesure où ce n’est pas le cas, la Loi imposera de tels prix pour combler toute lacune. Par conséquent, la Loi est communément appelée le « filet de sécurité fédéral ».

Avant 2020, le filet de sécurité fédéral ne s’appliquait pas en Alberta, car le Carbon Competitiveness Incentive Regulation (CCIR) (un système de tarification fondé sur le rendement applicable aux grands émetteurs) de concert avec la Climate Leadership Implementation Act (une taxe sur le carbone applicable aux combustibles fossiles importés ou consommés en Alberta), légiféré par l’ancien gouvernement néo-démocrate de l’Alberta, répondait aux exigences de rigueur du filet de sécurité fédéral.

Cependant, l’élection d’un nouveau gouvernement provincial a entraîné l’abrogation de la taxe sur le carbone de l’Alberta et un « nouveau » régime d’innovation technologique et de réduction des émissions (TIER) qui a remplacé le CCIR à compter du 1er janvier 2020. Bien que le gouvernement fédéral ait adopté la position selon laquelle TIER satisfait aux exigences de rigueur de la partie du filet de sécurité fédéral portant sur la tarification du carbone (au moins jusqu’à la fin de 2020), l’abrogation par le PCU de la taxe sur le carbone de l’Alberta met la province en conflit direct avec le filet de sécurité fédéral, ce qui entraîne la perception de la redevance fédérale sur les combustibles (taxe sur le carbone) en Alberta à compter du 1er janvier, 2020.

Authors

Liens connexes



View Full Mobile Experience