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La Cour de l’Alberta affirme que les limites de responsabilité du fret aérien peuvent être enfreintes

13 mars 2013

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Écrit par Artem N. Barsukov

Les compagnies aériennes de fret opérant en Alberta pourraient bientôt se retrouver à former leur personnel de première ligne pour poser plus de questions lorsqu’elles traitent avec des consommateurs individuels. Le mois dernier, la Cour provinciale de l’Alberta a rendu une décision dans laquelle elle a statué que la Convention de Montréal ne dispense pas des exigences en matière d’avis applicables en common law, étendant la lecture que la même cour a prise sept ans plus tôt dans une affaire impliquant une réclamation de bagages à des affaires impliquant du fret aérien.  Pour les compagnies aériennes, cela signifie que les limites de responsabilité des transporteurs en vertu de la Convention de Montréal peuvent être enfreintes si leur personnel ne porte pas les limites de la Convention de Montréal à l’attention d’un expéditeur non commercial. Qui plus est, une simple déclaration verbale d’une valeur d’expédition qui dépasse la portée de la Convention de Montréal peut maintenant suffire à contourner les limites qui étaient auparavant considérées comme incassables.

Les faits

La décision, rendue dans l’affaire Durunna c. Air Canada, 2013 ABPC 31, impliquait un demandeur qui avait expédié dix ordinateurs portatifs d’une valeur d’environ 4 600 ,00 $ au Nigéria par l’entremise d’Air Canada. Le demandeur s’est rendu aux bureaux de fret aérien d’Air Canada, et une lettre de transport a été lancée. L’agent de bureau a demandé à la demanderesse la valeur des marchandises, et le demandeur a répondu qu’elle était de 4 000 $. On a alors dit au demandeur qu’il devrait remplir un formulaire de déclaration d’exportation.

Lorsque le demandeur est revenu avec le formulaire dûment rempli, la lettre de transport avait déjà été préparée. La lettre de transport remplie ne faisait aucune référence à la valeur des marchandises. Le rebord de la lettre de transport contenait une boîte carrée avec un avertissement en lettres majuscules indiquant que l’attention de l’expéditeur était attirée sur l’avis concernant la limitation de responsabilité du transporteur en vertu de la Convention de Montréal. Plus loin dans le même encadré, la lettre de transport indiquait que l’expéditeur pouvait augmenter la limite de responsabilité en « déclarant une valeur plus élevée pour le transport et en payant des frais supplémentaires si nécessaire ». Le verso de la lettre de transport faisait spécifiquement référence à la Convention de Montréal et aux limites de responsabilité imposées par celle-ci.

Le demandeur a payé les frais d’expédition et a reçu une copie de la lettre de transport, qu’il n’avait pas signée. On ne lui a pas demandé de signer la lettre de transport ni eu l’occasion de la lire. On n’a jamais offert au demandeur d’acheter une assurance supplémentaire supérieure à la couverture standard de la Convention de Montréal. Comme par malchance, les marchandises ont finalement disparu en route vers le Nigeria.

Air Canada a cherché à s’appuyer sur la Convention de Montréal pour limiter l’indemnisation payable au demandeur. La Convention de Montréal est un traité international qui limite la responsabilité d’un transporteur pour la perte ou l’endommagement de la cargaison à 17 droits de tirage spéciaux par kilogramme de cargaison. Si la Convention s’appliquait, aux taux de change actuels, le demandeur n’aurait pu recouvrer qu’environ 975,00 $, soit moins de 25 % de la valeur réelle de l’expédition perdue.

La décision

Le juge Skitsko a rejeté l’argument d’Air Canada selon lequel la Convention de Montréal visait à se passer de toute obligation pour les transporteurs de fournir un avis des limitations de responsabilité. Comme point de départ, la Cour a fait remarquer qu’en common law, un défendeur qui souhaite invoquer une clause de limitation de la responsabilité doit faire ce qui est « raisonnablement suffisant » pour porter la condition limitative à l’attention du demandeur. La Cour a ensuite conclu que la simple absence d’une exigence de notification dans le texte de la Convention n’évient pas l’application de la common law.  Bien qu’il s’agisse d’un traité international, la Convention de Montréal doit néanmoins être interprétée à la lumière de la common law régissant les sociétés de fait et le bailment. La Convention aurait dû contenir quelque chose de plus, comme une déclaration expresse d’intention de renoncer à l’exigence d’avis et de l’emporter sur la common law, pour se passer de l’exigence de common law de fournir un avis. Par conséquent, Air Canada était tenue de donner un avis « raisonnablement suffisant » des limites de responsabilité applicables en vertu de la Convention de Montréal.

La Cour a statué que, malgré les avertissements encadrés au recto de la feuille de route, le demandeur n’avait pas été suffisamment avisé de la limitation de responsabilité imposée par la Convention de Montréal. Lorsque la demanderesse a reçu la lettre de transport dûment remplie, elle ne contenait aucune référence à la valeur du colis, à l’exception des acronymes NCV (qui signifie No Custom Value) et NVD (signifiant No Value Declared), qui ont été insérés par l’agent d’Air Canada. Ce dernier acronyme signifiait que la demanderesse n’avait fait aucune déclaration de la valeur des marchandises et que, par conséquent, la couverture par défaut de la Convention de Montréal s’appliquerait. Les deux acronymes n’ont jamais été définis nulle part sur la feuille de route. Étant donné que le demandeur a été interrogé et a déclaré la valeur de l’expédition, mais qu’on ne lui a jamais offert d’acheter une assurance supplémentaire, la Cour a statué que le demandeur n’aurait eu aucun moyen de savoir qu’il avait accepté les limites de responsabilité en vertu de la Convention de Montréal, même s’il avait eu l’occasion de lire la lettre de transport.

