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Les droits ancestraux au Canada peuvent inclure des autochtones aux États-Unis

17 mai 2019

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Écrit par David Bursey, Sharon G.K. Singh and Charlotte Teal

Le 2 mai 2019, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu sa décision dans l’affaire R c Desautel, 2019 BCCA 151. La Cour d’appel a confirmé les décisions des tribunaux inférieurs d’acquitter Richard Desautel des accusations portées contre lui en vertu de la Wildlife Act et a confirmé son droit ancestral de chasser dans la région des lacs Arrow, même s’il est résident et citoyen des États-Unis.

Cette affaire a soulevé de nouvelles questions quant à la portée territoriale de l’expression « peuples autochtones du Canada » à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour a décidé que les droits ancestraux prévus à l’article 35 peuvent s’étendre aux peuples autochtones qui ne sont pas des citoyens ou des résidents du Canada, même si le groupe autochtone moderne n’occupe plus la même zone géographique où le collectif historique antérieur au contact avec les Européens a exercé ces droits.

Compte tenu de la longue frontière que le Canada partage avec les États-Unis, cette affaire a des répercussions sur l’exercice de divers droits ancestraux le long de cette frontière.

Nous ne savons pas encore si la Couronne interjetera appel de la décision devant la Cour suprême du Canada.

Contexte de l’appel

En octobre 2010, M. Desautel a abattu un wapiti femelle dans la région d’Arrow Lakes, en Colombie-Britannique. Il a été accusé d’avoir chassé sans permis et d’avoir chassé du gros gibier alors qu’il n’était pas résident de la Colombie-Britannique en vertu de la Wildlife Act, RSBC, 1996, ch. 488.

M. Desautel est membre de la tribu des lacs des tribus confédérées de Colville dans l’État de Washington. Il n’est ni citoyen ni résident du Canada. M. Desautel a affirmé qu’il exerçait son droit ancestral de chasser à des fins cérémoniales sur le territoire traditionnel de ses ancêtres Sinixt. La Couronne a soutenu que M. Desautel ne pouvait pas invoquer ce moyen de défense parce que la tribu des Lacs n’était pas un « peuple autochtone du Canada ». Subsidiairement, leurs droits n’ont pas survécu à l’affirmation de la souveraineté canadienne.

La Cour provinciale de la Colombie-Britannique a appliqué l’arrêt R c Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, a accepté la défense de M. Desautel et l’a acquitté des accusations. La Cour a conclu ce qui suit :

La Cour n’a pas jugé nécessaire de trancher la question de l’incompatibilité souveraine.

En appel devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, le juge Sewell a souscrit à la décision et l’a confirmée. La Couronne a interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Questions en litige en appel

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a examiné trois questions :

  1. La protection constitutionnelle des droits ancestraux prévue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 s’étend-elle à un groupe autochtone qui ne réside pas au Canada et dont le membre qui prétend exercer un droit ancestral n’est ni un résident ni un citoyen du Canada?
  2. Le critère de la preuve d’un droit ancestral protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 exige-t-il qu’il y ait une collectivité actuelle dans la région géographique où le droit revendiqué a été exercé?
  3. Afin de déterminer si un Autochtone qui n’est pas un citoyen ou un résident du Canada a un droit ancestral de chasser en Colombie-Britannique, est-il nécessaire de tenir compte du droit à la mobilité accessoire de l’individu et de la compatibilité de ce droit avec la souveraineté canadienne?

Paragraphe 35(1) et Groupes autochtones à l’extérieur du Canada

La Couronne a soutenu que M. Desautel ne pouvait pas détenir un droit ancestral protégé par la Constitution au Canada parce qu’il n’était pas membre d’un groupe qui était un « peuple autochtone du Canada »; L’expression « peuples autochtones du Canada » ne pourrait comprendre que les collectivités autochtones détentrices de droits contemporains qui sont des résidents ou des citoyens du Canada. La Couronne a également soutenu que le critère de l’arrêt Van der Peet n’est pas le bon critère pour déterminer si M. Desautel relève des « peuples autochtones du Canada » et que la Cour doit plutôt appliquer les principes généraux d’interprétation constitutionnelle.

