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Les notes des avocats sont-ils privilégiées?

08 juin 2017

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Notes d’entrevue des avocats créées dans le le le cas d’une enquête interne dont la divulgation a été ordonnée dans le le cas d’une enquête sur une fraude criminelle au Royaume-Uni

Écrit par Ciara J. Mackey, Jason W.J. Woycheshyn, and Munaf Mohamed

Une décision anglaise récente sur le privilège a jeté le doute sur la protection juridique accordée au produit du travail des avocats lorsqu’ils aident les entreprises clientes dans le cadre d’enquêtes internes. Dans The Director of the Serious Fraud Office v Eurasian Natural Resources Corporation Ltd, [2017] EWHC 1017 (QB), la Haute Cour anglaise a jugé que les notes d’entrevue d’avocats externes d’une enquête interne sur la fraude d’entreprise n’étaient pas protégées par le privilège et devaient être divulguées à l’organisme gouvernemental chargé de l’enquête.

En 2011, la société britannique Eurasian Natural Resources Corporations Ltd. (« ENRC »), qui fait partie d’un groupe multinational de sociétés minières et de ressources naturelles, a fait l’objet d’allégations de lanceurs d’alerte concernant son acquisition d’actifs miniers au Kazakhstan et en Afrique. Après deux ans d’enquêtes internes et d’autodéclaration au directeur du Serious Fraud Office (le « SFO », l’agence britannique responsable des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes impliquant des fraudes graves et des pots-de-vin et des pots-de-vin nationaux et étrangers), ENRC a licencié ses avocats de l’époque, Dechert LLP, et l’AFS a commencé une enquête criminelle formelle sur les activités de la société. 

Les documents en cause ont été créés par Dechert LLP et des juricomptables retenus par ENRC dans le cadre de ses enquêtes internes de 2011 à 2013. Plus particulièrement, l’AFS a demandé la production des notes préparées par les avocats de Dechert S.E.N.C.R.L., s.r.l. à partir de plus de 85 entrevues qu’ils ont menées auprès de dirigeants et d’employés actuels et anciens de l’ENRC, de ses filiales, de ses fournisseurs et d’autres tiers au sujet des événements faisant l’objet de l’enquête. L’ENRC a fait valoir à la fois le privilège des conseils juridiques (également connu sous le nom de privilège avocat-client en droit canadien) et le privilège du litige sur les notes de leurs anciens avocats.

La Cour a rejeté les deux motifs de privilège et a ordonné que les notes des avocats soient divulguées à l’AFS. 

Comme le secret professionnel de l’avocat au Canada, le privilège relatif aux conseils juridiques protège toutes les communications entre l’avocat et son client faites à titre confidentiel dans le cadre de la prestation de conseils juridiques. En l’espèce, la Cour a statué que le privilège avait échoué sur deux points : (1) les employés et les tiers interrogés n’étaient pas le « client »; et (2) les notes créées à partir de ces entrevues ne divulgueraient pas les conseils juridiques fournis à l’ENRC. Selon la Cour, une note textuelle sur ce qu’un employé de l’ENRC ou un témoin potentiel a dit à un avocat ne serait pas, sans plus, protégée. Ainsi, le fait qu’un avocat ait interrogé le témoin afin de fournir des conseils juridiques à son client était insuffisant pour obtenir le privilège avocat-client. 

En ce qui concerne la revendication du privilège relatif au litige, qui protège les documents préparés dans le but principal de se préparer à un litige en cours ou prévu, la Cour d’anglais a statué qu’il doit y avoir une « probabilité réelle » de « litige contradictoire » (et non pas simplement une enquête) avant que le privilège ne soit accordé.  Une enquête criminelle ou réglementaire en cours ou prévue n’est pas suffisante, même si cette enquête pourrait mener à une poursuite. Selon la Cour, les poursuites ne seraient devenues une véritable perspective que si l’ENRC avait découvert une part de vérité sur les allégations faisant l’objet de l’enquête. Sur la base de la preuve, la Cour a jugé que l’ENRC n’avait pas établi que la perspective de poursuites pénales n’était rien de plus que de la spéculation à l’époque.

De plus, la Cour a conclu que les notes des avocats n’avaient pas été créées dans le but principal d’une poursuite criminelle anticipée ou pour fournir des conseils juridiques à l’ENRC dans le contexte de procédures contradictoires anticipées. Selon les termes de la Cour, « les renseignements n’étaient pas recueillis pour faire partie d’un mémoire de la défense ». La Cour a plutôt conclu que l’objectif principal des enquêtes internes de l’ENRC à l’époque était d’établir les faits, de se préparer à une enquête et de régler les problèmes de conformité. Les avocats, selon la Cour, étaient engagés en tant que « collecteurs d’informations plutôt que conseillers juridiques ».

Que ce soit en vertu du droit anglais ou canadien, le privilège ne s’attache pas aux faits découverts dans le cadre d’une enquête. Cependant, l’étendue de la protection du produit du travail créé lors d’une enquête interne précoce reste controversée. Bien que cette décision semble avoir porté en grande partie sur la preuve présentée par l’ENRC à l’appui de sa revendication de privilège, la Cour anglaise a adopté une approche étonnamment étroite de la portée du privilège avocat-client et du privilège relatif aux litiges où des avocats externes sont impliqués dans des enquêtes internes précoces pour leurs clients. En imposant un lourd fardeau de preuve à la partie qui revendique le privilège et en réduisant le rôle de conseiller juridique à celui de « collecteur d’information », la Cour d’anglais a considérablement limité la portée du privilège et exposé le produit du travail juridique à la divulgation. Si elle est adoptée de façon générale, cette approche aurait probablement un effet dissuasif sur les enquêtes internes et les pratiques d’autodéclaration, à un moment où les sociétés ont souvent l’obligation légale de s’engager dans ces processus.   

L’ENRC cherche à faire appel de la décision de la Haute Cour d’Anglais. Bien qu’elle ne soit pas contraignante au Canada, la décision sert de rappel important que la participation d’un avocat à la création de documents dans le cadre d’enquêtes internes ne garantit pas la protection contre la divulgation dans le contexte de litiges futurs, qu’ils soient civils, réglementaires ou criminels. Les sociétés qui entretent une enquête interne importante ou des pratiques d’autodéclaration réglementaire, qui pourraient mener à des litiges ou à des poursuites réglementaires ou criminelles, devraient demander des conseils juridiques tôt et examiner et officialiser les objectifs et la portée de cette enquête. Si vous ne le faites pas, l’exposition à la société augmentera l’exposition à la société à un moment où la limitation des risques est souvent un objectif principal.

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