Enfin, la Cour a examiné l’article 22(3) de la Convention de Montréal, qui prévoit que les limites de responsabilité ne s’appliquent pas si, lors de la remise du colis au transporteur, le chargeur i) fait une déclaration spéciale d’intérêt pour la livraison à destination et ii) paie une somme supplémentaire si l’affaire l’exige. M. le juge Skitsko a estimé qu’une simple déclaration concernant le contenu et la valeur de la cargaison suffisait pour être considérée comme une « déclaration spéciale » au sens de l’article 22(3).  En ce qui concerne le paiement d’une somme supplémentaire, la Cour a estimé qu’il incombait au transporteur de demander un paiement supplémentaire si une telle déclaration spéciale avait été faite. Si le transporteur ne demande pas de paiement supplémentaire, la somme supplémentaire ne peut pas être considérée comme « ainsi requise », et la composante ii) ci-dessus ne s’applique pas. Étant donné que le demandeur en l’espèce avait mentionné verbalement la valeur de l’expédition et qu’on ne lui avait jamais offert d’acheter une assurance supplémentaire, la Cour a jugé que l’article 22(3) était satisfait et que les limites de la Convention ne s’appliquaient pas.

En fin de compte, la Cour est allée jusqu’à dire que l’application des limites de responsabilité prévues par la Convention de Montréal serait inadmissible dans les circonstances. Par conséquent, elle a accordé des dommages-intérêts de 4 000 ,00 $, équivalant à la valeur des marchandises perdues, telle que déclarée verbalement par la demanderesse. De plus, le demandeur avait le droit de recouvrer les frais d’expédition.

Conclusion

La décision rendue dans l’affaire Durunna c. Air Canada semble s’écarter de ce qui semble être le consensus parmi les experts en droit de l’aviation, à savoir que les limites de la Convention de Montréal sont incassables en ce qui concerne le fret. En effet, le mot « incassable » est en quelque sorte un refrain constant, apparaissant dans les livres, articles et autres publications sur le sujet. En adoptant une interprétation restrictive de la Convention de Montréal, la Cour a suivi l’interprétation de la Convention de Montréal qu’elle a prise sept ans plus tôt dans l’affaire Foord c. United Air Lines Inc, 2006 ABPC 103, une affaire qui portait sur les dommages causés aux bagages des passagers. Bien que cela puisse sembler trivial, il s’agit d’une caractéristique distinctive importante, car les limites de responsabilité applicables aux bagages n’ont pas été largement décrites comme « incassables ».

En fait, Durunna étend maintenant l’interprétation restrictive de la Convention de Montréal dans l’affaire Foord aux affaires mettant en cause le fret aérien. Bien qu’elle puisse être considérée comme une évolution positive du point de vue de la protection des consommateurs, une telle mesure représente une dérogation à la lecture traditionnelle de la Convention en ce qui concerne le fret, et les transporteurs aériens doivent être conscients que les protections qu’ils ont pu considérer comme « incassables » peuvent ne plus être absolues lorsqu’il s’agit de contrats de transport maritime conclus en Alberta.

L’utilisation du mot « consommateur » ci-dessus n’est pas un hasard. Tout en s’appuyant sur la jurisprudence pour en arriver à sa conclusion finale, la Cour a expressément fait une distinction avec une décision qui traitait d’un chargeur qui était une entité commerciale, faisant observer que « les parties commerciales sont généralement considérées comme des parties sophistiquées qui ont l’intention d’être liées par toutes les conditions du contrat ». Par conséquent, il semble que l’incidence de la décision de la Cour se limitera aux transactions impliquant des consommateurs individuels. Le transport maritime commercial ne sera probablement pas affecté par le ratio à Durunna.

Bien que Durunna puisse encore faire l’objet d’un appel devant les tribunaux supérieurs, elle demeure exécutoire en Alberta jusqu’à ce qu’elle soit annulée. Par conséquent, il est conseillé aux compagnies aériennes de fret de former leur personnel de la réception de l’Alberta pour souligner expressément les limites de la responsabilité des transporteurs en vertu de la Convention de Montréal lorsqu’elles traitent avec des consommateurs individuels. Les transporteurs aériens devraient également créer des procédures et des listes de vérification pour s’assurer que leur personnel (i) vérifie la valeur du colis, (ii) enregistre avec exactitude cette valeur sur la lettre de transport et (iii) demande au client s’il souhaite souscrire une assurance supplémentaire. Les formulaires, qu’ils soient papier ou électroniques, doivent contenir un endroit où les réponses du client peuvent être enregistrées, en cas de litige à l’avenir.

Compte tenu du consensus sur la nature incassable des limites de la Convention de Montréal telles qu’elles s’appliquent au fret, la décision rendue dans l’affaire Durunna pourrait bien faire l’objet d’un appel dans les prochains mois. D’ici là, cependant, la prudence sera le meilleur compagnon des compagnies aériennes.

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