La Cour a appliqué une approche plus large de l’interprétation, conformément aux principes de réconciliation établis dans l’arrêt Van der Peet. Les droits ancestraux diffèrent des autres droits protégés par la Constitution. Le paragraphe 35(1) exige une analyse téléologique, puisqu’il vise à concilier les revendications ancestrales préexistantes avec le territoire qui constitue maintenant le Canada, et que la Cour doit tenir compte du point de vue des peuples autochtones qui revendiquent le droit. 1

La Cour a conclu que l’interprétation formaliste de la Couronne à l’égard des « peuples autochtones du Canada » ne tient pas compte de la perspective autochtone et n’a pas fait grand-chose pour faire avancer la réconciliation. 2 Elle ne pouvait pas être utilisée pour empêcher un demandeur d’avoir la possibilité d’établir un droit ancestral en vertu de l’arrêt Van der Peet. Si les exigences du critère de l’arrêt Van der Peet sont respectées, la communauté autochtone moderne sera un « peuple autochtone du Canada ». 3

Dans ce cas, le Sinixt était le collectif historique pertinent. La Cour s’est fondée sur les conclusions du juge de première instance selon lesquelles la région des lacs Arrow était une partie importante de la culture distinctive des Sinixt avant le contact avec les Sinixt et fait toujours partie intégrante de la culture de la tribu des Lacs, que la tribu des Lacs est un groupe successeur des Sinixt et que la continuité n’avait pas été rompue.

Exigences géographiques

La Couronne a soutenu que si M. Desautel est membre des « peuples autochtones du Canada », il doit alors être membre d’une communauté actuelle dans la région géographique où il a exercé son droit ancestral revendiqué de chasser. La Cour a rejeté cet argument et a refusé de modifier le critère de l’arrêt Van der Peet pour y inclure une telle exigence.

Imposer une exigence selon laquelle les peuples autochtones ne peuvent détenir des droits ancestraux au Canada que s’ils occupent la même zone géographique dans laquelle leurs ancêtres ont exercé ces droits, ignore la perspective autochtone, les réalités de la colonisation et ne fait pas grand-chose pour atteindre l’objectif ultime de réconciliation. En l’espèce, une telle exigence éteindrait le droit de M. Desautel de chasser sur le territoire traditionnel de ses ancêtres, même si les droits de sa communauté dans cette région géographique n’ont jamais été volontairement cédés, abandonnés ou éteints. Je ne modifierais pas le critère de l’arrêt Van der Peet pour ajouter une exigence géographique qui empêcherait les membres des collectivités autochtones, qui pourraient avoir été déplacés, d’établir leurs droits ancestraux dans les régions que leurs ancêtres occupaient avant le contact avec les Européens. 4

Droit à la mobilité accessoire

Enfin, la Couronne a soutenu que la Cour doit tenir compte de tout droit d’accès accessoire (droits de circulation et de liberté de circulation) pour déterminer si un non-citoyen et un non-résident ont un droit ancestral de chasser. Elle a soutenu que le droit revendiqué implique un droit pour M. Desautel de traverser la frontière, ce qui est incompatible avec la souveraineté canadienne.

La Cour a conclu que cette question n’avait pas besoin d’être abordée dans l’appel et qu’un droit accessoire ne s’ensuivrait pas nécessairement. La légalité de l’entrée de M. Desautel au Canada n’était pas contestée au procès, et il n’y avait aucun dossier de preuve pour évaluer la nature ou l’étendue du droit de M. Desautel. La jurisprudence antérieure traitant des droits accessoires a pris naissance lorsque l’exercice du droit accessoire était en cause; cette affaire a examiné le droit de M. Desautel de chasser et non d’entrer au Canada. 5

La Cour a fait observer que d’autres doctrines juridiques, y compris l’extinction, la violation et la justification, pourraient être utilisées pour déterminer la portée d’un droit accessoire.

Conséquences

La décision a de profondes répercussions pour la Couronne, l’industrie et les groupes autochtones. L’affaire souligne l’importance de tenir compte du territoire de contact pré-européen des groupes autochtones et du modèle actuel d’établissement. La frontière souveraine après le contact n’est pas déterminante lorsqu’on tient compte de la portée géographique des droits ancestraux.

La Couronne a l’obligation de consulter les groupes autochtones lorsque la conduite de la Couronne est susceptible d’avoir une incidence sur les droits ancestraux, prouvés ou revendiqués. Étant donné que les droits ancestraux peuvent s’étendre aux sociétés de personnes collectives modernes résidant aux États-Unis, l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder peut, dans certains cas, s’étendre à des groupes qui ne résident pas au Canada s’ils ont des revendications de droits sur le territoire canadien.

Bien que le ministère public ait soulevé l’incidence potentielle de la décision sur l’obligation de consulter et d’accommoder, la Cour n’a pas donné d’indications, concluant qu’il s’agissait d’une question accessoire qui n’est pas importante pour la question centrale. Étant entendu que la porte est ouverte aux groupes autochtones résidant aux États-Unis pour présenter des réclamations au Canada, la portée de l’obligation de consulter est incertaine et entraînera probablement d’autres litiges à l’avenir. Il n’est pas clair non plus comment les tribunaux aux États-Unis traiteraient la situation réciproque.

Remarques :

  1. Aux para 51 à 53, citant Van der Peet et R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075.
  2. Au para 57
  3. Ibid.
  4. Au para 62.
  5. Aux paragraphes 66 à 68.
  6. Au para 70.

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